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Municipales : à Noyon, deux frères se déchirent pour la mairie

Les 23 et 30 mars, Gérard Deguise (UMP) tentera de chasser Patrick Deguise (PS), son frère, de la mairie de Noyon (Oise). Francetv info a rencontré les protagonistes de ce duel inédit.

Article rédigé par Thomas Baïetto - Envoyé spécial à Noyon,
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
L'hôtel de ville de Noyon (Oise), le 20 décembre 2013. (MAXPPP)

En 2008, Gérard Deguise a reçu un drôle de coup de téléphone. C'était le lendemain des élections municipales. Un couple voulait lui payer le champagne pour sa victoire, la veille, à la mairie de Noyon (Oise). "Je leur ai répondu : 'Eh non, ce n'est pas moi qui ai gagné', raconte-t-il aujourd'hui. Ils m'ont répondu : 'Ah, mince, on a voté pour votre frère alors." Patrick Deguise, le petit frère socialiste, vient de rafler la mairie de cette ville de 14 000 habitants à son aîné, premier adjoint sortant et troisième sur la liste UMP.

Depuis, Gérard ne décolère pas, persuadé que son frère, jusque-là maire du village voisin de Pont-l'Evêque et conseiller général, a bénéficié de sa notoriété pour l'emporter dans cette ville plutôt à droite. Au téléphone, il rechigne d'abord à évoquer le différend familial. Puis se lâche dans les locaux de sa permanence contre celui qu'il appelle "Monsieur Patrick Deguise". "Attendez, quand vous bossez pour une commune pendant dix-neuf ans et que votre frangin vient pour vous virer… Je ne peux pas le prendre bien, peste le grand frère de 66 ansOn était une famille très unie. On nous a inculqué des valeurs. A aucun moment je n'aurais osé venir attaquer le frère." Et d'asséner : "La mairie de Pont-l'Evêque était trop petite pour lui."

"Gérard a un gros ego"

Alors il a décidé de "lui rendre la pareille", comme tête de liste cette fois, et avec un slogan qui résume bien son état d'esprit : "Pour ma ville." En 2014, c'est Deguise contre Deguise. Bien installé à la mairie, Patrick, 58 ans, regrette la candidature de son frère. Mais il ne se prive pas de cogner contre celui qui fut aussi son collègue dans l'entreprise Rigida. La confusion des noms ? "Gérard est dans le déni (...), il incarne le passé, c'est trop tard pour lui, réplique-t-il, avant de glisser, tout sourire : Cette année, les Noyonnais feront la différence entre l'action et l'inaction."

Le candidat UMP pour la mairie de Noyon (Oise), Gérard Deguise, le 4 février 2014. (THOMAS BAIETTO / FRANCETV INFO)

Sa candidature de 2008 ? Il explique s'être présenté contre François-Michel Gonnot, figure de l'UMP compiégnoise, pas contre son frère. "S'il s'était présenté comme tête de liste, je serais encore à Pont-l'Evêque", assure-t-il. Ses prétentions personnelles ? "Gérard, c'est le grand frère, il veut toujours être le leader de la fratrie, lâche-t-il. Il a un gros ego. C'est le plus beau, le plus fort, le plus intelligent. Non !"

"Papa ne serait pas content de ce spectacle"

Le maire sortant n'hésite pas non plus à jouer régulièrement la carte familiale. Il le fait d'autant plus volontiers que chez les Deguise, on était socialiste. "Notre papa [décédé en 2008] ne serait pas content de ce spectacle. Et notre maman ne le vit pas très bien", regrette-t-il. Il sait aussi jouer de ses souvenirs : "En 1981, Gérard a fait la fête pour l'élection de Mitterrand." Son aîné n'apprécie pas vraiment le procédé : "C'est scandaleux, les parents n'ont rien à voir là-dedans." Depuis juin, les deux hommes, qui avaient l'habitude de partir en vacances ensemble à Quiberon (Morbihan), ne se parlent plus.

Rue de Grèce, dans la discrète antenne du Front national, le troisième candidat compte les points. "Patrick est mégalo et Gérard n'est pas bon", résume Michel Guiniot, qui a quand même proposé au second de faire liste commune. Ce membre de l'état-major du FN revisite avec gourmandise le slogan "UMPS" du parti. "Ce sont les frères Dalton. Ils s'engueulent en permanence, mais ils savent se réunir pour faire un mauvais coup", ironise-t-il. Lui se voit bien "mettre tout le monde d'accord", en "Lucky Luke qui aurait un peu grossi". Dans une ville où le Front national a manqué la mairie de quelques voix en 1995, ce n'est pas une menace en l'air.

Le maire de Noyon (Oise), Patrick Deguise, le 5 février 2014. (THOMAS BAIETTO / FRANCETV INFO)

"Au conseil municipal, c'est la foire d'empoigne"

Les deux autres feignent l'indifférence. "Guiniot va dire qu’on discute de l’avenir de Noyon à table. Mais on ne se voit plus vraiment entre le fromage et le dessert", réplique Patrick, ajoutant au passage que le cadre FN n'est pas très présent dans la commune. "La bagarre des deux frères, c'est son slogan de campagne, il n'a rien à proposer", lance Gérard. Mais même lorsqu'ils évoquent le FN, les deux frères trouvent le moyen de s'en prendre à l'autre. "Si je ne m'étais pas présenté, il y aurait eu un duel FN-PS et ce n'est pas Monsieur Patrick Deguise qui aurait gagné", assure l'aîné. "Ce n'est pas moi qui ai fait monter le FN, c'est Gérard", tacle le cadet.

Que donnerait un débat entre les trois hommes ? Le Courrier picard souhaite l'organiser. Patrick est d'accord, Michel Guiniot aussi. Mais pas Gérard. "C'est hors de question, s'emporte-t-il. Venez assister à un conseil municipal et vous verrez pourquoi. Cela va être la foire d'empoigne, comme au conseil." Une adjointe au maire reconnaît que les échanges sont "un peu vifs" ces derniers mois, comme le raconte le Courrier picardLa tension devrait encore monter d'un cran entre les deux tours, puisqu'une triangulaire se profile. Aucun des deux frères n'envisage aujourd'hui de se désister pour l'autre.

"C'est bonnet blanc, blanc bonnet"

Dans les rues de Noyon, la majorité des habitants qui acceptent de répondre ne sont pas tendres avec les frères Deguise. "C'est bonnet blanc, blanc bonnet", lâche une commerçante. "Ce sont deux gars très gentils quand ils n'ont pas la folie des grandeurs", nuance Gérard, qui les connaît bien. "C'est la grosse rigolade. Les deux frangins candidats, ça tourne au comique", balance un autre, qui croit savoir que le troisième frère, Alain, a voulu monter une liste.

Le candidat FN à la mairie de Noyon (Oise), Michel Guiniot, le 5 février 2014. (THOMAS BAIETTO / FRANCETV INFO)

Pourtant, Alain Deguise, 57 ans, ne fait pas campagne. Non, ce chef d'entreprise, qui passe huit mois de l’année au Tréport (Seine-Maritime), est en train de "ré-accastiller un bateau de pêche". Au téléphone, il "ne veut pas défendre l’un et accuser l’autre". Mais quand même. Un temps encarté à l'UMP et séduit aujourd'hui par Nicolas Dupont-Aignan, le benjamin se reconnaît pourtant "plus dans les six ans de mandat de Patrick [le socialiste] que dans les dix-huit ans du temps de Gérard". Et il aurait bien aimé que l'aîné n'y aille pas : "Ma mère a 85 ans, elle se passerait bien de ça."

Gisèle Deguise confirme. "Cela fait quelque chose de voir mes enfants comme ça. (...) Je ne veux pas prendre part à ce débat", explique-t-elle. Passionnée de politique, elle regarde les questions au gouvernement chaque semaine en prenant des notes. Mais cette fois-ci, elle n'ira pas voter.

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