"Ça m'aurait marqué, quand même !" : au procès de Monique Olivier, son fils, Selim, assure n'avoir jamais vu Estelle Mouzin
Il a d'abord servi d'instrument. Selim se trouvait dans le ventre de sa mère lorsque Marie-Angèle Domece, 19 ans, a été enlevée, tuée et violée par Michel Fourniret, le 8 juillet 1988, dans l'Yonne. Le ventre rond de Monique Olivier avait servi d'appât. Il avait 2 ans lorsque son père a fait subir le même sort à Joanna Parrish, 20 ans, près d'Auxerre. Quand Estelle Mouzin, 9 ans, a été enlevée, séquestrée et tuée début janvier 2003, le fils du couple criminel était âgé de 14 ans et demi. Toutefois, l'homme de 35 ans qu'il est devenu a assuré, mercredi 13 décembre, ne se souvenir de rien.
Entendu par visioconférence au procès de sa mère jugée pour complicité dans ces trois crimes, Selim s'est grimé comme un acteur pour cette audition qu'il espérait à huis clos. Il porte une perruque bleue tout droit sortie d'un magasin de farces et attrapes, assortie à sa doudoune, ainsi qu'une fausse barbe et le même modèle de lunettes que son père. Mais pour le trentenaire à l'étrange attirail, ce sont ses parents, les comédiens. "J'ai vécu pendant quinze ans avec des acteurs, ils ne parlaient pas de ce qu'ils faisaient et leur vraie nature, l'acteur papa, l'acteur maman", lance-t-il devant la cour d'assises des Hauts-de-Seine, sous l'œil attentif de l'accusée dans le box.
Quinze ans de souvenirs en pointillés
"J'ai bien peur qu'il ait fait un 'reset' de toute cette période", avait, il y a quelques jours, prévenu à la barre la juge d'instruction Sabine Khéris. "J'ai envie de m'en rappeler et... j'aimerais bien oublier aussi parfois", explique Selim, dont le témoignage est haché par une toux bruyante. "J'ai peur que ça réveille des traumatismes", ajoute-t-il. Des quinze années passées avec Monique Olivier et Michel Fourniret, il ne se remémore que la maison de Sart-Custinne, en Belgique, quelques "vacances au bord de la mer du Nord" et en "Vendée". Le "paternel" n'est pas violent physiquement mais "verbalement", "autoritaire", "pas aimant", sévère sur les devoirs. Quant à "Monique", qu'il n'appelle plus maman depuis qu'il a "appris la vérité", "nous étions proches, nous étions bien".
"ll y a eu des bons moments tous les trois mais généralement, la plupart du temps, c'était plus craintif. Quand j'étais avec Monique, on disait : 'Attention, il arrive !'"
Selim, fils de Monique Olivier et Michel Fourniretdevant la cour d'assises des Hauts-de-Seine
Certains détails lui reviennent, comme l'immatriculation du Jumpy, qui a servi pour de nombreux enlèvements, ainsi que "le tractopelle" de "Michel", utilisé pour enfouir les victimes au château du Sautou, dans les Ardennes. Le reste de sa vie, Selim l'a lu "dans la presse" ou "sur les réseaux sociaux". Comme cette fois où ses parents l'ont emmené avec eux pour approcher une jeune professeure de piano japonaise, en 1988. Il avait 9 ans. A la barre, cette femme qui a échappé à la violence de Michel Fourniret, a raconté comment le petit garçon avait "l'air d'une poupée, sans sentiment, dénuée d'émotion". Selim n'en a "aucun souvenir", pas même de l'avoir "embrassée" à la fin du rendez-vous. Il ne fait pas de piano à l'époque : "Michel et Monique m'avaient acheté une guitare, que Michel a cassée par la suite pour me punir."
Il n'en dit pas davantage sur Estelle Mouzin, qu'il aurait croisée, selon une ancienne codétenue de Monique Olivier, dans la maison de Sart-Custinne. "Il est prétendu que Monique Olivier aurait donné l'un de mes pyjamas à la jeune fille alors que j'en portais pas, je dormais en sous-vêtements", oppose-t-il. "Je n'ai aucun souvenir de l'avoir vue, poursuit Selim, je n'ai pas connaissance de cette présence, je n'ai vu personne dans la cave." "Pourquoi vous parlez de la cave ?", interroge le président. Même réponse : "C'est ce que j'ai vu sur les réseaux, ça me permet de me replonger dans mon passé, mais il n'y a rien qui surgit. Ça m'aurait marqué, quand même, une petite dans la maison qui n'a rien à faire là !"
"Ce sont des articles que j'ai lus"
Par la suite, Selim explique être allé à la pêche aux informations, pour recomposer le puzzle macabre de son enfance. C'était après l'arrestation de son père en 2004, puis celle de sa mère, un an plus tard. "J'étais écœuré de voir le visage de cette femme, jamais j'aurais pu penser qu'elle ait pu prendre part à tout ça." Recueilli par le premier mari de Monique Olivier et ses deux demi-frères, il cesse rapidement de correspondre avec elle. "Elle me disait : 'Méfie-toi de lui, il m'a frappée, il m'a fait du mal, il est méchant', alors que je voyais très bien que c'était un homme bon, généreux."
Quelques années plus tard, il se rapproche de son père en détention, à la demande d'un journaliste, pour "essayer d'avoir des réponses". Des quelques confidences obtenues, il coécrit un livre, Le Fils de l'ogre. Selim raconte avoir même l'idée de consulter "un hypnothérapeute au Québec". A défaut de vrais souvenirs, il s'en crée, évoquant "l'hypothèse d'un réseau pédocriminel au château du Sautou", avec Michel Fourniret en rabatteur et Monique Olivier en ogresse qui assure "les approvisionnements de victuailles et d'alcool". "Pourquoi Michel Fourniret aurait aménagé 13 salles de bains sinon ?" "Vous les avez vues ?", demande le président. "Ce sont des articles que j'ai lus."
Les avocats des parties civiles tentent malgré tout de tirer quelque chose de cette audition tant attendue. Didier Seban insiste : Selim n'a-t-il vraiment rien vu dans les jours suivant la disparition d'Estelle Mouzin ? En vain. "Régulièrement, j'essaie de repenser à cette époque passée pour voir si je peux apporter des éléments de réponse aux proches, mais rien ne me revient", répète-t-il.
"J'ai demandé à Monique de donner des réponses, qu'elle parle, pour les familles de victimes."
Selimdevant la cour d'assises des Hauts-de-Seine
Invitée à parler à ce fils qu'elle n'a pas vu depuis des années, l'accusée se lève. "Il y a quelques petites erreurs dans ce que tu dis à la cour, corrige-t-elle d'emblée en guise de bonjour. Il n'y avait pas d'alcool au Sautou, il n'y a jamais eu 13 salles de bains." "Faut pas exagérer", ajoute Monique Olivier dans une formule qui lui est chère depuis le début du procès. Pour le reste, "non", elle n'a rien à dire de plus. Selim saisit l'occasion de ces retrouvailles virtuelles, depuis la salle où il témoigne, à un millier de kilomètres : "Dehors, il n'y a personne qui t'attend, t'as quoi à cacher ?" "Tu n'as pas à me faire la morale", répond du tac au tac sa mère à Selim. Ce dernier, mis en examen en juillet, est soupçonné d'avoir tenté de violer une adolescente, cet été, à Nice.
"Je suis le fruit d'un accident"
S'ensuit un ping-pong mère-fils édifiant, devant la cour éberluée : "Je ne suis pas ton fils, tu n'es pas ma mère." "Va rejoindre Michaud [son premier mari], va, vous vous entendiez bien tous les deux." "Voilà !". Monique porte l'estocade : "Tu ressembles vraiment à ton père, déguisé comme ça." "Merci, montre ton vrai visage", tacle Selim. "Montre-le toi-même, enlève ta perruque et ta fausse barbe."
Les interventions des avocats font redescendre la tension, Monique Olivier se radoucit : "Il ne m'aime plus, mais je sais que je l'aime toujours autant. Lorsqu'il aura bien réfléchi, qu'il m'envoie un tout petit mot avec 'maman' au lieu de 'madame Olivier' ou 'Monique Olivier'." "Je souhaite que maman puisse avoir de l'éloquence par rapport à ce qu'elle sait", déclare de son côté Selim. Mais c'est pour mieux porter le coup de grâce : "Je suis le fruit d'un accident, le fruit d'un accord commercial entre Michel Fourniret et elle, qu'elle ne dise pas qu'elle a de l'amour pour moi."
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