Vol, tromperie, pédophilie… Quand la rumeur s'abat sur les candidats aux municipales
Partout en France, à quelques jours du premier tour des municipales, des dizaines de candidats doivent faire face à toutes sortes de calomnies.
Délation, calomnie, insultes, menaces, lettres anonymes… A chaque fois que les élections municipales approchent, c'est la même ritournelle : partout en France, des candidats au fauteuil de maire, le plus souvent dans des petites communes, doivent faire face à toutes sortes de rumeurs. A dix jours du vote, les exemples sont légion.
A travers la France, des dizaines d'exemples
A Maureillas-las-Illas (Pyrénées-Orientales), une petite ville de 2 600 habitants située à la frontière espagnole, le maire sortant, candidat à sa réélection, en sait quelque chose. Ces dernières semaines, il est la cible de plusieurs lettres anonymes, tapées à la machine à écrire et distribuées dans les boîtes aux lettres. Selon France Bleu Roussillon, André Bordaneil est accusé de vouloir construire une mosquée, parce qu'il aurait un gendre musulman. Selon le corbeau, l'édifice serait alors baptisé "El Bordani", comme Bordaneil, le nom du maire !
Début mars, L'Est Républicain rapporte que les 240 habitants d'Anchenoncourt-et-Chazel (Haute-Saône), près de Vesoul, ont eux aussi reçu un courrier anonyme dans leurs boîtes aux lettres. En mots reconstitués à partir de coupures de journaux, quatre phrases : "Nouveau candidat. La main dans la caisse des sapeurs-pompiers. La garde à vue à la chasse. Qu'est-ce qui attend la commune ?" Candidat à la mairie, Michel Delaitre, 62 ans, s'est aussitôt senti visé. Ancien pompier volontaire, il est aussi secrétaire à la fédération de chasse de Haute-Saône, visée depuis plusieurs mois par une information judiciaire pour "destruction d'espèces protégées en bande organisée".
Autre commune, autre corbeau. Direction Messincourt (Ardennes), un village de 650 habitants à la frontière belge. Ici, c'est la gestion des finances de la commune qui est mise en cause dans un tract anonyme distribué dans les boîtes aux lettres. "C'est un charabia bourré de fautes d’orthographe, qui n'a ni queue ni tête. Un tissu de mensonges qui raconte que je magouille", raconte le maire, Michel Sabatier, dans le journal L'Union. Candidat à sa réélection, il a décidé d'avertir la gendarmerie.
A Draveil (Essonne), où les coups bas succèdent aux tracts anonymes, le maire UMP Georges Tron, qui a bénéficié d'un non-lieu dans une affaire de viols, a été contraint de publier un démenti, après une rumeur l'accusant d'être l’auteur d’un ouvrage à caractère pornographique. Des extraits de ce livre, qui comportait des récits de violences sexuelles et était signé de son nom, ont été largement diffusés dans la commune. Des "envois anonymes" qu'il a attribués à l'entourage de l'un de ses adversaires, Philippe Olivier, beau-frère de Marine Le Pen.
Des coups parfois portés en dessous de la ceinture
Des exemples comme ceux-là, il en existe des dizaines en France, tantôt ignorés par les journalistes, tantôt relayés dans la presse locale. Ces derniers mois, l'une des rumeurs les plus médiatisées est celle dite du "9-3", selon laquelle des villes comme Niort, Poitiers, Limoges, Tulle, Le Mans, Saint-Quentin, Reims, Châlons-en-Champagne ou Vitry-le-François recevraient de l'argent de la part du conseil général de Seine-Saint-Denis, pour accueillir des immigrés ou des personnes d'origine étrangère. Des plaintes en diffamation ont été déposées, mais n'ont pas empêché la rumeur de se propager.
Parfois, les corbeaux n'hésitent pas à aller plus loin encore, en portant leurs coups de bec en dessous de la ceinture. A Canohès (Pyrénées-Orientales), un gros bourg proche de Perpignan, Marti Cama, 61 ans, candidat sans étiquette, est accusé de pédophilie dans une lettre anonyme. "Je suis cinq fois grand-père. J'ai été président d'un gros club de foot pendant longtemps avec beaucoup de jeunes. Il est hors de question que mon nom soit entaché du terme de pédophile. Par rapport à ma famille, je ne peux pas rester sans réaction", déplore-t-il dans les colonnes de L'Indépendant. Si Marti Cama a décidé de porter plainte en diffamation, son opposant – le maire actuel de Canohès – tente de relativiser : "C'est la campagne électorale. C'est malheureux, mais c'est comme ça. Dans deux mois, plus personne n'en parlera."
Vraiment ? A Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), les choses ne se sont pas passées exactement comme ça. En 2008, victime d'un tract anonyme mêlant homophobie et accusations de pédophilie, le candidat MoDem, François-Xavier de Peretti, avait porté plainte en diffamation. Sa principale adversaire, la maire UMP Maryse Joissains, avait parlé d'une opération de "victimisation". Mais un an plus tard, le Conseil d'Etat avait bel et bien annulé l'élection, considérant que "des propos et des insinuations d'une gravité inadmissible" durant la campagne avaient "pu fausser les résultats du scrutin". Les Aixois avaient alors dû retourner aux urnes. Ce qui n'avait pas empêché Maryse Joissains d'être réélue.
"La suspicion suffit à créer un vrai trouble dans l'opinion"
"D'un point de vue empirique, on constate que ce genre de rumeurs pré-électorales ne constitue ni une spécificité française, ni une nouveauté. Cela a toujours existé", constate l'universitaire Philippe Aldrin, auteur d'une Sociologie politique des rumeurs (éd. PUF, 2005).
Mais que reste-t-il, au final, de ces rumeurs et de ces boules puantes, même lorsqu'elles s'avèrent totalement infondées ? Selon un récent sondage Opinionway, 42% des Français considèrent que, lorsqu'ils ont vent d'une rumeur, "il n'y a pas de fumée sans feu". "Il est très difficile de mesurer l'impact que peut avoir une rumeur dans une élection. Mais la suspicion suffit à créer un vrai trouble dans l'opinion, observe le sociologue Philippe Aldrin. Or, la réputation est un point capital pour un candidat."
Ce qui peut expliquer la fébrilité avec laquelle les candidats et leurs entourages appréhendent ces rumeurs. Faut-il les ignorer, au risque de les laisser se propager ? Ou faut-il au contraire les démentir publiquement, au risque de leur donner un écho médiatique ? "Chaque situation est très spécifique, mais le démenti n'est effectivement pas toujours la réponse adéquate, répond Philippe Aldrin. Tout dépend généralement de la vraisemblance de la rumeur : plus la rumeur est grave et vraisemblable, plus la personne visée préfère lui tordre le cou le plus vite possible." Certains décident donc de laisser couler. D'autres choisissent de faire front, pour tenter de rétablir la vérité. Mais bien souvent, il est déjà trop tard. La rumeur a atteint son but : elle a ébranlé l'honneur de celui qu'elle visait.
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