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Témoignage franceinfo "La porte s'est ouverte et là, les frères Kouachi sont sortis"... Le récit d'un des premiers policiers arrivés à "Charlie Hebdo"

Les 17 policiers qui sont intervenus dans les locaux du journal satirique témoignent lundi, au procès des attentats de janvier 2015. Parmi eux, Jean-Sébastien B., un ancien de la BAC du 11e arrondissement de Paris. Il a accepté de revenir sur cette journée, en exclusivité sur franceinfo.

Article rédigé par franceinfo - Laure Debeaulieu
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Jean-Sébastien B. au Palais de justice de Paris, où se tient depuis le 2 septembre 2020 le procès des attentats de janvier 2015. (LAURE DEBEAULIEU / RADIO FRANCE)

"On est appelés pour un ou plusieurs coups de feu rue Nicolas Appert, sans autres précisions...."  Quand le brigadier Jean-Sébastien B. part en intervention ce mercredi 7 janvier 2015, il est loin d'imaginer qu'un attentat terroriste vient de viser la rédaction du journal Charlie Hebdo. Douze personnes vont perdre la vie ce jour-là, dont l'un de ses collègues. 

Lundi 14 septembre, cet ancien de la brigade anti-criminalité du 11e arrondissement de Paris va témoigner au procès des attentats de janvier 2015, avec 16 autres policiers, qui eux aussi ont fait face aux frères Kouachi. Avant de s'exprimer à la barre, il a accepté de se confier en exclusivité à franceinfo. 

L'un des premiers sur les lieux

Jean-Sébastien B. est ce qu’on appelle dans le jargon juridique et policier un "primo intervenant". Le jour de l'attaque du journal Charlie Hebdo, il fait partie du premier équipage qui arrive sur les lieux. Ils sont quatre policiers dans la voiture. Le brigadier descend avec l'une de ses collègues et se rend à pied jusqu’au numéro 10 de la rue Nicolas Appert, où se trouve le siège de l'hebdomadaire satirique. "Déjà, je n’étais même pas au courant que les locaux de Charlie Hebdo étaient là, explique-t-il. On est appelés pour un ou plusieurs coups de feu, sans autres précisions, se souvient-il. C’est une rue très calme où il ne se passe jamais rien. C’est donc en alerte mais sans comprendre ce qui se passait que nous arrivons sur place."

La première personne que l’on voit est un agent de maintenance. Il nous indique que des individus sont entrés et ont tiré sur son collègue.

Jean-Sébastien B.

à franceinfo

Et puis c’est la stupeur. Le duo de policiers entend plusieurs déflagrations, "la porte s'est ouverte et là, les frères Kouachi sont sortis, on les a pris de pleine face, on ne savait pas du tout ce qui nous arrivait", raconte Jean-Sébastien B. "Dans un premier temps je les ai pris pour des collègues, type RAID ou BRI, au vu de leur tenue, mais rapidement de nouveaux coups de feu ont éclaté", poursuit-il. Sa collègue et lui prennent la fuite dans des directions différentes. "J’ai réussi à me dissimuler contre un mur sur une allée perpendiculaire et là les collègues sont arrivés en VTT", raconte-t-il.

À une vingtaine de mètres de la scène, le policier entend de nouveaux coups de feu. "Le temps m’a paru interminable, se souvient-il. Je les voyais tirer sans savoir sur quoi ou qui. J’étais impuissant." Une frustration qu'il a encore du mal à admettre aujourd’hui. 

J'étais dans l'impossibilité de réagir, il suffisait que je bouge pour qu’ils se rendent compte de ma présence.

Jean-Sébastien B.

à franceinfo

"Je me suis tout de suite rendu compte que le combat était totalement inégal entre leur armement et le mien. Il n'y a qu'au moment où ils sont remontés dans leur véhicule et qu'ils ont commencé à partir que j'ai pu bouger", confie le policier.

L'effroyable tuerie

Le brigadier tente alors de transmettre les informations, mais la radio de la police est saturée d’appels. Au milieu de la rue, il tire sur les terroristes, en vain. "Avec mon arme ça ne servait à rien, j’étais loin et je ne pouvais pas les atteindre", raconte-t-il. Il assiste à l’arrivée du troisième équipage de police, en voiture, qui devra reculer sous l’assaut des attaquants, lourdement armés.

Jean-Sébastien B. fonce alors sur le boulevard Richard-Lenoir. Il entend de nouveaux tirs qui se rapprochent. "A ce moment-là je pensais qu’ils (les frères Kouachi) avaient quitté leur voiture et déambulaient sur le boulevard. Et là j’entends sur ma radio : 'C’est bon chef, c’est bon chef'." Cette phrase sonne pour lui comme un dénouement. Il pense que ses collègues ont réussi à maîtriser les attaquants. Il saura bien plus tard que cette phrase prononcée par son collègue Ahmed Mérabet, lui aussi policier de la BAC, s'adressait en fait à Chérif Kouachi. Le terroriste vient de lui tirer dessus. Ahmed Mérabet est à terre et implore l'assaillant qui se rapproche de lui de ne pas le tuer, en vain. Il sera exécuté à bout portant. Jean-Sébastien B. arrive sur les lieux et voit mourir son collègue.

J’ai couru et je l’ai vu allongé par terre, j’ai vu dans ses yeux que ça n’allait pas du tout.

Jean-Sébastien B.

à franceinfo

Ce sera ensuite le retour dans les locaux de Charlie Hebdo et la découverte d'une autre scène terrible "Un nuage de fumée, un brouillard, je vois des ombres, il y a une odeur de métal, de sang, un silence de mort, se souvient encore Jean-Sébastien B. Il y avait des corps partout, deux pompiers venaient d’arriver sur les lieux et m’ont dit : 'Il y a beaucoup de victimes, appelez un maximum de monde'." Mais lui a une obsession à ce moment-là : vérifier qu’ il n’y a pas de bombe ou d’engin explosif dans le bâtiment. Il fait le tour des locaux découvrant dans un même temps l’effroyable tuerie.

Quand il quitte le siège du journal, il a l’impression d’être seul au monde. "Je descendais les marches et face à moi, dans l’autre sens, montait une marée humaine. Pourtant j’étais seul", dit-il. Des dizaines de secouristes, médecins, pompiers, policiers spécialisés affluent. Jean-Sébastien B. quitte les lieux, à contre-courant.

"Deux ans après je ne pensais encore qu’à ça" 

Dans les jours qui ont suivi, le policier ne se laisse pas aller à des états d’âme. Sa femme, policière elle aussi, ne travaillait pas le jour de l’attentat. "J’étais chez le pédiatre pour notre fille quand c’est arrivé", confie-t-elle à franceinfo. Pour elle, son mari est un miraculé. Elle le soutiendra dans sa volonté de vouloir servir encore, après l’attentat. "Il fallait que je continue à protéger les gens, on était entrés dans une ère nouvelle, on avait besoin de nous", explique Jean-Sébastien B. 

Et puis son terrain d’action est à nouveau frappé, le 13 novembre 2015. Le 11e arrondissement de Paris vit encore l’horreur. Les attentats des terrasses et du Bataclan font 137 morts.

J’avais alors le sentiment que notre travail désormais serait de chasser des terroristes. Qu’il allait en sortir de partout.

Jean-Sébastien B.

à franceinfo

Cette hyper vigilance qui l’habite a raison de lui : "Je n’avais jamais de répit, la nuit, le jour, pendant le travail, pendant mes repos, on ne sortait plus, on était constamment sur le qui-vive, même quand on allait faire les courses." 

Et le temps passe. "Un an, deux ans, je ne pensais encore qu’à ça, et plus ça allait, plus ça m'agaçait d'y penser, je ne voulais plus y penser", confie le policier. Ses proches lui conseillent fortement d’aller consulter. Il suit ce conseil, puis quitte Paris et son univers qui pour lui est devenu hostile. "On en est arrivés au point que la vie en région parisienne n’était plus possible pour moi", explique-t-il. La famille s’installe en province. Depuis, Jean-Sébastien B. "retrouve de la sérénité en-dehors des heures de travail", dit-il. Pas question de quitter le terrain pour autant, trop attaché à son rôle de policier protecteur des populations. C’est sa raison de vivre. Il prend un poste dans une brigade spécialisée de terrain.

Comprendre pour pouvoir accepter

Depuis cinq ans, de nombreux changements sont intervenus dans l’armement, les protocoles d’interventions, les transmissions radio de la police. De son côté, Jean-Sébastien B. suit régulièrement des formations pour obtenir des habilitations spécifiques pour pouvoir utiliser des armes plus puissantes. Malgré le traumatisme, il n’a raté que quelques heures d’audience du procès des attentats de janvier 2015, qui doit juger jusqu'au 10 novembre 13 hommes et une femme accusés d'avoir aidé Chérif et Saïd Kouachi, ainsi qu'Amedy Coulibaly à commettre leurs exactions contre la rédaction de Charlie Hebdo, contre le supermarché Hyper Cacher de la porte de Vincennes et dans les rues de Paris et Montrouge. "J’ai besoin d’éclaircir beaucoup de zones d’ombre, de connaître la chronologie des faits pour comprendre toute l’histoire, explique le policier. Il y a des choses que j’ai perçues qui sont en fait différentes de la réalité. Par exemple le passage des frères Kouachi à l’intérieur des locaux [de Charlie Hebdo]... Je n’avais pas compris qu’il avait été aussi court, moins de 2 minutes." 

Aujourd’hui je voudrais mettre un point final à tout cela, et le procès m’y aidera.

Jean-Sébastien B.

à franceinfo

Traumatisé mais solide, ce policier investi espère voir des accusés "qui assument leur rôle dans les attentats de janvier 2015". Il assure avoir une entière confiance en la justice.

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