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Présidentielle : derrière sa défaite, les victoires symboliques de Marine Le Pen

Fin du clivage gauche-droite, progression idéologique... La candidate du Front national, Marine Le Pen, peut revendiquer plusieurs succès malgré sa défaite face à Emmanuel Macron, dimanche, au second tour de l'élection présidentielle.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Marine Le Pen lors de son meering à Nice (Alpes-Maritimes), le 27 avril 2017. (IAN HANNING / REA)

Une défaite en trompe-l'œil. Les quelque 34% obtenus par Marine Le Pen au second tour de l'élection présidentielle, dimanche 7 mai, ne peuvent pas occulter plusieurs victoires symboliques de la candidate du Front national. Après avoir déployé pendant quinze ans une stratégie de normalisation de son parti en s'éloignant des outrances de son père, la patronne du Front national peut se targuer d'avoir fait progresser ses idées et d'avoir imposé un nouveau clivage dans la vie politique française. Franceinfo détaille les quatre succès de Marine Le Pen mis en évidence lors de cette élection.

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1Le FN franchit un nouveau palier

Avec environ 34% des voix, Marine Le Pen fait bien mieux que son père et ses 17,8% au second tour de la présidentielle de 2002. Avec plus de 10 millions d'électeurs, le Front national décroche surtout un nouveau record en nombre de voix pour son parti, et franchit ainsi un palier qui semblait jusqu'à présent inatteignable. Dans son histoire, le parti d'extrême droite n'était jamais parvenu à obtenir plus de 7 millions de voix avant cette année 2017.

"C'est un succès historique pour ce parti", observe sur BFMTV la sociologue Nonna Mayer. Pour cette spécialiste de l'extrême droite, "le Front national est désormais extrêmement bien implanté dans le paysage politique français". "Les résultats du FN ne cessent de s'amplifier", note aussi pour franceinfo l'historienne Valérie Igounet, qui tient le blog Derrière le Front. Le FN gagne des voix dans tous les électorats, même les plus réticents à son idéologie, comme les fonctionnaires, les salariés proches d'un syndicat ou les catholiques pratiquants, relèvent les chercheurs Nonna Mayer, Sylvain Crépon et Alexandre Dézé dans la revue Hommes et libertés"Pour parler comme un commercial, on grignote des parts de marché à chaque élection, se réjouit le député européen Bruno Gollnisch, joint par franceinfo. La tendance générale est extrêmement favorable pour nous."

Même si ce n'est pas pour ce coup-ci, ce sera sans doute pour le coup d'après...

Bruno Gollnisch, député européen FN

à franceinfo

Jean-Yves Camus, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), tient cependant à relativiser cette montée en puissance. "La vraie question, c'est la consolidation du socle pour le FN, car on sait qu'il existe un 'turn-over' des électeurs, explique ce spécialiste de l'extrême droite. Marine Le Pen n'a pas un socle de 10 ou 12 millions d'électeurs. Il faudra voir ce que donne la fidélisation de ce vote pour les prochaines élections."

2L'idéologie du FN progresse dans l'opinion

L'augmentation du poids électoral du Front national va de pair avec une progression de ses idées dans l'opinion. Depuis l'accession de Marine Le Pen à la tête du FN en 2011, la part des Français déclarant être en accord avec les idées du parti d'extrême droite est passée de 18% à 33%, indique le baromètre Kantar Sofres pour franceinfo et Le Monde publié en mars. Dans le détail, l'adhésion est particulièrement forte en matière de sécurité, d'identité et de contrôle de l'immigration. Ainsi, 52% des Français considèrent que la France "accorde trop de droits à l'islam et aux musulmans". En revanche, deux propositions du FN restent minoritaires : la sortie de l'euro (seulement 22% des Français y sont favorables) et la préférence nationale (21%).

 

Comme le détaille Le Monde dans un long récit, au-delà des sondages, les idées du FN se sont ainsi introduites dans le paysage politique français au fil des ans. Avec Le Suicide français, le polémiste Eric Zemmour a ainsi transformé en 2014 un pamphlet identitaire en succès de librairie vendu à 500 000 exemplaires. Un maire de l’Essonne a refusé, la même année, d’inhumer un bébé rom dans le cimetière de sa commune. Un centre d’urgence pour sans-abri et personnes isolées a provoqué en 2016 la colère et les huées des habitants du 16e arrondissement de Paris. Autant d'exemples qui illustrent, selon le quotidien, l'évolution idéologique de la société française.

La campagne de 2017 vient confirmer cette évolution. "Il y a une vraie poussée patriotique. Quand vous voyez la campagne de l'ami Mélenchon, il a abandonné son chiffon rouge… pour un drapeau bleu-blanc-rouge", observe Philippe Olivier, stratège de la campagne de Marine Le Pen interrogé par franceinfo. Le beau-frère de la patronne du Front national considère aussi que son parti a fait bouger les lignes vis-à-vis de l'Union européenne : "Dans la campagne, il y avait une majorité de candidats eurosceptiques, nos critiques sur l'UE sont désormais empruntées par nos adversaires."

Aujourd'hui, plus personne ne nous diabolise sur nos propositions au sujet de l'immigration, de la sécurité. On a idéologiquement colonisé la campagne.

Philippe Olivier, proche conseiller de Marine Le Pen

à franceinfo

La conséquence de cet enracinement idéologique s'est vue dans les jours qui ont suivi le premier tour de l'élection présidentielle. Quand, en 2002, la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour avait suscité de grandes manifestations dans de très nombreuses villes du pays, celle de sa fille a provoqué des réactions collectives beaucoup moins virulentes. "Tout le monde a trouvé normal que Marine Le Pen soit en finale, ce qui est assez prodigieux quand on se souvient de la campagne de 2002", souligne Bruno Gollnisch, qui était directeur de campagne de Jean-Marie Le Pen à l'époque. Une preuve supplémentaire de la banalisation du vote frontiste.

3Le clivage gauche-droite a explosé

C'est l'autre victoire de Marine Le Pen. L'élection présidentielle 2017 a vu l'élimination dès le premier tour du Parti socialiste et de la droite républicaine, les deux forces politiques qui se sont partagé le pouvoir présidentiel et gouvernemental depuis la création de la Ve République. "C'est une configuration inédite, avec la qualification de deux personnes qui ne sont pas issues des partis traditionnels. Le clivage gauche-droite a bien explosé", analyse Valérie Igounet. 

"Cette campagne a vu l'apparition d'un clivage nouveau, se réjouit l'eurodéputé frontiste Bruno Gollnisch. Certains opposeront 'l'ouverture' d'Emmanuel Macron à la 'fermeture' de Marine Le Pen. Je préfère parler du mondialisme face à la défense des identités particulières."

Un camp pro-européen et libéral s'est regroupé face au souverainisme de Marine Le Pen. Le Front national, qui dénonce depuis des années l'existence d'un "système UMPS", se frotte les mains de voir des élus venus de la gauche comme de la droite se ranger derrière l'ancien ministre de l'Economie. "Le clivage n'est pas encore complètement tombé, on n'efface pas 200 ans d'histoire comme ça, relativise le conseiller de Marine Le Pen, Philippe Olivier, mais c'est sûr que les frontières se brouillent un peu, il y a des interférences, une sorte de révolution intellectuelle et politique est en cours."

4Une digue a rompu entre le FN et une partie de la droite

Quatrième et dernière bonne nouvelle pour Marine Le Pen : l'entre-deux-tours a fait émerger la possibilité nouvelle d'une alliance entre une partie de la droite et le Front national. La candidate du FN a en effet enregistré plusieurs ralliements isolés, comme celui de l'ancienne ministre du Logement de Nicolas Sarkozy, Christine Boutin. Elle a aussi pu se féliciter que plusieurs ténors des Républicains, comme Laurent Wauquiez, Eric Ciotti, Nadine Morano ou Henri Guaino, refusent d'appeler à voter Macron pour faire barrage au FN. Quant à l'accord conclu avec le député souverainiste Nicolas Dupont-Aignan, qui n'avait eu de cesse de critiquer et de se démarquer du FN, il constitue une première dans l'histoire du parti.

Marine Le Pen cherchait désespérément des alliés. Pour elle, c'est du pain bénit.

Nonna Mayer, directrice de recherche émérite au CNRS, spécialiste du Front national

sur BFMTV

"C'est positif. Je suis partisan depuis longtemps d'une alliance avec les souverainistes tels que Philippe de Villiers", se félicite le député européen frontiste Bruno Gollnisch. "C'est une révolution interne, cela montre que le FN est un parti capable d'avoir des alliés et pas seulement des ralliés, renchérit Philippe Olivier, on a démarginalisé le FN, on l'a fait rentrer dans la Ve république." Ce proche conseiller de Marine Le Pen espère désormais que cette alliance sera durable, et qu'elle pourra s'étendre à d'autres personnalités de droite : "Je crois en la décomposition des Républicains. Si des députés LR rejoignent Macron, Nicolas Dupont-Aignan va pouvoir recueillir les députés qui choisissent l'opposition."

Ce qui est intéressant, c'est que Marine Le Pen avait toujours refusé ce jeu d'alliances, espérant plutôt profiter des décombres de la droite.

Valérie Igounet, historienne spécialiste du Front national

à franceinfo

"Pour autant, je ne pense pas que les élus de droite vont se précipiter tout de suite vers le Front national, reprend l'historienne Valérie Igounet. Le FN reste ce qu'il est et ça reste très difficile de s'allier avec lui." Même constat du côté de Jean-Yves-Camus, qui relativise la portée de cette alliance entre le FN et Debout la France : "Marine Le Pen peut bien dédiaboliser tant qu'elle veut, elle reste assez seule. Cette alliance ne lui suffit pas, car Dupont-Aignan était déjà assez 'cornerisé'. Il faudrait que LR explose totalement pour changer les choses."

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