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Europe : Erasmus, un programme (toujours) pas vraiment ouvert à tous

Le dispositif qui permet aux jeunes de partir à l'étranger pendant leurs études est plébiscité. Mais de nombreuses personnes en sont encore exclues.

Article rédigé par Noémie Bonnin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le programme Erasmus existe depuis 1987 (illustration). (MAXPPP)

"C'est certain que ça va mieux, de plus en plus de gens y ont accès, c'est quelque chose de positif. Mais le constat qu'on fait, c'est qu'Erasmus n'est accessible qu'à une certaine catégorie d'étudiants", juge Mélanie Luce, la présidente du syndicat étudiant Unef. Un jugement tranché alors même que l'agence Erasmus met justement en avant une diversité des profils Erasmus.

Elle rappelle dans ses documents que le programme d'échanges universitaires "s’adresse à tous, y compris ceux avec moins d’opportunités". Il n'est pas ouvert uniquement aux étudiants, mais aussi aux lycéens professionnels, alternants et stagiaires. Cette catégorie représente d'ailleurs 18 500 personnes, sur un total de 85 400 mobilités accordées en 2018 (les étudiants ont été 47 300 à partir).

"Il y a beaucoup d'annonces, mais quand on gratte un peu, il n'y a plus rien", estime pour sa part Pierre Chantelot, le secrétaire national du Snesup (Syndicat national de l'enseignement supérieur), en charge des formations du supérieur. Quels sont alors les obstacles à une réelle diversité des profils ? Pourquoi les jeunes de catégorie sociale modeste partent-ils beaucoup moins souvent que les autres ?

Un dispositif qui revient cher, malgré les bourses

"Il ne suffit pas de payer un billet d'avion. Pour les jeunes qui galèrent rien qu'à payer le RER, la cantine, la chambre universitaire, c'est compliqué", analyse Pierre Chantelot. "Les familles participent souvent déjà pas mal. Certains jeunes font quatre heures de transport par jour !"

Plus on est loin de sa famille, plus la vie coûte cher.

Pierre Chantelot

à franceinfo

Le responsable du syndicat de l'enseignement supérieur explique que les jeunes les plus modestes ont des préoccupations plus "directes". "Par exemple, pour ceux qui travaillent pour financer leurs études, comment s'organiser ? Il est difficile de trouver un autre job à l'étranger et comment faire pour retrouver le sien une fois rentré ? Il faudrait mettre des moyens conséquents pour leur permettre de bouger, un accompagnement beaucoup plus important."

Une mobilité en Erasmus donne droit à différentes aides financières : des aides liées au programme en tant que tel, plus des aides des Conseils départementaux et régionaux. Les étudiants boursiers conservent enfin leur allocation habituelle. Mais "le départ en Erasmus représente un coût important", complète la responsable de l'Unef. "Il y a le logement, les transports. Il existe des aides, mais c'est très limité. Et puis il y a peu d'informations dans les lycées, beaucoup moins que dans les universités."

Autocensure

"En plus des obstacles technico-pratiques, il y a un gros phénomène d'autocensure", explique par ailleurs Pierre Chantelot. "Peut-être que certains pourraient partir en faisant des sacrifices, mais ils pensent qu'ils n'en sont pas capables. Au niveau de la langue, entre autres."

C'est dommage parce que ceux qui auraient le plus besoin de sortir de leur milieu pour voir autre chose ne sont pas ceux qui peuvent partir en Erasmus. Les autres ont déjà le capital social pour le faire.

Pierre Chantelot

à franceinfo

Selon le syndicaliste, il faudrait mettre beaucoup plus d'argent pour assurer le départ de plus de jeunes, au profil moins universitaire. "Dans l'idée, bien sûr qu'on est d'accord, on ne peut être que pour un dispositif comme ça. Mais qui y a accès ? Il faut absolument couper cette atroce autocensure. Il faut qu'il y ait un vrai fond pédagogique, une cohérence et pas y aller seulement pour faire la fête."

Une analyse partagée par Sébastien Bert, enseignant en BTS et Bac pro à Chalon-sur-Saône. "Il y a tous types de freins. Le fait de partir plusieurs mois, de laisser la copine, le chien. Il y a la part de l'inconnu, aussi, ce n'est pas simple. Sans parler du niveau d'anglais, très faible pour certains. Eux-mêmes disent qu'ils ne sont pas capables." Dans son établissement, le nombre de départ reste encore très limité. "Cette année, 16 jeunes sont partis sur 70, on y va à tâtons. Si on demandait 50 bourses, 50 ne partiraient pas. On reste modeste", explique l'enseignant, également coordinateur Erasmus depuis six ans dans son établissement.

Les cursus pas forcément adaptés

Le problème de la filière joue aussi beaucoup dans ces choix de mobilité. Les catégories populaires sont surreprésentées dans les cursus courts, de type Bac pro, DUT, IUT. Ce qui n'est pas sans conséquence sur la possibilité de partir à l'étranger, explique Mélanie Luce, de l'Unef : "La plupart des formations DUT n'existent quasiment pas dans l'Union européenne. C'est difficile de trouver une formation qui correspond."

À l'étranger, on est en mode LMD (licence-master-doctorat), comme à l'université. Mais il y a peu de formations en deux ans, comme en France. Le cursus n'est pas adapté.

Mélanie Luce

à franceinfo

Résultat, Erasmus n'est pas forcément proposé à tout le monde. "On ne recommande même pas les stages en BTS à l'étranger parce qu'il n'y a pas assez de suivi. Pour contourner le problème de la langue anglaise, certains partent au Maghreb. Mais ce ne sont pas les mêmes règles ni les mêmes exigences", estime Pierre Chantelot.
Le Parlement européen a réclamé en mars 2019 que le budget soit triplé pour la période 2021-2027. Il était sur la période précédente (2014-2020) de 15 milliards d'euros (1,2 milliard uniquement pour la France).

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