Terrorisme jihadiste : comment une politique européenne se met en place pour y faire face
En cinq ans de mandature, l'Europe (Parlement, Commission et institutions dédiées) s'est organisée pour faire face à la menace terroriste.
Le rétablissement des contrôles aux frontières françaises est censé prendre fin mardi 30 avril. Cette mesure exceptionnelle, prise au lendemain des attentats du 13-Novembre à Paris et Saint-Denis, est renouvelée régulièrement par le gouvernement français qui dit faire face à une menace terroriste "très prégnante". En février, le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner affirmait que le gouvernement envisageait de demander une nouvelle prolongation de six mois, en vue du G7, fin août à Biarritz. Le maintien de ces contrôles aux limites géographiques d'un Etat membre de l'espace Schengen, où la libre circulation est en vigueur, est symbolique de la prise en compte croissante du risque terroriste au sein de l'Union européenne.
Depuis quatre ans, l'Europe a renforcé la coopération entre les Etats membres dans la lutte contre le terrorisme jihadiste et a mis en place plusieurs dispositifs. Cependant, le travail à 28 pays sur cette thématique a montré ses limites sur de nombreux aspects. Le futur Parlement européen qui sera élu lors des élections du 26 mai et la prochaine Commission européenne seront attendus au tournant par les citoyens : 82% d'entre eux souhaitaient que l'UE intervienne davantage dans la lutte contre le terrorisme, lors du sondage Eurobaromètre de juin 2016.
Le déclic : les attentats du 13-Novembre
"Avant les attentats du 13 novembre 2015, le discours dominant à Bruxelles était que l'Union européenne devait surtout intervenir en soutien", admet Gilles de Kerchove, le coordinateur de l'UE pour la lutte contre le terrorisme. En poste depuis 2007, ce fonctionnaire européen a vu évoluer les mentalités au sein de l'Europe. "Depuis les attentats contre Charlie Hebdo [en janvier 2015], le terrorisme est évoqué à chaque réunion du Conseil européen." Les attentats jihadistes ont agi comme un déclic pour les politiques, de l'aveu différents acteurs sollicités.
Anne Giudicelli a fondé Terrorisc, société de conseil en intelligence stratégique à l'international. Si elle nuance l'électrochoc ressenti par les politiques européens, elle s'accorde à dire qu'il y a eu une prise de conscience. "Déjà, en 2014, une évolution s'est amorcée quand on a compris que le mille-feuilles sécuritaire ne servait à rien, estime-t-elle. Les pays membres ont alors adopté une stratégie de prévention. Les attentats de 2015 ont accéléré cette dynamique."
La réaction : une commission spéciale et des programmes européens
L'Union européenne s'est donc retroussée les manches. Au début de l'année 2016, le Centre européen de lutte contre le terrorisme (ECTC) voit le jour. Son objectif : renforcer la coopération transfrontalière entre les autorités antiterroristes. En octobre 2017, le projet Sirius améliore l'accès aux preuves électroniques entre les différents Etats pour les enquêtes numériques. Europol, l'agence européenne spécialisée dans la répression de la criminalité, passe elle aussi à la vitesse supérieure, avec une hausse de 250% du volume d'échange des informations entre 2015 et 2019.
Au-delà de l'action sur le terrain, le Parlement européen a créé une Commission spéciale sur le terrorisme (baptisée TERR Comittee) en septembre 2017, pour évaluer ce qui est déjà mis en place et proposer des pistes de réflexion. "C'était utile d'avoir un travail dédié à la question antiterroriste. Ce sujet était resté pendant longtemps dans l'angle mort", se félicite Arnaud Danjean, député européen du Parti populaire européen, membre des Républicains en France, qui a fait partie de cette commission. Le Parlement a d'ailleurs terminé sa mandature en adoptant toute une série de mesures : renforcement de l'interopérabilité des systèmes de contrôles aux frontières extérieures de l'espace Schengen, réglementation renforcée sur les explosifs ou encore révision finale de Frontex.
D'autres mesures sont encore embryonnaires. "En ce moment, nous avons beaucoup de demandes concernant la prévention de la radicalisation", explique Anne Giudicelli. Elle se félicite : "La lutte antiterroriste et la prévention de la radicalisation font partie d'une même approche." Elle apprécie aussi un effort de diversification des acteurs sollicités par l'Union européenne, tout en soulignant que "c'est une évolution très récente".
Le bilan : des résultats mitigés
Malgré ses efforts pour lutter contre le terrorisme, l'Union européenne fait face à une statistique douloureuse : en 2017, le nombre d'attaques jihadistes a plus que doublé par rapport à 2016, selon le rapport d'Europol, l'agence européenne spécialisée dans la répression de la criminalité. "Il y a urgence à s'investir beaucoup plus", reconnaît Gilles de Kerchove même si, comme la majorité des personnes que nous avons interrogées, il préfère garder en tête que le nombre d'attaques déjouées est en augmentation. En 2017, 705 personnes ont été arrêtées pour des faits de terrorisme jihadiste, selon le rapport annuel d'Europol, qui intervient sur plus de 40 000 enquêtes par an. La France est sur la plus haute marche du podium, avec 373 arrestations et, surtout, 11 attaques déjouées.
Pour endiguer le phénomène, il n'y a pas de miracle selon Nathalie Griesbeck, députée européenne de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe. "En coopérant, on détectera plus tôt les signaux faibles", affirme celle qui a dirigé TERR, la Commission spéciale au Parlement européen. Mais la coopération entre Etats membres est perfectible : ainsi, le dernier rapport d'Europol souligne que "voyager en Europe est toujours possible via les pays-tiers en utilisant des faux papiers ou des papiers volés" et le rapport final de la Commission spéciale au Parlement européen fait état de "failles" dans les contrôles réalisés aux frontières extérieures de l'espace Schengen.
Les freins : des approches différentes de l'antiterrorisme
Plus de coopération mais pour dire ou faire quoi ? C'est la base du problème selon Anne Giudicelli. "Les attentats de 2015 ont développé la coopération mais entre des pays qui pensent la même chose. Sur le plan sécuritaire, ça a fonctionné mais pas dans la gestion de la radicalisation et de la prévention." Effectivement, les flux extérieurs sont mieux maîtrisés et plus d'attentats sont déjoués. Mais la menace terroriste ne transite pas toujours par l'extérieur. "Les attaques jihadistes sont principalement commises par des terroristes radicalisés dans leur pays de résidence sans avoir voyagé à l'étranger pour rejoindre un groupe de terroristes", souligne ainsi le dernier rapport d'Europol. Ces individus sont donc moins faciles à repérer pour les services anti-terroristes. "C'est plus compliqué à gérer", admet Gilles de Kerchove.
Globalement, les différentes cultures des Etats membres représentent parfois un point de blocage pour avancer en matière de lutte contre le terrorisme. "En France, on est très sensible à cette question. Ce n'est pas le cas partout", explique Arnaud Danjean. Conséquence : il n'y a pas toujours d'équipe spécialisée sur ces questions dans les Etats membres. Si la France se penche sur le dossier, elle n'a cependant pas la bonne manière d'aborder les choses pour Guillaume Denoix de Saint-Marc, directeur général de l'Association française des victimes du terrorisme (AFVT). Selon lui, Paris ne fait pas coopérer des acteurs très variés comme c'est le cas à l'échelle de l'UE. "Il y a des luttes de pouvoir et, à l'échelle européenne, une arrogance et une absence, sauf si on peut avoir le leadership." Cela ne dépend pas du président de la République en place ni de sa majorité politique, estime-t-il, mais relève d'un problème culturel.
Certains pays sont aussi frileux à l'idée de traiter la question à l'échelle européenne. "Il y a toujours un débat entre la perte de souveraineté et la nécessaire coopération", déplore Guillaume Denoix de Saint-Marc. Un ressenti que conteste Arnaud Danjean, même si le député européen rappelle que "plus de coopération ne veut pas dire plus d'intégration". Marcher ensemble, oui, mais pas forcément main dans la main, donc. Reste, selon Guillaume Denoix de Saint-Marc, qu'il y a urgence pour endiguer la radicalisation : "Tant que les Etats-membres seront désunis, on n'y arrivera pas. Il faut accepter de perdre de la souveraineté pour relever ce défi."
Les enjeux des cinq prochaines années
Alors comment améliorer les choses dans la prochaine mandature ? En accentuant la lutte contre la radicalisation, tout d'abord. "Il y a deux éléments qui entrent en ligne de compte, détaille Gilles de Kerchove. Multiplier les capteurs en formant les acteurs locaux (policiers, professeurs ou travailleurs sociaux) et identifier le point de basculement." L'objectif est de détecter les individus qui opèrent depuis l'intérieur, dans l'ombre. "Cela représente un défi pour les autorités dans la mise à niveau de leur politique de contre-terrorisme", affirme le dernier rapport Europol.
"Du travail est en cours dans les prisons et sur Internet, qui sont les deux principaux incubateurs de radicalisation", assure le coordinateur de la lutte contre le terrorisme. Le Parlement européen a donc voté récemment une législation pour imposer aux plateformes de retirer les contenus radicaux en une heure maximum après leur signalement par les autorités. L'avancée est notable mais pas suffisante, pour Anne Giudicelli. "Les Gafa ont un rôle à jouer et il faut les impliquer non seulement sur le contrôle mais aussi en valorisant des contenus positifs. Il faudrait qu'ils soient plus proactifs sur le sujet."
D'autres travaux entamés devront aussi être poussés jusqu'au bout. Ainsi, Eurojust, l'agence européenne qui épaule les autorités judiciaires nationales, proposait dans son rapport 2018 (lien vers un document PDF) de créer un registre judiciaire du contre-terrorisme. Il permettrait de détecter plus rapidement les liens entre les enquêtes en cours dans différents Etats-membres. Les six pays fondateurs de l'Europe et l'Espagne appuient cette proposition, comme Gilles de Kerchove et Nathalie Griesbeck.
Un procureur européen va aussi voir le jour d'ici la fin de l'année. Pour l'instant, ses missions concerneront surtout la criminalité qui affecte le budget de l'Union européenne, comme la fraude à la TVA, le blanchiment d'argent ou le détournement de fonds européens. "J'aimerais qu'on étende ses prérogatives vers les crimes terroristes", réclame Nathalie Griesbeck. Gilles de Kerchove est confiant : "Si le parquet fait ses preuves dans ce premier domaine, il sera difficile de dire non à l'élargissement de ses compétences au volet du terrorisme."
Reste la question des moyens financiers alloués par l'Union européenne à la question de la lutte contre le terrorisme. Le rapport final de la Commission spéciale du Parlement appelle le futur président de la Commission européenne à maintenir le portefeuille du commissaire chargé de la sécurité. "Le montant alloué à la sécurité dans la prochaine programmation pluriannuelle a été multiplié par deux", se félicite Gilles de Kerchove, qui nuance cependant. "Le budget d'Europol me semble insuffisant dans la proposition actuelle alors que Frontex voit ses moyens multipliés par cinq. Je n'ai donc pas de craintes sur le volume global mais plutôt sur sa répartition."
L'Union européenne encadre de nombreux domaines de notre quotidien
Les directives prises par l'UE ont un impact direct sur la vie de tous les jours des 508 millions de citoyens des 28 pays européens.
• Quand vous tartinez du miel sur votre pain le matin, quand vous allez au cinéma ou quand vous achetez sur Internet : l'Europe n'est jamais très loin.
• Quand vous prenez le volant de votre voiture, l'Union européenne est sous le capot. En effet, des directives réglementent par exemple le diesel, le permis de conduire ou encore la future installation de "boîtes noires" sur les véhicules.
• Cependant, dans certains domaines, l'Union européenne peine à harmoniser les législations européennes. C'est notamment le cas en matière de droit des femmes : de nombreuses disparités existent entre les différents pays européens.
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