Qui était la milliardaire Hélène Pastor, l'héritière du "maçon de Monaco", assassinée en 2014 ?
Le procès des meurtriers présumés débute le 17 septembre à la cour d'assises d'Aix-en-Provence.
Venus de Marseille, les tireurs n'ont pas raté la cible qu'ils guettaient à la sortie de l'hôpital de Nice, ce 6 mai 2014. Grièvement blessée, la multimilliardaire Hélène Pastor, qui venait de rendre visite à son fils malade, Gildo, meurt quinze jours plus tard, à 77 ans. Son chauffeur, Mohamed Darwich, 64 ans, décède le 10 mai.
Quatre ans plus tard, dix accusés, dont Wojciech Janowski, le gendre de la richissime Monégasque, doivent répondre de ce double assassinat, à partir de lundi 17 septembre, devant la cour d'assises d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Peu de mystère autour des motivations : la clé du crime semble bel et bien être l'immense pactole dont Hélène Pastor était l'héritière. Mais qui était cette fille d'un magnat de l'immobilier, peu connue du grand public français ?
La fille du "maçon de Monaco"
"Les Pastor ? Ce sont les maçons de Monaco !", s'exclame Laurent Chabrun, qui a publié en 2016 Monaco, plongée en eaux troubles (éditions First). Tailleur de pierres, le fondateur de la dynastie, Jean-Baptiste, quitte au XIXe siècle sa Ligurie natale, en Italie, pour s'installer à Monaco. Surfant sur le boom immobilier d'après-guerre, son fils Gildo fera prospérer l'entreprise familiale au point de devenir la première fortune du Rocher. Le tout avec la bénédiction de Rainier III qui règne sans partage, de 1949 à 2005, sur les 2 km2 de la principauté. "Gildo et le prince s'entendent sans contrat et se comprennent à demi-mot. Pas d'amitié, mais un respect mutuel", écrit Paris Match, avant de préciser, un peu plus loin, que "le prince a tout pouvoir" sur le bétonnage de la principauté, aucun appel d'offres n'étant obligatoire.
Main dans la main avec Rainier, donc, "Gildo Pastor devient le premier grand promoteur de Monaco, explique Laurent Chabrun. Il enterre la voie ferrée qui traverse l'agglomération et rachète à bas prix les terres du quartier du Larvotto, à l'est de la ville".
Il a construit un quartier entier face à la mer, avec de grands immeubles résidentiels de vingt à trente étages.
Laurent Chabrun, auteur de "Monaco, plongée en eaux troubles"à franceinfo
Fructueux investissement : selon les estimations de Paris Match, Gildo possède, à la fin de sa vie, un "bon quart de la principauté". Autant dire de l'or en barres dans cette cité-Etat où le prix du mètre carré tutoie, à l'achat, les 50 000 euros, et où le moindre studio se loue 3 000 euros par mois. Les riches se bousculent au portillon : "Russes, Italiens ou autres, les étrangers sont prêts à payer beaucoup pour être résident monégasque puisqu'ils ne paient pas d'impôts [à l'exception des Français, qui ne bénéficient pas de cet avantage]", détaille la journaliste Hélène Constanty, qui a raconté le meurtre d'Hélène Pastor dans une bande dessinée, Monaco d'or et de plomb (La revue dessinée, numéro 13, automne 2016). "Ce qui explique qu'à Monaco, les loyers soient les plus chers du monde".
Une femme d'affaires "rudoyant" les locataires
L'âge venant, le promoteur hors pair initie sa progéniture aux secrets des affaires. Il lui transmet surtout, selon Vanity Fair (article abonnés), cette "loi d'airain" : "ne jamais vendre, seulement louer". A la mort du patriarche, en 1990, les trois enfants de Gildo, Victor (né en 1936 et décédé en 2002) Hélène (née en 1937 et tuée en mai 2014 ) et Michel (né en 1943 et mort en février 2014), se partagent une rente locative fabuleuse, fruit d'un patrimoine inestimable.
A elle seule, Hélène Pastor récupère un tiers du patrimoine, soit plus de 1000 appartements dans six immeubles, d'une valeur de plus de 10 milliards d'euros.
Hélène Constanty, auteure de "Monaco d'or et de plomb"à franceinfo
Si ses frères ouvrent des sociétés de courtage et diversifient leurs activités, Hélène, elle, se contente d'administrer ses biens et de diriger d'une main de fer son empire immobilier. Du côté de l'entreprise familiale, on évoque une dirigeante "dévouée à son travail, qui venait chaque jour à son bureau" dans l'immeuble Gildo Pastor Center, dont elle avait hérité. "En tailleur Chanel, derrière son bureau orné d'une photo de son père, Hélène a reçu pendant des années ses locataires, leur accordant des 'audiences', émaillées de propos sur ses ancêtres, avant de les rudoyer", dépeint Paris Match.
"On la voit peu sur les photos des soirées mondaines"
La patronne n'était pas commode, au point que la police n'avait pas exclu, juste après l'assassinat, l'hypothèse d'une vengeance de la part d'un salarié licencié ou d'un locataire éjecté. "Elle a donné d'elle une image dure et austère, remarque Hélène Constanty. Dure en affaires, dure avec le personnel, dure avec les locataires sur l'encaissement des loyers". Elle veillait au moindre détail, souligne Vanity Fair, "exigeant la vérification des bondes de lavabo ou des lunettes de toilette à la fin du bail, envoyant les huissiers si nécessaire".
Cette brune d'apparence stricte ne s'épanchait guère sur ses passe-temps. On sait juste, selon Le Monde (article abonnés), qu'elle aimait "promener son chien sans garde du corps" et qu'elle fuyait les mondanités. L'Agence France Presse, d'ailleurs, n'a pas de portrait d'elle, et les clichés sont rares. "Quand on regarde les photos des bals, des soirées mondaines, on la voit peu", souligne Hélène Constanty. Dans la fratrie, c'étaient ses frères et surtout Michel, médiatique président de l'AS Monaco (de 2004 à 2008) et beau-père de David Hallyday, qui captait la lumière.
Faut-il la qualifier de discrète pour autant ? "Non, s'étonne-t-on, au sein de son entreprise. Elle restait une personnalité connue des Monégasques, issue de la famille la plus connue de Monaco après celle du prince. C'était un pilier de la principauté, qui se montrait extrêmement généreuse pour les associations monégasques".
Un amour de jeunesse brisé par son père
Son travail et sa famille paraissaient remplir sa vie. "Ses enfants étaient tout pour elle", assène le détective privé Patrick Boffa, qui la connaissait depuis la fin des années 1980. "Elle a toujours voulu les protéger". D'autant plus que sa fille, Sylvia Ratkowski-Pastor (née en 1961), et son fils, Gildo Pallanca Pastor (né en 1967), sont issus de deux unions qui se sont mal terminées.
A moins de vingt ans, Hélène était tombée amoureuse d'un Polonais "simple barman", selon Vanity Fair, "en tout cas, quelqu'un de condition modeste", complète Hélène Constanty. "Cette liaison, dont est née Silvia Ratkowski-Pastor, n'a pas plu à Gildo Pastor, le père, soutient le détective. Il a tout fait pour séparer le couple, l'exfiltrant lui en Allemagne, elle en Angleterre. Hélène Pastor m'a confié que cette séparation avait été une grande souffrance."
Et puis, en 1989, c'est elle qui a souhaité se séparer de son second conjoint, le chirurgien-dentiste monégasque Claude Pallanca, chargeant Patrick Boffa de lui fournir les preuves pour obtenir un "divorce aux torts exclusifs de son époux, qu'elle soupçonnait de la tromper", déroule le détective.
"Elle craignait son gendre depuis le premier jour"
Ce divorce accentue-t-il sa méfiance envers les pièces rapportées, toujours soupçonnées de loucher sur les milliards amassés par la famille Pastor ? En 1990, la riche cliente rappelle le détective. Elle réclame, cette fois, "un rapport complet" sur le compagnon de sa fille Sylvia, Wojciech Janowski.
Mme Pastor craignait son gendre depuis le premier jour. Elle l'a très vite accusé de mentir.
Le détective Patrick Boffaà franceinfo
Car Sylvia s'est éprise de ce businessman polonais aux projets nébuleux en qui elle semble avoir totalement confiance. La jeune femme lui confie les yeux fermés la cagnotte du ménage, soit une coquette somme puisque sa mère lui alloue, comme à son frère, 500 000 euros de pension mensuelle. Ce qui permet à Wojciech Janowski d'offrir à sa compagne de somptueux cadeaux : yacht, appartement, etc.
Mandaté par Hélène Pastor, Patrick Boffa démonte rapidement le CV du concubin de Sylvia. "Il n'a jamais été diplômé de Cambridge, pas plus qu'il n'a été directeur d'hôtels et de casinos, comme il l'affirmait", déclare-t-il à franceinfo. "Tout était faux", martèle aussi le privé dans Nice-Matin, preuves à l'appui. Au début des années 1990, selon ses dires, l'enquêteur remet à Hélène Pastor cinq feuillets accablants sur son gendre. La mère les donne à la fille, et la fille à son compagnon... qui somme sa belle-mère d'arrêter de l'espionner. Ambiance.
"Le vendredi soir, elle paniquait avant de passser le week-end seule"
Mais le privé et sa cliente continuent à se voir dans des endroits discrets, "des palaces pour étrangers" où ils se sentent à l'abri des regards pour parler librement de Janowski. Au fil du temps, la septuagénaire apparaissait de plus en plus inquiète, selon le détective. "Elle m'appelait, dit Patrick Boffa, à n'importe quelle heure, le jour ou la nuit. Le vendredi soir, elle paniquait avant de passser le week-end seule, dans son appartement du Trocadéro [l'immeuble où elle résidait]. J'ai des longs messages de détresse d'elle, que j'ai enregistrés. Elle craignait que son gendre ne corrompe le personnel pour lui nuire, voire pire. Elle n'était pas tranquille".
La suite lui a-t-elle donné raison ? La justice devra déterminer les responsabilités de chacun, lors du procès qui doit se tenir jusqu'au 19 octobre. Toujours est-il que le coach sportif de Wojciech Janowski, Pascal Dauriac, a reconnu dès 2014 avoir organisé le meurtre et recruté les tueurs marseillais, et affirme l'avoir fait à la demande du gendre. Après être passé dans un premier temps aux aveux "alors qu'il n'avait ni avocat ni interprète", rappelle son défenseur Luc Febbraro, celui-ci a rapidement clamé son innocence. Ses dénégations n'ont pas convaincu la justice : Wojciech Janowski est depuis quatre ans derrière les barreaux. L'enquête a démontré que l'homme avait d'importants problèmes d'argent. Devant la cour d'assises, il devra s'expliquer aux côtés de neuf autres personnes poursuivies à ses côtés pour assassinats, complicité d'assassinats, et association de malfaiteurs.
Ce roman familial navre ceux qui avaient rêvé meilleur polar, sur cette Côte d'Azur où se côtoient mafias et malfrats de tous acabits, attirés par l'argent et le soleil. A l'arrivée, déplore Laurent Chabrun, "c'est une affaire d'une consternante banalité". Le cancer du sein qui a frappé Sylvia Pastor au début des années 2010 a peut-être servi de "catalyseur", avance Hélène Constanty. Son compagnon – non marié – s'est sans doute dit que la poule aux œufs d'or risquait de disparaître".
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