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Peur, colère, rejet du politique : le député marcheur Jean Lassalle rend compte de son tour de France

Après huit mois de marche, 5 000 km parcourus et des milliers de rencontres, l'élu des Pyrénées-Atlantiques a présenté "La Marche", son rapport sur l'état d'esprit des Français. Avec plus de faconde que d'optimisme.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le député Jean Lassalle au départ de son tour de France, à Paris, en avril 2013.  (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

Pour sa conférence de presse à l'Assemblée nationale, mercredi 26 mars, le député centriste des Pyrénées-Atlantiques Jean Lassalle était venu sans béret béarnais, ni bâton de pélerin, mais avec un rapport tout frais intitulé La Marche.

Deux cents pages issues de ses rencontres avec les Français croisés tout au long de son tour de l'Hexagone à pied, l'an dernier. "215 jours de marche, 215 jours de rencontres", explique-t-il, assez fier d'avoir réussi à tenir son timing.  Et d'avoir rendu son texte avant le deuxième tour des municipales : "Avant qu’on ne soit passé à une autre séquence."

En neuf mois de marche, l'élu a traversé "17 ou 18 régions", "je ne sais combien de villes et villages" et rencontré "des gens du peuple, des préfets, des généraux, des syndicats, des artistes". 

Le tracé du tour de France de Jean Lassalle, illustration de son rapport La Marche.
 

Au total, "17 500 contacts enregistrés" (rencontrés ou ayant réagi sur son site Le député qui marche) lui ont dévidé toute une litanie de sombres sentiments. Qu'en ressort-il ? Déroulons le chapelet.

Les inquiétudes

Insécurité économique et financière, travail en berne, affaiblissement des liens sociaux, dégradation du cadre de vie... Quelles sont les causes d'insatisfaction qui reviennent le plus souvent dans les propos tenus à Jean Lassalle ?

Pour 51% du panel constitué, le politique, devant la situation économique et financière (34,9%), le travail (20,6%), le climat social (17,7%), le cadre de vie (14%).  La sécurité (6,5%) arrive loin derrière.

Graphique issu du rapport de Jean Lassalle, La Marche.
 

La peur

A en croire Jean Lassalle, la peur se généralise. "J’ai vu la même peur, affirme-t-il, dans les yeux du préfet et du chômeur".

Peur du futur face à un avenir illisible. "Le fil conducteur, assène-t-il, c’est l’enfant. Les parents culpabilisent parce qu’ils ne donneront pas à leurs enfants les mêmes chances que celles qu’ils ont eues."

Peur du citoyen vis-à-vis de la justice, constate le député. "Elle ne rassure plus, elle effraie. Et les avocats généraux que j’ai rencontrés ne m’ont pas rassuré en parlant d’un système bloqué."

Peur de l'entreprise : Patrice, un masseur-kinésithérapeute de Vannes (Morbihan), a évoqué des salariés "qui vont au travail la boule au ventre, qui ont 45 ans et attendent la retraite".

Peur de ne pas avoir de toit : "Les gens trouvent indigne en 2014 de devoir faire des démarches pour avoir un logement. A Paris, j’ai vu une mère de six enfants qui vit dans un F1 depuis vingt ans et dont l’aînée, étudiante en médecine, entend les cris du bébé quand elle travaille."

Peur d'une France de plus en plus divisée. Témoignage de Bernard sur le site : "Le pays est divisé en deux mondes qui ne se comprennent pas : Paris intra-muros et le reste du pays (98% de la superficie). Colbertisme centralisateur insupportable avec une tribu de technocrates qui s'autogénère". Pour Céline, "il faut arrêter de monter les Français les uns contre les autres sous prétexte d'insécurité, de discrimination afin d'en tirer profit."

La colère

Que les politiques soient rejetés, Jean Lassalle le savait, mais le niveau de colère l'a surpris. "Je ne pensais pas que la détestation des politiques atteindrait un tel degré", écrit-il dans son rapport.

Sur son parcours, une enseignante en histoire-géographie l'a interpellé de façon particulièrement violente : "'Vous êtes le député qui marche ? Monsieur le député, je suis venue pour une raison particulière, pour vous cracher au visage.' Je lui répondis alors : 'Bon, il pleut déjà !' La jeune femme me rétorqua séchement : 'Pas d'humour ! Pas d'humour parce que vous êtes tous déplorables et vous particulièrement'."

Au bout de 7 km de marche commune et d'écoute - il l'invite à l'accompagner, et elle accepte - la prof s'apaise. Mais combien de colères restent rentrées ?

Jean Lassalle affirme également avoir mesuré le discrédit de la presse nationale : "L’analyse à chaud est destructrice. Les jours de mauvaises nouvelles, elles crépitent toutes les cinq minutes, en rafale. Ça fait gerber nos concitoyens."

L'indifférence (ou le rejet) vis-à-vis du politique

Vis-à-vis des politiques, ceux qui ne choisissent pas la colère se réfugient dans la résignation, ou l'indifférence. Là encore, à un niveau qui a étonné le député. "La marche m’a donné une photo du scrutin, mais j’espérais que la foudre épargnerait les municipales et ne s’abattrait que sur les européennes."

Et de raconter : "Avant, en temps de campagne municipale, la ville était coupée en deux, entre partisans de l’un ou l’autre camp. Là, quand vous sentiez un engouement autour d’une équipe qui tractait, à deux ou trois rues, il n’y avait plus rien. Les gens vous disent : 'Ce n’est plus mon affaire. De toute façon, mon maire n’aura plus aucun pouvoir.'"

Gauche ? Droite ? Tous se valent, à en croire les propos rapportés par Jean Lassalle. "Vous avez tous fait les mêmes choix ! Tous approuvé le pacte de stabilité ! Tous organisé entre nous une concurrence de survie ! La finance nous écrase, vous avez démissionné", dit-il avoir entendu.  

Conclusion du député des Pyrénées-Atlantiques : ce rapport qui "souhaite rouvrir le champ des possibles" doit servir "de terreau pour ceux qui ont des responsabilités". Et c'est urgent, car "il est minuit moins dix" dans "une France pré-révolutionnaire". Le rapport a été remis le 25 mars au président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, le 26 au président du Sénat, Jean-Pierre Bel, et le sera la semaine prochaine à l’Elysée.

Cette marche a, en tout cas, eu des conséquences concrètes aux municipales. A Lourdios-Ichère, le village de la vallée d'Aspe dont Jean Lassalle est maire depuis 1977, il a été le plus mal élu de sa liste, avec 85 % des suffrages contre 97% à sa première adjointe. Pourquoi ce recul de 15 points par rapport aux élections précédentes ? Parce qu’il a parcouru l’Hexagone au lieu de voir "la misère qu’il y avait là". Chez lui. 

 Rapport intégral La Marche du député des Pyrénées-Atlantiques Jean Lassalle

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