1,3 million d’heures sup non payées pour les gardes du corps de la République
La situation de certains policiers est devenue tellement difficile qu'ils n’excluent pas de déposer plainte pour mise en danger de la vie d’autrui et travail dissimulé. C’est la menace brandie par quatorze policiers du très prestigieux Service de la protection, un service d’élite chargé de veiller à la sécurité du président, des ministres mais aussi de personnes menacées. Cent-cinquante personnalités bénéficient ainsi aujourd’hui d’une protection rapprochée. Un chiffre qui ne cesse de grossir.
"Ce sont des milliers et des milliers d'heures par fonctionnaire qui se sont accumulé, avec des cadences souvent infernales, des récupérations souvent impossibles. Tout ça jusqu'à épuisement du fonctionnaire "
Les policiers dénoncent des cadences infernales, des nuits sans dormir, des semaines sans repos. A tel point qu’on en est arrivé à ce chiffre édifiant : 1,3 million d’heures supplémentaires effectuées au Service de la protection depuis plusieurs années; 1,3 million d’heures non payées.
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Jean-Claude Delage, le patron du syndicat de policiers Alliance demande au ministre de l’Intérieur d’écouter les fonctionnaires : "Il faudrait prendre en compte ce qu'ils ressentent. Ç a éviterait peut-être justement que des fonctionnaires aillent saisir, par l'intermédiaire d'un avocat, la Justice pour exprimer le mal-être qu'ils vivent dans ce service qui a toujours été considéré comme un service d'élite et où on n'a jamais connu, jusqu'à présent, un tel malaise. Ce sont des milliers et des milliers d'heures par fonctionnaire qui se sont accumulées, avec des cadences souvent infernales, des récupérations souvent impossibles. Tout ça jusqu'à épuisement du fonctionnaire ".
"Quand une personne appelle et qu'on constate un délit flagrant et qu'on n'a absolument aucun véhicule à envoyer "
Des fonctionnaires épuisés, on en trouve beaucoup aussi en sécurité publique. Notamment en région parisienne. Les policiers sont extrêmement mobilisés par le plan Vigipirate. Or, les effectifs des commissariats n’ont pas été renforcés. Résultat, en Seine-Saint-Denis, le week-end, il n’y a quasiment plus de policiers pour assurer les missions ordinaires, la police du quotidien, selon Erwan Guermeur, policier à Bobigny et délégué du syndicat SGP Unité Police : "Par exemple sur le premier district, donc ça va être Bobigny, Drancy, Pantin, Les Lilas, Bagnolet, Bondy. Sur l'ensemble de ces communes-là, on mutualise un véhicule pour faire l'ensemble des missions de police secours parce qu'on a mobilisé l'ensemble des autres véhicules pour assurer des gardes statiques sur des lieux confessionnels ou des domiciles de personnes qui peuvent être exposées. Et du coup, les autres interventions sont assurées quand on peut. Par exemple quand une personne appelle et qu'on constate un délit flagrant et qu'on n'a absolument aucun véhicule à envoyer. le temps qu'un véhicule se libère, les individus ne vont pas attendre la police pour partir avec leur butin ou autre chose. Donc c'est sûr que des interventions, on en rate ".
"Nous avons levé le pied sur les contrôles routiers. On ne se déplace plus également pour des tapages nocturnes en région parisienne "
Des "interventions ratées", cela paraît insensé et pourtant ce policier n’est pas le seul à le dire. Sous couvert d'anonymat, l’un des plus hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur nous l’a confirmé : avec une telle mobilisation contre le terrorisme, il est devenu presque impossible de faire de la police de proximité : "Après les attentats de janvier, nous avons levé le pied sur les contrôles routiers. On ne se déplace plus également pour des tapages nocturnes en région parisienne. Peut-être que les gendarmes le font encore mais nous, nous n'en avons plus les moyens. Le manque d'effectifs est une réalité que l'on ne peut pas nier ", dit-il.
Embauches
Il y a pourtant eu plus de mille postes créés dans la police pour faire face à la menace terroriste. Seulement, il va falloir attendre près de deux ans avant que les jeunes recrues sortent de l’école de police. Ensuite, cet effort consenti ne suffira pas à compenser les 13.000 postes perdus par la police et la gendarmerie sous Nicolas Sarkozy.
"Si demain on enlève des points statiques devant une école confessionnelle et qu'on a un massacre dans une école, on reprochera au ministre de l'Intérieur d'avoir changé de dispositif "
Quelles solutions peuvent être envisagées pour soulager les forces de l'ordre ? Une majorité des policiers demande l’abandon de ce qu’ils appellent les tâches indues, comme le transfert de détenus ou la surveillance des prisonniers à l'hôpital. D’autres fonctionnaires vont plus loin en réclamant un allègement des missions Vigipirate. Des missions qui n'étaient pas censées durer. Patrice Ribeiro est le secrétaire général de synergie Officiers : "Lorsqu'on a un gilet pare-balles et qu'on passe sa journée devant une synagogue ou une école et qu'on a l'impression de ne servir à rien, c'est un peu compliqué. Donc il faut convaincre nos interlocuteurs de la nécessité de changer de dispositif mais il y a un aspect politique qui est très difficile à assumer parce que si demain on enlève des points statiques devant une école confessionnelle et qu'on a un massacre dans une école, on reprochera au ministre de l'Intérieur d'avoir changé de dispositif ".
Sécurité privée
Face à la réalité, les policiers sont devenus pragmatiques. Ils sont de moins en moins hostiles à l’idée d’abandonner de nombreuses missions au secteur de la sécurité privée. Un discours encore inimaginable il y a quelques années.
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