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Ni "trop proche", ni "trop distante" : après la mort de Nahel, comment la police tente de maintenir un lien avec les jeunes

Les violences urbaines survenues après la mort de Nahel, 17 ans, tué par un policier fin juin à Nanterre lors d'un contrôle routier, ont fait resurgir la fragilité de la relation entre la police et la population, en particulier les jeunes. Dans certains quartiers, des initiatives perdurent pour essayer de l'entretenir.
Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
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Temps de lecture : 12min
Nicolas Nordman, adjoint à la mairie de Paris chargé de la sécurité (à gauche), et Laurent  Nuñez, le préfet de police de Paris (au centre), le 17 juillet 2023, en visite au complexe sportif Alain-Mimoun dans le 12e arrondissement de Paris. (VIOLAINE JAUSSENT / FRANCEINFO)

"Est-ce que vous avez une question à poser à monsieur le préfet ?" Debout, au premier étage d'un bâtiment du complexe sportif Alain-Mimoun, dans le 12e arrondissement de Paris, Laurent Nuñez se tient prêt à répondre aux 10 jeunes qui lui font face, assis sur des bancs en bois. L'un d'eux se lance. "Comment êtes-vous arrivé à votre poste ?" demande-t-il au préfet de police.

Ce dernier a fait le déplacement, lundi 17 juillet, pour le lancement estival des Journées républicaines de la jeunesse (JRJ), auxquelles participent 90 enfants et adolescents, de 7 à 17 ans, ainsi que quelques parents, venus de Paris et des départements limitrophes. "Je n'ai pas été élu, j'ai été nommé, par le président de la République", répond le haut-fonctionnaire. D'autres questions fusent et l'actualité fait irruption dans l'échange. Les violences urbaines qui ont suivi la mort de Nahel, tué par un policier lors d'un contrôle routier le 27 juin, sont encore dans toutes les têtes. 

"Est-ce que c'est autorisé de faire des émeutes, finalement ? Enfin, de pouvoir dire quand on est en colère ?", interroge une adolescente qui habite dans le 20e arrondissement de la capitale, comme les deux tiers des jeunes inscrits aux JRJ 75. "Si c'est une manifestation, il faut la déclarer, dire 'On va manifester tel jour', explique Laurent Nuñez. Mais quand on sait qu'il va y avoir des violences, je peux dire 'Non, pas de manifestation', comme c'est arrivé… récemment." Un troisième adolescent intervient :

"- Si on manifeste sans autorisation, on peut être sanctionné ?

- On peut. Mais en général on tolère."

La question des violences policières s'invite dans la conversation.

"- Si un policier fait une bavure, il risque quoi comme sanction ?

- Ça dépend de ce que tu appelles bavure… Il peut être condamné, comme tout citoyen. Les policiers sont très contrôlés", insiste le préfet de police de Paris.

"C'est plus facile de discuter en survêtement et à pied"

Théâtre, prévention routière, initiation aux premiers secours… Accompagné de Nicolas Nordman, adjoint à la mairie de Paris chargé de la prévention, de la sécurité et de la police municipale, Laurent Nuñez déambule au sein des ateliers animés par des policiers, ou à leur initiative. Ainsi, l'association Parlons Démocratie a été sollicitée pour organiser un temps d'échange autour des institutions françaises par Erick Duthoit, directeur des JRJ 75 depuis 2002. Ces années d'expérience lui permettent de connaître "tous les jeunes et leurs parents" sans disposer d'aucune antenne locale. "Les inscriptions se font grâce au bouche-à-oreille. Les familles se transmettent mon numéro de portable", assure Erick Duthoit. "L'objectif est de maintenir le lien entre police et population", fait valoir le fonctionnaire, chargé de la prévention de la délinquance.

C'est également ce que tente de faire au quotidien Thierry Plotton. Ce brigadier-chef codirige un Centre de loisirs jeunes (CLJ) de la police nationale, l'équivalent des JRJ en dehors de Paris, dans le quartier Montreynaud, à Saint-Etienne (Loire), fort de 9 000 habitants. Devenu policier à 20 ans, "l'enfant du quartier" a accepté ce poste à 33 ans et ne l'a plus quitté.

"Aujourd'hui, plus de vingt ans après, on fait partie des meubles."

Thierry Plotton, codirecteur d'un Centre de loisirs jeunes de la police nationale

à franceinfo

Le CLJ 42 possède de nombreux équipements extérieurs et intérieurs, dont un coin jeux avec console et baby-foot, une bibliothèque et une salle dédiée à la prévention routière. Autant d'espaces pour mener des activités similaires à celles des JRJ et des 30 CLJ implantés un peu partout en France, dont trois ouvrent seulement l'été. Ils s'adressent aux habitants des Quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), des Zones de sécurité prioritaires (ZSP), et, depuis 2018, des Quartiers de reconquête républicaine (QRR). "On fonctionne comme un foyer pour jeunes", résume Thierry Plotton, qui exerce en civil, avec sweat et jogging floqués des logos du CLJ. "C'est plus facile de discuter en survêtement et à pied", précise-t-il.

"On a besoin de ramener de la confiance dans les deux sens"

Alors qu'il avait été préservé en 2005, le CLJ de la Loire n'a pourtant pas été épargné par les émeutiers, fin juin. "Une poubelle a été incendiée devant l'entrée et le hall a brûlé", rapporte Thierry Plotton. Prévenu en pleine nuit, il s'est rendu sur place. "Il y avait un attroupement de parents et d'acteurs associatifs scandalisés. Ils ont commencé à donner des noms. D'habitude, l'omerta règne", relate-t-il. "Je suis allé voir le groupe désigné pour leur expliquer la bêtise de leur acte. Je suppose naïvement que ça a porté ses fruits, car on n'a pas eu de représailles et l'intérieur du centre n'a pas été pillé", estime Thierry Plotton. Il explique avoir reçu des dizaines de messages de soutien, ce qui l'a encouragé à ne pas baisser les bras. "Il y a des gens qu'on ne pourra pas récupérer, comme les auteurs de ces actes", soupire-t-il.

Ces encouragements ont réjoui Siham Labich, adjointe au maire de Saint-Etienne, en charge de la politique de la Ville, elle-même issue du quartier populaire de Montreynaud. "Le CLJ est un maillon puissant, qui contribue à faire cohésion dans le quartier", observe-t-elle. L'élue MoDem précise qu'en plus du soutien moral, la ville de Saint-Etienne apporte des financements, via une subvention de fonctionnement et une mise à disposition gratuite des locaux. De quoi compléter le bénéfice des adhésions annuelles, fixées à 5 euros. Comme d'autres élus, à Laval (Mayenne) ou à Fleury-Mérogis (Essonne) par exemple, Siham Labich mène ses propres actions pour rapprocher la police et les jeunes. Et s'appuie parfois sur d'autres associations, qui n'émanent pas des forces de l'ordre. "On a besoin de ramener de la confiance dans les deux sens, des jeunes vers la police mais aussi de la police vers les jeunes", souligne l'adjointe. De fait, selon un sondage Ifop réalisé après la mort de Nahel, seuls 30% des 18-24 ans déclarent que la police leur inspire de la "confiance", contre 43% pour l'ensemble de la population.

Des policiers "orientés vers la résolution de conflits"

Le fossé ne s'est pas créé du jour au lendemain mais s'est creusé peu à peu, notamment avec la fin de la police de proximité, comme l'expliquait en 2017 l'ancien commissaire initiateur de cette police de terrain. Lancée en 1998 sous le gouvernement de Lionel Jospin, elle a été supprimée en 2003 par Nicolas Sarkozy, à l'époque ministre de l'Intérieur, qui avait raillé l'aspect social de la mission des policiers. Par la suite, des initiatives ont émergé pour retisser le lien police-population et le renforcer. C'est dans cette perspective qu'est née la fonction de délégué à la cohésion police-population (DCPP), en 2008, dans le cadre du plan "Espoirs Banlieues" de Fadela Amara. Cette fonction s'est développée une seconde fois, au moment de la création des premières ZSP, en 2012.

Onze ans plus tard, ces délégués sont 238 en poste, auxquels s'ajoutent, à Paris, des policiers spécialement affectés à des missions de prévention, de contact et d'écoute (MPCE). Les DCPP ne sont pas des policiers en exercice, mais des retraités. Ces réservistes travaillent 10 jours par mois toute l'année. Et tous n'ont pas tout à fait les mêmes missions. Animer des permanences, entretenir des contacts étroits dans les quartiers, mener des opérations de prévention de la délinquance… Par exemple, Hubert, 62 ans, qui exerce dans la vallée de l'Ondaine, à l'ouest de Saint-Etienne, est "orienté vers la résolution de conflits". Lorsqu'une main courante est déposée dans un commissariat, il peut s'en saisir pour essayer de trouver une solution. Il se définit donc comme un "médiateur", mais pas que. Installé depuis quatre ans, il reconnaît avoir "essuyé les plâtres au départ", avant de pouvoir être sollicité dans la rue, directement, y compris par quelques jeunes.

"Il y a aussi toute la structure mentale du policier qui se réveille et rappelle la loi : c'est l'occasion de dire le droit et de conseiller."

Hubert, délégué cohésion police-population dans la Loire

à franceinfo

Comme pour Thierry au CLJ, son apparence est cruciale. "Notre statut exclut que nous portions une arme et un uniforme, on doit toujours être en civil pour bâtir une autre relation", explique Hubert. Mais il peut brandir sa carte professionnelle à tout moment : rappeler pour qui il travaille est important. "Je me suis toujours affiché comme policier, pas comme agent secret", abonde Serge Supersac, DCPP à Toulon (Var) pendant sept ans. De son expérience, il garde un souvenir fort et affirme avoir donné de nombreux renseignements à ses collègues de la police judiciaire. "On est au carrefour des bonnes et des mauvaises pratiques. Etre trop proche ça ne va pas, mais être trop distant non plus : il faut trouver le bon niveau de la relation police-population", résume le policier.

"De simples initiatives locales ne suffiront pas"

Si l'équilibre est si difficile à trouver, c'est parce que la fonction de délégué à la cohésion police-population, "en position de dialogue", est à "la périphérie de l'institution", observe Jacques de Maillard, professeur de science politique à l'université de Versailles-Saint-Quentin et directeur du Cesdip. "Des initiatives de personnel engagé existent mais restent marginales dans une institution qui a du mal à valoriser les initiatives de la base", complète le chercheur, spécialiste des politiques pénales et de sécurité. Ce que ressentent les policiers interrogés par franceinfo. "La population est en demande, mais la hiérarchie est réticente à la prévention car elle estime que c'est du temps perdu", note Serge Supersac. "Certains policiers ne comprennent pas ce qu'on fait. Ils nous disent 'Vous, vous jouez et nous, on leur court après'. A nous d'expliquer ce qu'on fait, d'avoir les épaules solides", considère Thierry Plotton, qui rappelle que la prévention fait partie du métier de policier.

Un aspect que Laurent Nuñez a tenu à rappeler, lundi. "On apprend à mieux se connaître, à comprendre que la police est là pour protéger", a-t-il déclaré lors d'un bref discours prononcé en conclusion de son déplacement dans le 12e arrondissement de Paris face à des jeunes. Pour Jacques de Maillard, la clé d'une relation apaisée entre la police et la population se trouve, justement, entre les mains de l'institution. "La tension ne va pas retomber du jour au lendemain mais suppose qu'on arrive à construire une relation dans la durée, une désescalade. L'enjeu est de sortir d'une relation binaire avec des jeunes qu'ils n'aiment pas et qui ne les aiment pas, juge-t-il. De simples initiatives locales ne suffiront pas, il faut changer la matrice." De leur côté, les jeunes, au premier abord, font part de leur enthousiasme après cet échange un peu artificiel, mais dans lequel les mains tendues ont été saisies.

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