Affaire Théo Luhaka : les vidéos de sa violente interpellation diffusées au deuxième jour du procès

Trois policiers comparaissent depuis mardi 9 et jusqu'au vendredi 19 janvier devant les assises de Seine-Saint-Denis à Bobigny, dont l'auteur du coup de matraque poursuivi pour "violences volontaires ayant entraîné une infirmité permanente".
Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
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Temps de lecture : 5 min
Théo Luhaka sera entendu le 15 janvier 2024 devant la cour d'assises de Seine-Saint-Denis. (THOMAS SAMSON / AFP)

Au deuxième jour du procès dit de l'affaire Théo, devant les assises de Seine-Saint-Denis à Bobigny, mercredi 10 janvier, la cour a examiné les faits en détail. L’occasion de visionner notamment les vidéos de la scène où Théo, jeune homme de 22 ans au moment des faits, a été grièvement blessé à l'anus par un coup de matraque, au cours d'une interpellation par des policiers en février 2017 à Aulnay-sous-Bois. Trois policiers sont accusés, dont l’auteur du coup de matraque poursuivi pour "violences volontaires ayant entraîné une infirmité permanente". Il encourt 15 ans de réclusion.

La cour d'assises visionne l'extrait de la vidéosurveillance de la ville d'Aulnay-sous-Bois, ce soir du 2 février 2017 sur la dalle dite du "Cap", connue des forces de l’ordre comme un lieu de trafic de drogue. On y voit Théo tenter de s’interposer alors que quatre fonctionnaires veulent procéder au contrôle d'identité d’un groupe de jeunes. Puis Théo se retrouve contre un muret, où trois policiers en tenue l'immobilisent. Il se débat et reçoit un coup de matraque par-derrière qui le fait tomber. Est-ce ce coup qui a provoqué ses lésions irrémédiables au rectum ? Ou un autre coup qui lui aurait été porté ensuite dans une autre zone où il est conduit à quelques mètres, une zone non filmée et où il est resté 2 minutes 30 avant d’être emmené dans le véhicule de police ? Rien ne semble évident à ce stade du procès.

L'IGPN défend la "bonne foi" du policier auteur du coup de matraque

À la barre, un commissaire enquêteur de l'IGPN, la police des polices, commente sobrement la vidéo et qualifie les gestes des fonctionnaires de "réglementaires", selon lui. La cour regarde la photo de la housse du siège de la voiture de police largement tachée du sang de Théo. Ce n'est qu'une fois le jeune homme arrivé au commissariat qu'une policière à l'accueil s'est préoccupée de ses saignements importants à l'entrejambe. Le commissaire de l'IGPN parle pourtant de "réactivité remarquable" des équipes, explique que le policier qui portait la matraque semblait de "bonne foi" en audition, quand il trouvait "incompréhensible, invraisemblable, improbable" qu'un de ses coups ait pu produire une telle blessure.

L'avocat de Théo, Antoine Vey, lui lâche : "Mais Monsieur, vous n’avez pas envisagé un instant, que cela puisse être non pas de la bonne foi mais du déni, voire de la concertation ? Pourquoi l'un des trois policiers a-t-il effacé de son téléphone la photo humiliante qu'il avait prise de mon client, en sang, au sol au commissariat ? Pourquoi l'auteur du coup de matraque a commencé par dire que c'est la victime qui avait glissé toute seule sur ce bâton télescopique ? Pourquoi ces policiers n'ont pas tout de suite appelé les secours ? Ces questions-là ne vous taraudent pas ? Vous ne vous y attardez pas", dénonce Antoine Vey. Une façon, pour l'avocat, de pointer du doigt le manque d’impartialité de l'enquêteur de l'IGPN. Ce dernier balbutie : "Je n'étais pas sur place" ou encore "vous poserez les questions aux intéressés", "je ne sais pas". Le commissaire ne passe pas un très bon moment.

Plus tard une de ses collègues de l'IGPN à son tour questionnée par la cour se contentera le plus souvent de monosyllabes pour répondre à Thibault de Montbrial, avocat du principal policier mis en cause, facilitant la démonstration pour établir que son client avait eu une réponse proportionnée et légitime face à la résistance du jeune Théo, et même qu'"il a opté pour une des réponses les plus légères parmi toutes les possibilités qu'il avait". Cela a de nouveau agacé le conseil de Théo Luhaka. "On a bien compris que ce sont là des policiers qui soutiennent des policiers". Thibault de Montbrial réplique un peu plus tard : "Ce procès n'aurait même pas dû avoir lieu, nous allons le gagner". C'étaient les premiers éclats de voix de ce procès.

Théo troublé par les visionnages de ces vidéos et photos du dossier

Comme les trois policiers accusés, Théo Luhaka suit tout cela avec beaucoup d’attention. Il ne manque pas une minute de l'audience, lui dont on n'a pas encore entendu le son de la voix depuis le début du procès mardi. Théo, qu'on voit à chaque suspension sortir en boitant de la salle, est très entouré de ses proches, ainsi que d’autres personnes. Le président de SOS Racisme Dominique Sopo est ainsi assis à quelques mètres derrière lui.

Théo, discret, impassible, visage fermé, a semblé troublé quand la cour a regardé les photos de ses vêtements le jour de l'interpellation : un tee-shirt de foot bleu taché de sang, un pantalon de jogging noir mais surtout la photo de son caleçon ce jour-là. C'est un caleçon aux couleurs du drapeau américain, avec des bandes et des étoiles, mais le sous-vêtement est surtout largement maculé de sang, avec un trou de quelques centimètres au milieu. L'image a suscité un frisson dans la salle. On imagine aisément l’importance de l’hémorragie et l’intensité de la douleur qui y était associée.

Depuis son banc, Théo regarde cette image sur l’écran puis place ses mains devant son visage. On devine que le moment est rude pour lui. L’intimité de la zone visée rend évidemment les descriptions de la blessure délicates pour les uns et les autres dans ce procès. Théo le sait, de ce point de vue, la journée de vendredi 12 janvier sera difficile. Plusieurs gastro-entérologues, proctologues et chirurgiens experts viendront détailler leurs rapports médicaux sur ses plaies et ses séquelles, tout cela devant cette salle d’assises comble. Ce n’est ensuite que lundi qu’il sera entendu sur sa version et son vécu des faits. Le verdict est attendu le 19 janvier.

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