Présidentielle : la Russie cherche-t-elle vraiment à déstabiliser la campagne d'Emmanuel Macron ?
Selon les équipes d'En Marche !, la Russie serait en train de s'immiscer dans la campagne présidentielle en cherchant à destabiliser son candidat, Emmanuel Macron. Alors, fantasme ou vrai risque d'ingérence ?
près les Etats-Unis, la France ? C'est en tout cas ce que pensent les équipes d'Emmanuel Macron alors que l'ingérence russe dans l'élection présidentielle américaine a été maintes fois corroborée. "Ne laissons pas la Russie déstabiliser la présidentielle en France", écrit ainsi Richard Ferrand, dans une tribune publiée mardi 14 février dans le journal Le Monde. Le secrétaire général d'En Marche ! affirme que le mouvement est victime de milliers de cyberattaques mais aussi de la "propagande" relayée par certains médias dits "prorusses". Des accusations balayées par le Kremlin mais aussi par ces sites favorables à Vladimir Poutine.
Pour autant, Richard Ferrand n'a pas hésité à lancer "un appel, au président de la République et au gouvernement, pour que toutes les conditions de sécurité soient assurées contre les cyberattaques et ingérences dont cette élection présidentielle est la cible afin de garantir le déroulement démocratique normal de l’élection". Le message a visiblement été reçu par l'Elysée, puisque François Hollande a demandé, mercredi 15 février, en Conseil de défense, que des "mesures spécifiques" soient prises pour contrer d'éventuelles cyberattaques à l'élection présidentielle.
Doit-on réellement s'inquiéter d'une éventuelle ingérence russe ? Franceinfo fait le point sur ce que l'on sait.
Les structures informatiques d'En Marche ! victimes des hackers russes ?
Ce que dénoncent les équipes de Macron. "Le site internet du mouvement En marche ! et ses infrastructures font l’objet de plusieurs milliers d’attaques mensuelles sous diverses formes. L’objectif est de pénétrer dans nos bases de données et nos boîtes mail afin de les pirater", décrit Richard Ferrand. Toujours selon le secrétaire général du mouvement, ces attaques proviennent pour la moitié d'entre elles d'Ukraine, ce qui indiquerait "qu'elles sont organisées et coordonnées par un groupe structuré, et non par des hackers solitaires".
Le responsable numérique du mouvement, Mounir Mahjoubi, précise dans une interview au Monde les allégations de Richard Ferrand. En un mois, ce serait ainsi "4 000 attaques" qui ont été recensées par les équipes numériques d'En Marche ! et qui prennent diverses formes : "des attaques de déni de service [qui consistent à saturer un site de connexions pour le rendre inaccessible]", "des injections SQL [une attaque qui consiste à récupérer des données sans autorisation, voire à les modifier]", ou "des scans de ports, pour tenter d’identifier des failles". Or, ces attaques proviendraient d'Ukraine, "un pays pas très stable, avec un très haut niveau de compétence technique", et utilisé par d'autres Etats comme "pays relais". Et qui se cache derrière tout ça ? "On a un doute sur l’origine des cyberattaques, mais nous n’avons aucun doute que la Russie est très active", indique Mounir Mahjoubi.
Ce qui est certain. Si l'on regarde la situation d'un point de vue géopolitique, le contexte dénoncé par les équipes de Macron est assez exact. Oui, l'ex-ministre de l'Economie pourrait bien se trouver dans le viseur de Moscou, selon deux spécialistes interrogés par Le Parisien. "Si Macron ne plaît pas à Vladimir Poutine, s'il pense que ce candidat ne soutiendra pas sa politique, ses ambitions, sa stratégie, il fera tout ce qu'il faut pour l'affaiblir", explique ainsi Hélène Blanc, experte du monde russe, dans le quotidien.
"En 2017, il y a une sorte d'alignement des planètes pour le Kremlin, avec trois candidats prorusses : François Fillon, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Or Macron n'est pas du tout sur cette ligne. Sa tendance libérale le pousse à renforcer le lien transatlantique, ce qui n'est pas de nature à réjouir les autorités russes", renchérit dans le même journal Julien Nocetti, chercheur à l'Ifri (Institut français des relations internationales).
Ce que l'on peut questionner. Pour autant, si l'on regarde d'un point de vue purement technique, des doutes subistent quant au rôle de la Russie derrière ces attaques. "Quand on voit les éléments qui sont communiqués, ça ressemble à ce que chaque entreprise vit tous les jours sur internet. Aujourd'hui, un site web subit quotidiennement des centaines, voire des milliers, de tentatives d'attaques", tient d'abord à rappeler Gérôme Billois, expert en cybersécurité.
Interrogé par franceinfo, ce dernier met également en garde sur le rôle supposé de la Russie derrière ces attaques. "Il y a deux problèmes. Le premier est de dire que l'adresse d'origine de l'attaque a été localisée en Ukraine car il est très facile d'usurper ou de masquer celle-ci". Le second problème concerne la réputation de l'Ukraine, pays "connu pour avoir des concentrations plus fortes d'activités cybercriminelles" : "on y loue des serveurs pour réaliser des tentatives d'attaques. Donc, avoir un site web et voir qu'il est attaqué depuis des adresses localisées en Ukraine, c'est aussi le pain quotidien de nombreux sites web". Pour Gérôme Billois, "si l'équipe de Macron a des doutes", il faut qu'elle aille porter plainte "pour faire une tentative d'attribution" et ajoute-t-il, " je dis bien tentative, car c'est difficile d'identifier, dans le cyberespace, où l'on peut facilement masquer son identité", d'où proviennent exactement des attaques.
La candidature d'Emmanuel Macron salie par les médias prorusses ?
Ce que les équipes de Macron dénoncent. Outre les cyberattaques, les équipes d'Emmanuel Macron pointent aussi les tentatives de déstabilisation opérées par deux médias russes : la chaîne Russia Today (RT) et l'agence SputnikNews. Ces deux sites "s'acharnent à répandre sur Emmanuel Macron les rumeurs les plus diffamatoires. Un jour, il est financé par 'le riche lobby gay', un autre, il est un 'agent américain au service du lobby bancaire'", écrit Richard Ferrand dans sa tribune.
Ces deux sites, poursuit le député socialiste du Finistère, "donnent également la parole à des éditorialistes laissant libre cours à tous les fantasmes qui circulent sur le candidat, depuis son financement jusqu’à sa vie privée, exhalant les relents d’un extrémisme venimeux".
Ce qui est certain. Les accusations des équipes de Macron sont en partie fondées. Il est difficilement contestable de ne pas présenter RT ou Sputnik comme étant prorusses. "Ces deux médias sont de fait contrôlés par l'Etat russe et sont les fers de lance de ce qui est présenté à Moscou comme une contre-offensive informationnelle en direction de l'Occident", détaille pour franceinfo Arnaud Dubien, directeur de l'Observatoire franco-russe et chercheur associé à l'Iris (Institut des relations internationales et stratégiques).
"La Russie – au-delà d'ailleurs des seuls cercles officiels – se sent agressée par les médias occidentaux, dont elle considère qu'ils parlent d'elle seulement à charge, la dénigrent systématiquement, voire cherchent à lui nuire en permanence", explique-t-il."Les perceptions russes du climat général des relations avec l'Occident sont peu connues et prises en compte."
Ce que l'on peut questionner. Pour autant, doit-on craindre que ces deux médias déstabilisent la présidentielle, au détriment d'Emmanuel Macron ? Ce serait sans doute leur donner trop d'importance. "Compte tenu de l'audience limitée de ces médias et de l'ancienneté de la tradition démocratique en France, je pense que l'impact éventuel sur le scrutin présidentiel sera nul", assure Arnaud Dubien.
Ce que conteste En Marche !. "Nous n'aurions pas mentionné RT et Sputnik dans notre appel si leurs campagnes hostiles se limitaient à leur lectorat de base, nous indique l'entourage du candidat. Le vrai problème c'est que de très nombreux médias français 'institutionnels' reprennent les prétendues informations de ces sites comme s'il s'agissait d'informations réelles. Et lorsqu'elles sont reprises, ses allégations trouvent une résonance considérable notamment sur les réseaux sociaux." L'équipe du candidat en appelle "à la responsabilité et à la conscience des médias français et étrangers libres".
Par ailleurs, affirme Arnaud Dubien, "il n'est pas avéré qu'il y ait eu un ordre d'en haut, à Moscou, pour œuvrer contre Macron". Enfin, il estime que "les élections ne se font pas à l'étranger". "Je pense en l'occurence que les équipes de Macron surjouent le sujet 'Russie' car elles estiment précisément que se positionner contre Poutine est populaire", conclut le chercheur.
Réponse de l'équipe Macron : "Nous ne nous positionnons pas contre Poutine mais contre un agenda politique masqué visant à déstabiliser le débat public français y compris en manipulant les médias libres."
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