Attaque au couteau à Annecy : que sait-on du parcours migratoire du suspect jusqu'à son arrivée en France ?
L'émotion est encore vive après l'attaque au couteau qui s'est produite près du lac d'Annecy (Haute-Savoie), jeudi 8 juin, et qui a fait six blessés, dont quatre enfants de 22 à 36 mois. L'enquête est toujours en cours concernant le profil de l'assaillant, mais plusieurs responsables politiques ont commencé à soulever des questions sur le parcours migratoire de ce Syrien de 31 ans. "Il y a eu des défaillances, (...) il n'était pas en situation régulière", s'est indignée vendredi la patronne du groupe Rassemblement national à l'Assemblée, Marine Le Pen, sur Europe 1. Il y a "une gestion catastrophique de l'asile en Europe", a ajouté au même moment Eric Ciotti, le président des Républicains, sur France 2. Voici ce que l'on sait sur la trajectoire d'Abdalmasih H., toujours en garde à vue vendredi après-midi.
Un statut de réfugié en Suède depuis 2013
Abdalmasih H., né en 1991, se dit chrétien d'Orient et a d'ailleurs crié en anglais "au nom de Jésus-Christ" lors de l'attaque. Après avoir servi dans l'armée syrienne, cet homme a quitté son pays en 2011 au début de la guerre civile, rapporte sa mère à l'AFP. Entré clandestinement en Turquie, il y a rencontré sa future épouse, une compatriote, et le couple s'est installé en Suède. Abdalmasih H. y a ensuite obtenu l'asile en 2013 et a vécu dans le sud-ouest du pays pendant dix ans. Selon l'autorité suédoise des migrations, il a échoué à plusieurs reprises, depuis 2017, à obtenir la nationalité suédoise.
Ce père d'un enfant de 3 ans s'est séparé de sa compagne à l'automne dernier. Son ex-femme a déclaré auprès de l'AFP qu'Abdalmasih H. avait quitté la Suède parce qu'il n'arrivait pas à obtenir la nationalité suédoise. "Nous nous sommes séparés car je ne voulais pas quitter la Suède", a-t-elle confié au téléphone. Ce départ a eu lieu "il y a huit mois", toujours selon la jeune femme.
Un refus de demande d'asile en France
Il y a huit mois, Abdalmasih H. arrive donc en France, à Annecy. Du point de vue du droit de l'Union européenne, l'homme était alors en situation régulière, puisque la France, comme la Suède, fait partie de l'espace Schengen. Un réfugié peut séjourner dans n'importe quel pays de cet espace pour une durée de trois mois (au-delà, il lui faut un visa), sauf si sa demande d'asile est en cours d'examen. L'assaillant est "entré de manière régulière en France grâce à son statut de réfugié obtenu en Suède", a confirmé sur Twitter Camille Chaize, porte-parole du ministère de l'Intérieur. "Pour des raisons qu'on n'explique pas bien, il a également fait des demandes d'asile en Suisse, en Italie et en France", a également rapporté le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, sur TF1.
Le 27 octobre 2022, l'homme a effectivement déposé une demande d'asile à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Cette dernière a été enregistrée fin novembre. "Il est resté régulièrement sur notre sol comme demandeur d'asile durant le temps de l'examen de sa demande d'asile", ajoute la porte-parole du ministère de l'Intérieur. Après étude du dossier, le 26 avril, l'Ofpra déclare cette demande irrecevable, Abdalmasih H. ayant déjà obtenu le statut de réfugié en Suède. Ce refus lui est notifié le 4 juin, c'est-à-dire dimanche dernier. Le suspect était-il encore en situation régulière après s'être vu notifier le refus de l'Ofpra ? "Il était dans le délai pour faire appel, puisqu'il dispose d'un mois", répond le ministère de l'Intérieur à franceinfo, précisant que cet appel n'avait pas été formé à l'heure de l'attaque.
Pour autant, "il ne bénéficiait plus de droit au maintien sur le territoire s'agissant d'une décision d'irrecevabilité de l'Ofpra", rappelle sur Twitter le professeur de droit public Serge Slama, qui s'appuie sur l'article L542-2 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Abdalmasih H. était donc théoriquement expulsable du territoire français. Mais pour l'administration, le délai s'est révélé un peu court. "Une demande de réadmission auprès des autorités suédoises pouvait être formée, au mieux, à partir du 8 juin, date à laquelle la décision d'irrecevabilité rendue par l'Ofpra a été notifiée à la préfecture, explique à franceinfo le ministère de l'Intérieur. L'exécution de la décision de réadmission aurait néanmoins supposé l'accord préalable de la Suède. En tout état de cause, la mise en œuvre de cette procédure aurait pris plusieurs jours."
Une situation de précarité à Annecy
Abdalmasih H., "un réfugié politique qui serait sans domicile fixe", n'était "ni sous l'emprise de stupéfiants ni sous l'emprise d'alcool" au moment des faits, a déclaré la procureure d'Annecy, Line Bonnet-Mathis, devant la presse, jeudi. Son nom ne figurait en outre dans aucun fichier de police, il n'était connu "d'aucun service de renseignement" et n'a pas "d'antécédent psychiatrique identifié", selon la Première ministre, Elisabeth Borne, qui s'est rendue sur place.
Plusieurs témoignages font état de la précarité du suspect ces dernières semaines. "Le soir, il arrivait à 18 heures, il faisait son lit sur un carton, il se lavait les dents et il dormait", raconte une habitante à France 2. Dimanche dernier, le suspect a été contrôlé par la police car "il se serait lavé dans le lac d'Annecy", a également précisé Gérald Darmanin sur TF1. "Une main courante a été faite et il n'y avait rien à lui reprocher particulièrement." Ce même dimanche, quatre jours avant son passage à l'acte, Abdalmasih H. apprend que sa demande d'asile lui est refusée. Une "coïncidence troublante", pour le ministre de l'Intérieur.
Selon la mère du suspect, interrogée par l'AFP, l'homme souffrait d'une "grave dépression" et ces refus ont aggravé son état. "On sait que, chez les personnes migrantes, il y a des risques plus importants de développer des troubles psychiatriques. Cela est lié à des facteurs psycho-sociaux qui trouvent leurs racines dans leur pays d'origine et qui se développent dans le pays d'arrivée", analyse pour l'agence de presse la psychiatre spécialisée Andrea Tortelli. "La politique de non-accueil les fragilise et augmente la vulnérabilité psychologique de ces personnes."
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