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Présidentielle 2022 : le coup de barre à gauche d'Emmanuel Macron, vrai tournant ou simple rééquilibrage ?

Le président, candidat à sa réélection, a mis un coup de collier à gauche dans la dernière ligne droite de la campagne. Objectif ? Séduire (de nouveau) l'électorat social-démocrate dans la perspective du second tour.

Article rédigé par Clément Parrot, Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Emmanuel Macron en meeting à La Défense Arena, le 2 avril 2022, à Nanterre (Hauts-de-Seine). (SAMUEL BOIVIN / NURPHOTO / AFP)

Une presse unanime. "En meeting, Macron se repeint en rouge pour séduire la gauche", titre Libération. "Le coup de barre à gauche d'Emmanuel Macron", appuie Le Point. "Emmanuel Macron s'adresse à sa gauche et tente de rectifier le récit de sa campagne", embraye Le Monde. Le président sortant, candidat à sa réélection, vient d'orienter subitement sa campagne à gauche toute lors de son seul meeting de campagne, samedi 2 avril. Un tournant, alors que seules ses mesures classées à droite, comme la retraite à 65 ans ou la réforme du RSA, avaient jusqu'à présent percé le mur du son médiatique et marqué l'opinion publique. La candidate des Républicains, Valérie Pécresse, avait même accusé le chef de l'Etat de plagier son programme.

Macron, un candidat de droite ? Cette étiquette n'est pas sans poser une vraie difficulté pour les macronistes. "Emmanuel Macron court après l'électorat de gauche qui pourrait lui faire défaut au second tour", rappelle le politologue Bruno Cautrès. Le président sortant ne s'y est pas trompé en appelant, lors du meeting de samedi à La Défense Arena, à Nanterre (Hauts-de-Seine), "tous ceux, de la social-démocratie au gaullisme, en passant par les écologistes" à le rejoindre.

L'aile gauche de la macronie applaudit

C'est d'ailleurs au cours de ce rassemblement conçu comme une démonstration de force qu'Emmanuel Macron a piqué à la gauche une formule historique, suscitant une avalanche de commentaires. Évoquant le scandale des Ehpad Orpea qui "ne doit plus exister, jamais", le président a lancé devant ses 30 000 partisans : "Nos vies, leurs vies valent plus que tous les profits." Une référence claire au slogan du NPA de Philippe Poutou. Le candidat d'extrême gauche a immédiatement reproché au chef de l'Etat d'avoir plagié son parti.

Ce n'était pas le seul clin d'œil à la gauche. La figure de François Mitterrand a aussi été convoquée à travers son célèbre slogan de campagne de 1981, "la force tranquille", pour évoquer un thème cher à la gauche : l'égalité. "Face à un monde fou (...), où les milliards vont encore trop souvent aux milliards et la pauvreté trop souvent à la pauvreté, il n'y a pas plus puissant que le goût de l'égalité", a lancé Emmanuel Macron. 

"Face à ceux qui tentent de semer le poison de la division, de fragmenter, de fracturer les hommes, il n'y a pas plus puissant que la force tranquille de la fraternité."

Emmanuel Macron

lors de son meeting à La Défense Arena

Le chef de l'Etat n'a pas fait que dans la symbolique et les références historiques. Les thèmes abordés, que ce soit dans son meeting ou dans une interview sur France Inter lundi, à travers les propositions de son programme, penchent davantage vers la gauche. Prime pour les salariés dès cet été jusqu'à 6 000 euros, pension minimale pour les retraités à 1 100 euros mais aussi mesures pour les mères seules et priorité donnée à la santé et à l'éducation. Emmanuel Macron endosse la figure du protecteur, assurant qu'il ne se "résoudra jamais" aux injustices. De quoi redonner la pêche à l'aile gauche de la macronie, peu audible et peu visible durant le quinquennat. "Ça nous va bien à Territoires de progrès, on a bien entendu la force de nos valeurs que sont le progrès et la solidarité", se réjouit ainsi la ministre Emmanuelle Wargon.

"Il y avait une volonté de donner une tonalité sociale et progressiste à ce discours."

Emmanuelle Wargon, ministre en charge du Logement

à franceinfo

D'autres cadres de la majorité réfutent l'idée d'un coup de barre à gauche, y voyant la simple confirmation du dépassement des clivages prôné par Emmanuel Macron. "C'est l'illustration d'un programme qui tient sur ses deux jambes", affirme une secrétaire d'Etat. "Il a fait du 'en même temps' équilibré à hauteur d'homme, avec des propositions sur la santé, l'éducation, l'emploi", se félicite aussi le sénateur François Patriat. "L'enjeu est de montrer l'équilibre d'ensemble du programme et la volonté préservée de dépasser les clivages !" appuie le député Roland Lescure.

"La retraite à 65 ans n'est pas une mesure de droite"

La tonalité des récentes prises de position du président-candidat donne malgré tout l'impression d'un rééquilibrage de la campagne. "​​Si vous vouliez entendre un discours de gauche, c'était hier après-midi", a ainsi taclé Xavier Bertrand au sujet du meeting d'Emmanuel Macron, lors d'un rassemblement dimanche pour Valérie Pécresse. Le chef de l'Etat a ainsi tenu à apporter des correctifs sur deux points clivants de son programme : la réforme du RSA et la retraite à 65 ans.

Emmanuel Macron avait annoncé, lors de la présentation de son programme, une réforme du RSA avec "un meilleur équilibre des droits et devoirs" et "l'obligation de consacrer 15 à 20 heures par semaine" à une activité facilitant l'insertion professionnelle. Mais il a tenu à préciser les choses lors de son meeting. "Il ne s'agit pas, comme l'ont prétendu certains, de travaux d'intérêt général", a détaillé le candidat dans une volonté de pédagogie.

"Il s'agit tout simplement de tendre la main et d'offrir à tous les bénéficiaires du RSA des perspectives, un espoir…"

Emmanuel Macron

lors de son meeting à La Défense Arena

Selon les macronistes, c'est la réception par l'opinion publique du programme d'Emmanuel Macron qui aurait donné à son début de campagne une tonalité droitière. "Il a eu l'impression d'être caricaturé en voyant qu'une partie de ses propositions était retenue, alors que son projet est plus équilibré", confie un membre du gouvernement. "On a par exemple oublié de dire qu'avec la réforme du RSA, il y avait aussi l'attribution à la source de toutes les aides sociales", ajoute François Patriat.

Sur les retraites, Emmanuel Macron défend toujours le report de l'âge légal à 65 ans, mais insiste aussi sur les contreparties. "Aujourd'hui, les petites retraites vivent mal. (...) Je veux, pour le prochain quinquennat, bâtir le minimum retraite, pour une retraite complète, à 1 100 euros, c'est un apport", a-t-il expliqué sur France Inter. Certains dans la majorité tentent même de faire passer le report de l'âge légal comme une avancée sociale. "La retraite à 65 ans n'est pas une mesure de droite. Il s'agit de garantir le modèle social par répartition dans le temps, estime ainsi une secrétaire d'Etat. Avec la retraite à 60 ans de Marine Le Pen, le montant des pensions ne sera pas garanti et seules ceux qui pourront se payer une complémentaire s'en sortiront."

"Pas sûr que cela lui amène tant d'électeurs de gauche"

Dans la même tonalité, Emmanuel Macron a tenu à faire applaudir les enseignants lors de son meeting, tout en laissant de côté le discours sur les contreparties. Sur France Inter, il n'a toutefois pas esquivé la question, en rappelant qu'il souhaitait changer les choses, car le système actuel "fonctionne sans doute de manière trop monolithique". Mais il a aussi insisté sur le rôle du corps enseignant : "Nos professeurs, c'est ce qui fait notre République. (...) Nous en avons besoin et ils sont essentiels."

Tous ces clins d'œil envoyés en direction de son aile gauche sont-ils liés au resserrement des courbes dans les enquêtes d'opinion ? Si le chef de l'Etat bénéficie toujours d'une avance qui, selon les sondages, semble lui garantir une qualification pour le second tour, l'écart avec Marine Le Pen se réduit. En se tournant vers l'électorat de gauche, Emmanuel Macron se prépare aussi à un éventuel second tour face à la présidente du Rassemblement national.

Mais l'efficacité de cette stratégie reste à prouver. "Dans l'électorat de gauche qui considère qu'il faut lutter contre les injustices, Emmanuel Macron est-il perçu comme crédible ? Il n'est pas sûr que cela lui amène tant d'électeurs de gauche, s'interroge Bruno Cautrès. Et plus on communique dans les dernières heures de la campagne, (...) plus l'aspect de tactique électorale apparaît."

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