Affaire Théo : "Les quartiers populaires de plus en plus traités comme une sorte de réserve indigène"
La sociologue Nacira Guénif insiste mardi sur l'isolation des quartiers depuis 30 ans pour expliquer les incidents qui ont suivi l'interpellation violente de Théo à Aulnay-sous-Bois.
Plus de dix jours après l'interpellation violente de Théo à Aulnay-sous-Bois, les nuits d'incidents et de violences urbaines s'enchaînent. Douze personnes ont été interpellées dans la nuit de lundi à mardi en Seine-Saint-Denis. Lundi, le gouvernement a lancé un appel au calme. François Hollande se rend à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) mardi 14 février pour évoquer l'emploi des jeunes. Le ministre de l'Intérieur, Bruno Le Roux se déplace, lui, à Sarcelles (Val-d'Oise). Mais pour la sociologue, Nacira Guénif, professeure à l'université Paris VIII, ce quinquennat comme ceux d'avant sont passés "à côté du problème" des banlieues, durant "les 30 dernières années".
franceinfo : Le quinquennat est-il passé à côté des problématiques de la banlieue ?
Nacira Guénif : C'est à craindre. Ça n'est pas simplement le quinquennat, ce sont les 30 dernières années qui sont passées à côté du problème. C'est une conséquence des dégradations des relations et de la police qui dure depuis trois décennies et qui a conduit parfois à des morts. Il s'agit de toute une société qui ne parvient pas à faire face à la réalité des quartiers populaires. Ces derniers sont de plus en plus isolés, et traités comme une sorte de réserve indigène dans laquelle on peut tout se permettre et dans laquelle l'impunité est complète.
Les policiers sont-ils assez bien formés pour exercer dans ces banlieues ?
Il y a un problème de formation, d'apprentissage et de discernement. Il faut savoir si la police est là pour contrôler la population et exercer une sorte de contrôle colonial, ou s'il s'agit pour les forces de l'ordre d'être un gardien de la paix, ce qu'attendent les habitants depuis des décennies.
Aujourd'hui le contact avec la police est totalement rompu et les relations sont fondées uniquement sur une sorte de crainte et de menace permanente qu'elle exerce auprès des habitants et notamment de la jeunesse.
Nacira Guénif, sociologueà franceinfo
La formation des forces de l'ordre devrait aussi porter sur le fait de ne pas avoir une pratique fondée sur des sentiments et des préjugés racistes. Il est à craindre que ce soit devenu la banale réalité de la police française aujourd'hui.
Ce qui a changé depuis les émeutes de 2007, c'est que maintenant on filme beaucoup, et il est plus difficile d'imposer une version des faits...
Le fait de filmer est aujourd'hui quelque chose qui peut être à double tranchant parce que l'interprétation des faits, lors des procès, n'est pas plus favorable aux personnes qui peuvent subir des exactions. On peut aussi rendre des verdicts contre la réalité des faits qui peuvent être avérés par les images. Il va falloir être de plus en plus attentif. Filmer aujourd'hui est une manière d'exercer sa citoyenneté et son engagement citoyen auprès de l'exercice de la vérité et d'une justice qui soit enfin au service des habitants, et pas simplement d'une institution qui a pu s'installer dans une forme d'impunité de plus en plus préoccupante.
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