Disparus d'Orvault : comment la vie numérique ordinaire du jeune Sébastien s'est retournée contre lui
Alors que peu d'informations parviennent à la presse sur les membres de la famille Troadec, l'activité en ligne du fils, Sébastien, a donné une image déformée du jeune homme, que ses amis tentent de réhabiliter.
Sébastien Troadec n'a pas fait sa rentrée des classes, lundi 28 février. Il n'a pas rejoint son petit studio de Saint-Laurent-sur-Sèvre (Vendée), à deux minutes du lycée Saint-Gabriel (Saint-Gab', dit-on très officiellement sur les enseignes à l'entrée du bâtiment), où il suit sa deuxième année de BTS Systèmes numériques. Avec sa sœur Charlotte, sa mère Brigitte et son père Pascal, il n'a pas donné de signe de vie depuis le 16 février. Avec l'arrivée de la police au domicile de la famille, dans la banlieue nantaise, et la découverte de traces de sang, jeudi, les Troadec sont devenus "les disparus d'Orvault". Et Sébastien, 21 ans, est l'objet de toutes les attentions.
Son téléphone, retrouvé maculé de sang, a été éteint en dernier, les autres ayant cessé d'émettre peu avant. Sa voiture, une Peugeot, a disparu. Si les enquêteurs, prudents, affirment que toutes les pistes restent ouvertes, la fouille de ses activités en ligne, remontant parfois à plusieurs années, a contribué à dresser le portrait d'un potentiel suspect. A minima, le genre de garçon à tenir "des propos troublants" sur internet. "Inquiétant", Sébastien ? Alors que ses camarades tentent de corriger cette construction médiatique, franceinfo revient sur l'image du jeune disparu : innocent à ce stade de l'enquête, mais "soupçonné d'avoir mis en place un funeste projet visant à supprimer les membres de sa famille", selon les enquêteurs, il apparaît aussi victime des clichés qui entourent les ados ordinaires.
Des publications lugubres entre deux émojis
Dans un communiqué distribué lundi, la direction de Saint-Gab' prévient : en ce jour de rentrée scolaire, le personnel éducatif a notamment "insisté auprès des collégiens et lycéens sur la nécessaire maîtrise de leur communication auprès de la presse et sur les réseaux sociaux". Au regard de l'expérience de Sébastien, le conseil est avisé, même si beaucoup, qui ne connaissent pas le jeune homme, se contentent de hausser les épaules quand on les interroge sur ce camarade. "Il y a beaucoup de gens scolarisés ici" ou "non, connais pas", glissent-ils sans avis en quittant l'enceinte de l'imposant bâtiment devant lequel une petite camionnette de la gendarmerie s'est garée.
Soucieux de comprendre la personnalité du jeune homme, les journalistes ont naturellement sollicité ses proches. Aux abords de l'établissement scolaire, mais aussi en ligne, où Sébastien s'était, comme beaucoup, doté de profils sur plusieurs réseaux sociaux : entre autres, quelques photos sur Facebook et Instagram, un compte sur Ask.fm – un réseau social sur lequel les internautes se posent des questions les uns aux autres –, et une présence sur le très fréquenté forum "18-25" du site Jeuxvideo.com.
Au milieu de centaines de commentaires anodins, quelques messages suffisent, dès dimanche, à obscurcir le portrait de ce jeune homme dont la presse ignore encore tout. Place à l'inventaire : en 2014, alors âgé de 18 ans, il tweete, "j'en peux plus, j'veux crever mais j'en suis même pas capable". Sur Ask, quelqu'un lui demande s'il est "possible de justifier un meurtre" ? "Ça dépend", répond-il à cette époque. "La chose que je déteste le plus ? Mon reflet", écrit-il encore, prompt à se dénigrer ou à évoquer sa propre mort.
Mais dans ces anciens échanges entre amis et connaissances qui se retrouvent pour discuter sur Skype et s'envoient cœurs, insultes et émojis hilares apparaissent surtout les réflexions d'une bande d'adolescents ordinaires. "Qui a été la personne la plus importante dans ta vie ?" "Je sais pas, tout le monde est important." "Quel trait de caractère admires-tu le plus ?" "La bonté et l'honnêteté", lâche aussi Sébastien lors d'un vieux passage sur Ask. "Qu'est-ce qui rend quelqu'un puissant ?" lui demande-t-on à la même époque. "Son pénis", blague-t-il avec un émoji.
"Tout le monde a déjà posté des choses sur les réseaux sociaux"
Les publications plus récentes, partagées par des amis qu'il a rencontrés en ligne, viennent encore nuancer cette image lugubre. Ainsi, Juliette publie mardi sur Twitter des captures d'écran de conversations avec son pote "Sébi". Le 10 février, moins d'une semaine avant sa disparition, il lui assurait profiter des vacances pour "réviser et travailler". "Il était quand même bien important dans ce petit groupe... J'espère qu'il reviendra", renchérit Alex, une autre internaute, affectée par les événements.
Sebi qui prends des nouvelles de ma chatte Théa et moi, etses objectifs pendant les vacances pic.twitter.com/lU9377UTrj
— J u l i e t t e ♡ (@Juliettedarko) 28 février 2017
Interrogé par Le Parisien, un ami qui suit la même formation que Sébastien résume : "C'était un 'troll'. Il allait sur le web pour faire ch... le monde, comme il disait. Mais c'est du second degré. Même avec nous il pratiquait l'humour noir. Et on savait tout de suite qu'il déconnait", explique le jeune homme, traçant la subtile frontière entre le quotidien de Sébastien et un personnage qu'il se serait construit en ligne. Pour des menaces proférées sur un blog, en 2013, il a d'ailleurs fait l'objet d'une procédure de réparation pénale.
"Mais tout le monde a déjà publié des choses sur les réseaux sociaux", défend auprès de franceinfo une amie de Sébastien. Blue (comme elle demande à se faire appeler, afin de rester anonyme) connaît le jeune homme depuis 2015. L'étudiante de 22 ans suit un autre BTS dans le même établissement et vit dans la même résidence que lui. En finissant une tasse de thé dans l'espace salon de son petit studio, elle réagit, un peu exaspérée, aux quelques photos parues dans la presse – sur l'une d'entre elles, Sébastien se cache les yeux avec un couteau ; sur une autre, il s'est dessiné des larmes au marqueur ou pose le visage quasi dissimulé dans un foulard.
Il a posté une photo de lui avec un keffieh et c'est limite si on ne va pas trouver des gens pour dire qu'il était jihadiste.
Blue, une amie de Sébastienà franceinfo
Elle décrit plutôt "un bon camarade d'école", "très gentil", "qui a le sourire". Dans l'immeuble, beaucoup sont des étudiants de Saint-Gab', comme eux. Ce soir-là d'ailleurs, quelques jeunes défilent dans le hall, de bonne humeur, quelques bières et paquets de chips sous le bras. Blue et Sébastien se fréquentaient aussi dans ces soirées étudiantes qui, traditionnellement, se tiennent le jeudi dans les petits appartements des uns et des autres. Il leur arrivait de s'interpeller sur Facebook pour se rendre des petits services de voisins : "Je lui empruntais du sucre, il partageait son code wifi avec plusieurs personnes", raconte-t-elle. La routine.
D'ailleurs, "on attend de revoir sa voiture sur le parking", lance-t-elle enfin, souriante et avenante, mais émue. Elle peine à croire à ce qu'il se passe, à l'horreur de la situation. "On a d'abord eu peur qu'il soit mort, puis on a entendu ces rumeurs de massacre. On a du mal à imaginer que tout cela arrive à cette personne qu'on connaît." Elle a bien du mal à croire également à cette image de Sébastien en "suspect" qu'elle découvre à la télé, sans le reconnaître. "Ce n'est pas du tout le profil à chercher les ennuis. Non, c'est tout l'inverse", explique-t-elle. Que des soupçons se portent sur lui, "cela [l]'a blessée parce qu['elle] ne le voi[t] pas du tout comme une personne agressive".
Une adolescence ordinaire mais difficile ?
Les premières informations concernant la personnalité de Sébastien ont été dévoilées dimanche par l'AFP. Pour la source citée, il a "souffert de fragilités psychologiques". Interrogée par l'agence de presse, une amie de Charlotte Troadec détaille : "Son frère, on ne peut pas dire qu'il n'est pas normal, mais il est un peu spécial, dans son monde." "Timide", "pas très bien dans sa peau", "renfermé, mais amical"… Ses proches ne décrivent pas non plus un jeune homme sans faille, mais insistent tous sur "un simple trait de caractère".
C'est un geek, oui. Mais comme d'autres dans sa classe. Ça ne fait pas de lui un psychopathe !
Blue, une amie de Sébastienà franceinfo
La jeune femme concède n'avoir jamais évoqué avec lui d'éventuels problèmes à la maison. "On ne parlait pas de ça, mais tout le monde ne se confie pas facilement comme ça, à n'importe qui."
Un ami rencontré sur Facebook et cité par L'Express confirme pourtant une relation difficile avec son père, largement documentée dans les posts de l'ado. "Entre lui et son père, c'était très tendu verbalement", confie-t-il à l'hebdomadaire. "Plusieurs fois, sur Skype, je les ai entendus se hurler dessus. Il avait commencé à revivre quand il était parti de chez lui pour faire son BTS près de Cholet. Il y a eu un avant et un après." Un camarade de classe cité par Le Parisien assure pour sa part que Sébastien rentrait de moins en moins fréquemment à Orvault le week-end, préférant rester faire la fête avec ses amis.
Des similitudes avec l'affaire Dupont de Ligonnès
Fêtard mais introverti, passionné par l'objet de ses études mais inquiet quant à la réussite de sa scolarité... Les camarades de Sébastien Troadec dressent le portrait complexe d'un jeune homme "normal" pris dans un drame familial hors du commun.
Une affaire qui touche au mystère quand Ouest-France révèle, lundi, une similitude entre la disparition des Troadec et une autre histoire présente dans toutes les têtes depuis jeudi soir : l'affaire Dupont de Ligonnès. En 2011, les corps de trois personnes avaient été retrouvés dans le jardin d'une maison de Nantes, boulevard Schuman, à quelques kilomètres du domicile des Troadec, rue d'Auteuil à Orvault. Une famille dont le fils, Arthur, 20 ans, suivait le même BTS que Sébastien, à Saint-Laurent-sur-Sèvre. Le père, personnage insondable et secret, est toujours introuvable.
Dans cette nouvelle affaire nantaise, aucun corps n'a pour l'instant été retrouvé. La justice a ouvert une information judiciaire lundi soir pour homicides, enlèvements et séquestrations, confirmant les inquiétudes des enquêteurs. Elle a été ouverte contre X. En revanche, la première fiche de recherche lancée le 24 février par les policiers s'attardait, elle, particulièrement sur un membre identifié de la famille : Sébastien, dont la voiture est également activement recherchée.
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