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Municipales : à plus de 80 ans, ils quittent leur fauteuil de maire

Ils ont passé 40, 50, voire 60 ans à la tête d'une petite ville ou d'un village. Quatre maires octogénaires qui se sont (enfin) décidés à passer la main reviennent sur leur expérience.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Arthur Richier, maire de Faucon-du-Caire (Alpes-de-Haute-Provence), le 30 janvier 2014. Elu depuis 1947, à 92 ans, il ne se represente pas. (  MAXPPP)

"Maintenant, je vais m'occuper de ma femme !" Bernard Cacquevel a déjà une petite idée de la manière dont il va gérer son temps libre. Après dix mandats de maire au village du Mesnil-Rogues (Manche), 168 habitants, il a décidé de ne pas se représenter. "Blague à part, j'ai 87 ans, alors vous savez, dans six ans, je ne sais pas où je serai, dit-il. Mais j'aurais aimé continuer. Depuis plus de 60 ans, je viens tous les jours à la mairie, c'est toute ma vie."

Comme Bernard Cacquevel, ou Roger Sénié, codoyen des maires de France qui a annoncé renoncer à briguer un douzième mandat mardi 11 février, de nombreux maires octogénaires et nonagénaires sont rattrapés par l'âge après avoir passé plus d'un demi-siècle – parfois un peu moins – au service de leur village ou de leur petite ville. Ils mettront un point final à leur carrière le 30 mars, après le second tour des élections municipales. Quatre d'entre eux ont accepté de se confier à francetv info.

"Enfin du temps libre pour les voyages"

L'épouse de Bernard Têtu, maire socialiste de Lattre-Saint-Quentin, un village du Pas-de-Calais peuplé de 243 habitants, est aussi restée à ses côtés pendant ses 49 ans de mandat. "Elle a toujours eu envie de visiter la Bretagne. Mais en tant que maire, je n'ai jamais pu me permettre de prendre de longues vacances." Par devoir, il s'est toujours montré disponible, au service des habitants, pendant l'été. "Maintenant, on va enfin pouvoir consacrer notre temps libre aux voyages et à la détente", confie l'édile âgé de 83 ans.

Lorsqu'il est devenu maire, Bernard Têtu avait 33 ans. Il était déjà conseiller municipal. Ses collègues lui ont demandé de se présenter aux municipales. "Leur proposition m'a fait plaisir : j'ai accepté. J'ai été élu, puis réélu. J'ai continué." Il était loin de se douter qu'il conserverait l'écharpe tricolore pendant près d'un demi-siècle. "J'ai été très heureux. Je me suis investi avec plaisir dans la vie du village. Les personnes avec lesquelles je travaille sont devenues mes amis", indique-t-il. Comme une grande famille, qui se réunit dans la salle des fêtes depuis les années 80. Bernard Têtu avait repéré un bâtiment que la mairie a racheté. Il en a fait un lieu central, un espace qui rythme la vie du village.

Bernard Cacquevel, lui, est fier d'avoir transformé le presbytère en auberge, en 1984. "Aujourd'hui, on peut y organiser des banquets avec 140 couverts", s'exclame-t-il d'une voix forte, encore pleine de vivacité. Avec émotion, il a inauguré le 8 février son dernier projet : une place communale agrémentée d'un parking et de WC publics, aménagée sur un terrain racheté par la mairie. L'accomplissement de 61 ans passés à la tête du village.

"J'ai totalement équipé la commune"

Pour la plupart de ces maires, tout était à faire. A plus de 800 km au sud de chez Bernard Cacquevel, René Rose, maire de Borce, un village de 150 habitants dans les Pyrénées-Atlantiques, revient sur ces années avec fierté : "J'ai totalement équipé la commune. J'ai fait les routes. J'ai rénové l'école. Et j'ai connu l'installation de la télévision dans les foyers !" Arrivé d'Orthez (Béarn) en 1964, René Rose, aujourd'hui âgé de 81 ans, s'est présenté aux élections un peu par hasard. "Les habitants de Borce m'ont incité. C'est comme cela que j'ai commencé."

De son côté, Arthur Richier, qui partage son titre de codoyen des maires avec Roger Sénié, a permis aux habitants de Faucon-du-Caire (Alpes-de-Haute-Provence) d'avoir accès à l'eau courante en faisant installer la première adduction d'eau en 1954. Agé de 92 ans, il quittera son fauteuil fin mars, après onze mandats consécutifs.

A l'instar d'une grande majorité des maires de petites communes rurales, Bernard Têtu s'était fixé comme objectif de conserver un village "vivant, gai et intéressant" face à l'exode rural. Il estime l'avoir atteint. "Ici, la plupart des fermes ont disparu et n'offrent plus de travail. Mais d'autres habitants ont trouvé le village attractif et sont venus s'installer. Ils ont une ou deux voitures, qu'ils utilisent pour aller au travail", affirme-t-il. La plupart se rendent à Arras, la préfecture du département, située à une quinzaine de kilomètres.

Eviter la mort du village était aussi un des objectifs de René Rose. Pour attirer les touristes, il a décidé de créer un gîte d'étape dans l'ancienne école des filles. "Et quand le dernier commerce a fermé, j'ai créé une épicerie communale. Les villageois peuvent y acheter du pain ou des journaux", complète-t-il.

Des procès pour des chutes de rochers

"Je ne regrette rien. J'ai réalisé ce que je voulais et j'ai conservé de bonnes relations avec les habitants, comme je le souhaitais", résume Bernard Cacquevel. Il dit n'avoir rencontré qu'une seule difficulté : l'intercommunalité. "Il faut se déplacer souvent dans les autres communes. A mon âge, cela pose problème. C'est pour cela que j'arrête", explique-t-il. "Participer au fonctionnement d'une intercommunalité, c'est beaucoup de travail", reconnaît René Rose, à la tête de la communauté de communes de la vallée d'Aspe. Mais pour lui, c'est loin d'être un handicap. "Grâce à ce regroupement de communes, on peut réaliser des choses qu'un maire est incapable de réaliser tout seul", ajoute-t-il avec son accent béarnais.

Maire d'un village niché à flanc de montagnes, René Rose a connu d'autres difficultés. Sa ville a été poursuivie jusqu'au Conseil d'Etat pour des affaires liées à des glissements de terrain. "Ce sont les mauvais souvenirs : un rocher a dévalé la pente et tué une dame dans sa cuisine. Quelques années plus tard, un autre rocher a écrasé une conduite EDF. La mairie a perdu le procès et a eu des difficultés pour payer", se souvient René Rose.

Un adjoint souvent désigné comme successeur

Les octogénaires ne se contentent pas de gérer de petits villages. Parfois, ils voient leur population exploser. Agé de 85 ans, Georges Beyney, maire divers droite de L'Union, une bourgade dans le prolongement de Toulouse (Haute-Garonne), a vu sa population tripler en 41 ans de mandat, pour atteindre près de 12 000 habitants. Une augmentation difficile à gérer, surtout avec le budget dont il disposait pour sa commune. Il estime y être parvenu et se vante de laisser une "toute petite" dette, de deux euros par habitant. "Il faut vivre dans la réalité. Utiliser l'argent que l'on a, pas davantage."

Aujourd'hui, son problème, c'est sa succession. "J'avais adoubé une adjointe capable de gagner les prochaines élections municipales, mais pas de gérer la commune. Un adjoint devait l'épauler. Mais il s'est éclipsé. Elle a alors décidé de partir en campagne seule, contre mon avis et en critiquant mon bilan", explique-t-il. Il a finalement choisi un autre conseiller municipal comme "poulain", selon son expression.

Former un de ses adjoints pour sa succession est un classique pour ces maires octogénaires, qui veulent ainsi assurer la continuité de leur action avec leur dauphin(e). Ainsi, le premier adjoint de René Rose figure en tête d'une liste, sur laquelle se trouvent également quatre conseillers municipaux pour les élections de mars. "Je pense que le travail pourra se poursuivre de façon efficace", avait-il déjà confié à La République des Pyrénées en avril 2013.

Bernard Cacquevel, lui, est sur la liste d'un de ses adjoints. Si celui-ci, âgé de 62 ans, remporte les élections, l'édile du village manchois sera conseiller municipal. Il ne quitte donc pas la politique. "J'ai une bonne relation avec les gens, je veux que cela continue."

"Le côté relationnel va me manquer"

Car être maire, c'est aussi créer un lien relationnel fort avec les habitants. Un "privilège" de la fonction que les édiles ont du mal à abandonner. René Rose, par exemple, pense s'investir dans des associations caritatives après avoir passé le relais. "Le 12 avril, ce sera fini. Le côté relationnel va me manquer", confie-t-il.

René Rose tente de se consoler en prenant du recul. "Je suis triste, mais le bonheur d'avoir pu apporter quelque chose au village me permet de dépasser ce sentiment, conclut-il. Malgré les heures supplémentaires qui ne se comptent pas, les réunions qui n'en finissent plus... Etre maire est une expérience extraordinaire."

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