"Il y avait une tension terrible, on sentait une animosité venant de toutes parts" : le jour où Me Alain Fraitag a sauvé son client de la peine de mort
Le 9 octobre 1981, la France abolissait la peine de mort. Mais avant cette date, des avocats se sont battus pour éviter à certains condamnés la peine capitale. En 1972, le jeune avocat Alain Fraitag sauve son client Maurice Hincellin de la guillotine.
Même cinquante ans après, cette affaire le bouleverse toujours. Dans son cabinet parisien, Alain Fraitag a encore le poil qui se hérisse lorsqu'il raconte : "C'était ma première énorme affaire alors que j'étais jeune avocat et le personnage me semblait digne d'intérêt et de compassion." Ce personnage c'est Maurice Hincellin, alias Titisse. Le 15 juin 1972 s'ouvre le procès de ce jeune homme de 23 ans. Lors d'une soirée dans un bar à Laon, une bagarre éclate pour une histoire de voiture volée. Maurice Hincellin prend la fuite, sort un couteau, tue un homme et en blesse grièvement un autre.
Alain Fraitag se souvient encore de l'ambiance qui pèse alors dans la salle d'audience. "Il y avait une tension terrible, on sentait une animosité contre Maurice venant de toutes part, y compris de Monsieur le procureur. Donc je n'ai pas été étonné d'entendre requérir la peine de mort, lui non plus", raconte-t-il. L'avocat ne garde pas de souvenir précis de sa plaidoirie, il se rappelle juste qu'elle a duré "très longtemps". Et quand le verdict tombe : ce n'est pas la mort mais la réclusion criminelle à perpétuité.
"J'avais une telle frayeur d'entendre prononcer la peine de mort que ça a été un soulagement tel que j'ai eu l'impression que j'allais m'évanouir."
Alain Fraitagà franceinfo
"Et c'est là que s'est déroulée cette scène qui me bouleverse encore si longtemps après. C'est Maurice me prenant la main, dans son box, et me dit 'Mais non, mais non, remets-toi, tu viens de me sauver la vie', se souvient Alain Fraitag. J'ai toujours pensé que, même pour quelqu'un qui a fait beaucoup de mal, la société n'a pas le droit de faire le même mal et de le mettre à mort. C'est aller dans le même sens que la personne qui a fait du mal."
Une amitié est née
Mais l'affaire ne s'arrête pas là. L'avocat et son client deviennent amis. Alain Fraitag lui rend visite en prison. Il lui envoie des cartes postales et Maurice des lettres. "Je lui avais fait part un jour d'un problème sentimental. Lui malheureusement n'avait que des choses un peu plus tristes à me raconter : sa vie en prison, son changement dans tel ou tel atelier. Moi j'essayais de lui parler de choses de la vie normale, presque pour le préparer à la sortie."
Maurice Hincellin sort au bout de dix-sept ans et demi de prison, se construit une vie de famille, mais se donne la mort à 70 ans. "Un grand regret" pour Alain Fraitag qui n'a pas réussi cette fois à le sauver. Alors comme pour défier la mort encore une fois, et pour lui redonner vie, l'avocat compte reprendre un projet de livre délaissé au sujet de son histoire avec Titisse.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.