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Tarzan, marathon et flair politique : qui est Jean-Pierre Masseret, le rebelle socialiste du Grand Est ?

L'homme qui a dit "non" à Manuel Valls et à sa famille politique se maintient au second tour en Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, malgré un ballottage ultra-défavorable.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Le président PS du conseil régional de Lorraine, Jean-Pierre Masseret, le 6 décembre 2015. (FRED MARVAUX / AFP)

En 24 heures, il est passé d'un quasi anonymat à une célébrité nationale. Jean-Pierre Masseret, président sortant du conseil régional de Lorraine, est l'homme qui a dit "non" à Manuel Valls, aux caciques du PS et au "barrage républicain". Malgré son piteux score de 16%, il a déposé lundi 7 décembre sa liste en préfecture pour le second tour des régionales en Alsace-Champagne Ardenne-Lorraine (ACAL), où Florian Philippot (FN) est en bonne position pour remporter la région. La première rébellion d'un bon petit soldat du PS, après une carrière politique sans vagues. Celui qui s'identifie à Vercingétorix "parce qu'il a mis la pâtée à César" finira-t-il comme le chef gaulois, trahi par les siens ?

Le marathonien devenu ministre

C'est à cause d'une mutation administrative que Jean-Pierre Masseret a découvert la ligne bleue des Vosges et les autres charmes de la Lorraine. En 1967, ce jeune inspecteur des impôts quitte son Auvergne natale pour l'Est, qu'il ne quittera plus. Ce grand sportif – il a remporté le marathon de Paris, catégorie vétérans – s'engage dans une course de fond politique. Encarté à gauche depuis ses années étudiantes, il est élu conseiller régional en 1979, figure sur la liste battue aux municipales de Metz en 1983, avant de se faire élire au Sénat la même année. A 39 ans, il est alors, raconte Rue89, le benjamin de la Haute Assemblée… qu'il fréquente toujours, trente-deux ans plus tard. 

Le pinacle de sa carrière politique se situe en 1997, quand Lionel Jospin l'appelle au gouvernement, au poste de secrétaire d'Etat aux anciens combattants. Tout en bas dans l'ordre protocolaire. "Quand on est en queue de peloton, on ne peut que remonter", ironise-t-il dans Libération. Il demeure quatre ans dans ce ministère peu exposé et dont les locataires marquent rarement les mémoires. Lui, si. Jean-Pierre Masseret fait voter la reconnaissance de la guerre d'Algérie par le Parlement (avant, on disait "les événements") et se retrouve en première ligne quand paraît la confession explosive du général Aussaresses sur l'usage de la torture pendant cette période. Sur eBay, on trouve encore des papiers à en-tête avec autographe du ministre… pour une somme dérisoire.

Jean-Pierre Masseret ? "Connais pas"

Jean-Pierre Masseret conquiert la région Lorraine en 2004, à la surprise générale. Celui qui pose sur ses affiches de campagne en col roulé noir profite de la division de la droite pour battre celui qu'on surnomme le "Duc de Lorraine", Gérard Longuet. Un portrait paru dans L'Express en 2010 brocarde le socialiste comme "dénué d'autorité et de charisme". Il rempile quand même deux fois à la tête de la région, sans vraiment se faire un nom. "Connais pas", tranche dans Libération un électeur socialiste "discipliné", à Phalsbourg (Moselle), juste à côté de la frontière avec l'Alsace. 


Régionales : portrait de Jean-Pierre Masseret

Sans être sous le feu des projecteurs, Jean-Pierre Masseret cultive ses réseaux, notamment au Sénat. Enfin, quand il y est, l'élu ne fréquentant que sporadiquement les couloirs du palais du Luxembourg, d'après le site NosSénateurs.fr. Il dirige un temps la "Fraternelle parlementaire", le groupe des élus francs-maçons. Un ancien proche du groupe PS au Sénat se souvient de son proverbe favori : "C'est au pied du mur qu'on voit le maçon."

Flair politique et fidélité familiale

Jean-Pierre Masseret cultive aussi ses réseaux… familiaux. Dans la famille Masseret, Madame est assistante parlementaire – salariée par d'autres sénateurs lorrains, histoire que ça se voie moins –, la fille a stoppé ses études d'histoire de l'art pour prendre en main la communication de son père, et la belle-fille est devenue députée en 2012 après une carrière à grenouiller dans les exécutifs lorrains. Réponse de l'intéressé à Mediapart, qui lève le lièvre : "En politique, il faut s'entourer de gens de confiance."

On ne peut pas dénier à Jean-Pierre Masseret un excellent flair politique. Celui qui s'est défini sur France Bleu comme fan de Tarzan a le don de s'accrocher à la bonne liane. Il vote "non" au traité constitutionnel européen de 2005, critiquant une approche économique "droitière". Pour la présidentielle de 2007, il est parmi les premiers à miser sur l'outsider Ségolène Royal… avant de s'en éloigner en 2011, pour rallier le camp de François Hollande. 

Solidaire du gouvernement… jusqu'au bout ?

Il demeure fidèle au président de la République, selon lui irréprochable dans la réforme de la carte militaire qui a meurtri la région, et uniquement coupable de manque de pédagogie dans le dossier des hauts-fourneaux de Florange : "Je ne peux pas dire que l’exécutif a su parfaitement faire face aux
événements", lâche-t-il tout de même dans une interview à Régions Magazine. C'est la phrase la plus critique qu'il ait eue contre le gouvernement.

La réforme des régions, Jean-Pierre Masseret l'a combattue en sous-main. D'abord en luttant contre l'idée d'une fusion avec l'Alsace, émise par le comité Balladur, en 2009. "Une idée abracadabrante et scandaleusement bête", tonnait – pour une fois – le discret président de région. La réforme Valls passe (un peu) mieux que le projet Balladur. Jean-Pierre Masseret tente de s'allier à l'Alsace pour se débarrasser de la Champagne-Ardenne – il écrit une lettre pleurnicharde à Manuel Valls en ce sens – avant d'avaler la pilule gouvernementale en 2015 : "Nous avons tous à gagner dans cette réforme territoriale, qui va permettre de refonder le fonctionnement de la République et de participer au redressement de la France."

Tous ? Peut-être pas lui, précisément, qui avait fixé à 23% des voix au premier tour le seuil suffisant pour l'emporter. Quelques semaines plus tôt, il avait défini les directives en cas de ballottage défavorable au second tour : "Il n’y aura ni retrait ni accord avec la liste de droite !" On ne pourra pas lui enlever sa constance.

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