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Législatives : dans les Yvelines, la bataille des droites fait rage entre Jean-Frédéric Poisson et Aurore Bergé

C'est un combat entre deux droites peut-être irréconciliables après la défaite de François Fillon à la présidentielle. Dans la 10e circonscription des Yvelines, le très conservateur Jean-Frédéric Poisson affronte la jeune Aurore Bergé, transfuge des Républicains à La République en marche.

Article rédigé par Sophie Brunn - Envoyée spéciale dans les Yvelines,
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Dans la 10e circonscription des Yvelines, Aurore Bergé, candidate de La République en marche, affronte Jean-Frédéric Poisson, député sortant investi par LR. (MAXPPP)

"Bienvenue à Poigny-la-Forêt, un petit millier d'habitants, un peu plus de chevaux et infiniment plus d'arbres…" En cet après-midi ensoleillé, Jean-Frédéric Poisson se montre très affable. Bien installé au volant de sa grosse voiture de campagne – sa photo et son nom sont affichés sur la portière, comme un véhicule publicitaire –, le député sortant sillonne sa circonscription des Yvelines, assez rurale. Au programme : des rencontres avec les maires de plusieurs communes de son territoire, une occasion de prendre le pouls de la campagne des législatives des 11 et 18 juin.

"Les électeurs de droite ont le sentiment de s'être fait voler la présidentielle, assure-t-il. Ils ne voudront pas se faire voler une seconde fois." La 10e circonscription des Yvelines est l'une des rares en France où Emmanuel Macron et François Fillon sont arrivés dans un mouchoir de poche au premier tour de la présidentielle : le premier à 27,89% des voix, le second à 27,07%. Autant dire que le match s'annonce serré entre Jean-Frédéric Poisson, soutenu par Les Républicains et l'UDI, et Aurore Bergé, investie par La République en marche.

Jean-Frédéric Poisson, candidat soutenu par LR et l'UDI, en campagne dans les Yvelines. (SOPHIE BRUNN / FRANCEINFO)

Direction Gazeran, où le maire reçoit le candidat dans son bureau avec quelques conseillers municipaux. Sur la table, il y a encore des piles de bulletins de vote de la primaire de la droite, dont ceux au nom de Jean-Frédéric Poisson. "On s'en sert comme brouillon", explique l'édile en souriant. Jean-Frédéric Poisson prend la parole. "A priori, on affrontera la candidate d'Emmanuel Macron au second tour, si on projette les résultats de la présidentielle.

Un contexte difficile, estime le candidat, qui décline les axes de sa campagne : son enracinement local, ses convictions que "tout le monde connaît" (Jean-Frédéric Poisson dirige le très conservateur Parti chrétien-démocrate, où il a succédé à Christine Boutin) et les éléments "inacceptables" du projet du nouveau président, comme la réforme du Code du travail ou la vision de l'Europe. Quand on interroge les participants à cette réunion sur Aurore Bergé, un conseiller municipal répond : "Qui ça ? La fille de Pierre Bergé ?" Et la petite assemblée de s'esclaffer.

Sarkozyste, juppéiste puis En marche !

Aurore Bergé est pourtant loin d'être une novice en politique. Elle a beau n'avoir que 30 ans, elle a déjà 16 ans de militantisme – à droite – derrière elle. Cela se voit dans son comportement sur ce marché de Maurepas, la deuxième plus grande ville de la circonscription, où elle passe une matinée entière à distribuer ses tracts. Il y est écrit : "La candidate d'Emmanuel Macron pour votre circonscription", le nom du président en caractères plus gros que le reste. Très volontaire, toujours le sourire aux lèvres, elle tend la main aussi facilement qu'un vieux cacique rompu aux pratiques politiques.

L'accueil est globalement bon, surtout de la part des personnes âgées, majoritaires ce matin-là. "J'espère qu'il nous emmènera loin, Emmanuel, s'enthousiasme une habitante devant un étal de vêtements. Un peu de jeunesse, c'est bien !" "Pour ça, il faut une majorité", répond Aurore Bergé. Devant la halle, elle croise un retraité moustachu, qui s'emporte contre le train de vie des parlementaires :

"C'est un scandale, les députés sont bien gentils, ils sont élus cinq ans et après ils ont droit à une retraite.

– C'est notre premier projet de loi. On va supprimer la double cotisation de retraite et interdire le cumul dans le temps.

– Il y a un sérieux ménage à faire. Quand on voit comment LR a tout fait pour préserver ses intérêts !

– Moi, avant, j'étais chez LR et je suis partie à En marche !"

Aurore Bergé, candidate de La République en marche, en campagne à Maurepas (Yvelines).    (SOPHIE BRUNN / FRANCEINFO)

Un changement de parti qui nourrit les accusations d'"opportunisme" chez ses adversaires. Cela semble laisser Aurore Bergé de marbre. "Ce n'est pas mon sujet, tranche-t-elle. Ils ne comprennent pas ce qui est en train de se passer dans le pays.Quant à la photo que ses adversaires ont opportunément ressortie, la montrant en train de faire campagne pour Jean-Frédéric Poisson lors d'une législative partielle en 2010, elle assure qu'elle a simplement tracté pendant une heure, alors qu'elle était chargée de mission à la fédération UMP des Yvelines. "On ne peut pas m'accuser d'une quelconque sympathie envers lui, je n'ai jamais été proche du Parti chrétien-démocrate ou de Christine Boutin. Je suis d'ailleurs ahurie de la place qu'on leur laisse, notamment dans les investitures."

C'est comme Sens commun : on aurait dû les marginaliser au sein de la droite, au lieu de leur donner une visibilité énorme. On gagne une primaire avec Sens commun mais on perd une présidentielle.

Aurore Bergé, candidate LREM

à franceinfo

Elle voit dans cette bataille législative un combat "symbolique car, en termes de valeurs, on est diamétralement opposés sur tout". Et de citer les questions sociétales – à commencer par le mariage pour tous –, diplomatiques – Jean-Frédéric Poisson a rencontré à deux reprises Bachar Al-Assad –, économiques – la candidate se dit beaucoup plus "libérale" que son adversaire.

"Le pôle juppéiste sera toujours minoritaire"

Sur le marché, Aurore Bergé croise une habitante de Bordeaux. "Vous avez un bon maire !" sourit la candidate à l'évocation de son ancien mentor, Alain Juppé. La Bordelaise approuve et ajoute : "Je veux qu'on sorte de ces clivages." La candidate aussi, elle qui ne prédit aucun avenir à ses camarades modérés restés chez Les Républicains. "Le pôle progressiste, humaniste, juppéiste sera toujours minoritaire au sein de la droite, pense-t-elle. Soit ils actent qu'ils n'ont plus grand-chose en commun, comme Edouard Philippe, soit ils restent mais ils ne gagneront aucun arbitrage programmatique."

Ce constat, elle le partage avec Jean-Frédéric Poisson. "La clarification est indispensable, analyse-t-il. On ne s'en sortira pas sans en passer par là."

NKM, Estrosi, Raffarin… qu'ils partent ailleurs ! En termes de philosophie politique et de posture, nous sommes devenus trop différents pour être au même endroit.

Jean-Frédéric Poisson, candidat LR

à franceinfo

La démonstration va en être faite pendant la dernière réunion de l'après-midi, à la mairie d'Orphin. Autour de la longue table en bois qui accueille d'habitude le conseil municipal, une petite dizaine d'habitants ont été réunis par la maire pour échanger avec le député et sa suppléante. "Cette élection législative est un peu difficile à appréhender, commence Jean-Frédéric Poisson. Je pensais affronter le FN au second tour, mais l'irruption d'Emmanuel Macron change les choses." Il déroule ses arguments puis tacle sa principale concurrente. "Je n'ai pas changé d'affinités politiques, ni d'alliés, je n'ai pas changé de convictions, je n'ai pas changé de territoire."

Porno, bordels et IVG

Il laisse ensuite la parole à sa suppléante. Pascale Gautheret se présente comme mère de cinq enfants, ce qui lui permet de "bien connaître les problèmes du quotidien". Elle parle de l'association qu'elle a créée à la suite d'un sordide fait divers en 2008, quand deux adolescents avaient violé une mineure après avoir regardé un film pornographique. L'association, baptisée De l'enfance à l'adolescence, propose depuis des "parcours d'accompagnement à la vie affective et sexuelle" dans les écoles et les collèges.

Alors que ces thématiques n'avaient pas du tout été abordées dans les réunions précédentes, c'est comme si une boîte de Pandore s'ouvrait. Un habitant à la moustache blanche lance, presque sans transition : "Je voudrais qu'on rouvre les bordels." Un autre l'approuve immédiatement. Le premier précise aussi qu'il est "d'accord" avec l'IVG seulement en cas de viol, d'inceste, et si la mère ou l'enfant est en danger. Pascale Gautheret répond en citant le nombre d'IVG en France. Une dame s'inquiète de la violence dans les films, nocive pour les enfants.

Le mariage pour tous toujours pas digéré

L'ouverture du mariage aux couples de même sexe revient aussi dans la discussion. Le même qui plaide pour la réouverture des maisons closes demande "qu'on foute la paix aux homosexuels ! Là, on les met sur un piédestal." Un seul des participants à la réunion, artisan de profession, proteste : "Je voterai pour vous, dit-il au candidat, mais votre politique, ça ne va pas, il faut avancer sur le mariage pour tous !" Autour de la table, il est bien isolé. La suppléante raconte qu'une petite fille qu'elle a croisée dans une cour de récréation lui a parlé d'une amie qui a "quatre mamans et voudrait un papa. A terme, on peut se demander si elle aura une vie équilibrée psychologiquement ?"  

Jean-Frédéric Poisson, resté en retrait pendant la discussion, prend la parole, sans en rajouter. "On ne va pas refaire le débat", dit-il, tout en jugeant qu'"on a fragilisé l'institution" du mariage. Mais il lui semble "plus urgent de traiter aujourd'hui d'autres sujets, comme la question migratoire". De retour dans sa voiture, il déduit de cet échange que "ce débat n'est pas clos, contrairement à ce qu'on veut faire croire". En tout cas, pas dans cette circonscription.

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