Elections européennes : quatre questions sur le ralliement au RN de Fabrice Leggeri, ancien patron de Frontex
Du contrôle des frontières à la politique. Dans un entretien accordé au Journal du dimanche (JDD), Fabrice Leggeri, qui a dirigé l'agence européenne de surveillance des frontières (Frontex) entre 2015 et 2022, a annoncé qu'il figurerait sur la liste du Rassemblement national menée par Jordan Bardella pour les élections européennes du 9 juin. Dès ce lundi 19 février, il effectue son premier déplacement avec le leader du RN, dans les Alpes-Maritimes, pour un déplacement sur le thème de l'immigration.
"Mon objectif est de mettre mon expérience et mon expertise au service des Français", a déclaré l'énarque de 55 ans au JDD, se disant "déterminé à combattre la submersion migratoire" qu'il impute à l'Europe. Figure de l'imperméabilité des frontières européennes, Fabrice Leggeri était régulièrement accusé par les ONG de tolérer des refoulements illégaux de migrants, et avait été contraint de démissionner après une enquête disciplinaire de l'Office européen de lutte anti-fraude (Olaf). Franceinfo revient en quatre questions sur la trajectoire du haut fonctionnaire et son ralliement à l'extrême droite.
1 Quel est son parcours ?
Originaire de Mulhouse (Haut-Rhin), Fabrice Leggeri fait ses armes à l'Ecole normale supérieure (ENS), à Sciences Po Paris et à l'Ecole nationale d'administration (ENA). Après ses études, il intègre le ministère de l'Intérieur en 1996, "en tant que chef adjoint puis chef d'une unité chargée du trafic transfrontalier, des frontières et des visas", selon le site du Médiateur européen.
Toujours selon cette source, il travaille comme expert national détaché auprès de la Commission européenne de 2000 à 2003. Il participe à la rédaction d'une publication de la Commission intitulée "Vers une gestion intégrée des frontières extérieure des Etats membres de l'Union européenne", qui préfigure la création de Frontex.
Il occupe ensuite le poste de sous-préfet en Seine-Maritime, passe par le ministère de la Défense, l'ambassade de France en Corée du sud, puis retourne au ministère de l'Intérieur comme sous-directeur de l'immigration, chargé de la lutte contre les fraudes, des contrôles et de l'éloignement. En janvier 2015, soutenu par Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'Intérieur, il est nommé directeur exécutif de Frontex, poste qu'il occupe jusqu'à sa démission sept ans plus tard.
2 Dans quelles circonstances a-t-il quitté Frontex ?
Au moment de sa démission en avril 2022, Fabrice Leggeri faisait l'objet d'une enquête de l'Office européen de lutte anti-fraude (Olaf) sur sa gestion de l'agence. Trois mois plus tard, des extraits accablants d'un rapport de l'Olaf sont publiés. Selon ce document non public datant début 2022, Frontex avait connaissance de renvois illégaux de migrants opérés par les gardes-côtes grecs, et aurait même cofinancé des refoulements.
"Au lieu d'empêcher les pushbacks [refoulements sans étude préalable de la demande d'asile des réfugiés], l'ancien patron Fabrice Leggeri et ses collaborateurs les ont dissimulés. Ils ont menti au Parlement européen et ont masqué le fait que l'agence a soutenu certains refoulements avec de l'argent des contribuables européens", résumait alors le magazine allemand Der Spiegel. L'Olaf rapporte qu'au moins six bateaux grecs, cofinancés par Frontex, auraient été impliqués dans plus d'une dizaine de refoulements entre avril et décembre 2020, une allégation démentie par l'ancien directeur.
Il est aussi reproché à Fabrice Leggeri de "ne pas avoir respecté les procédures, de s'être montré déloyal vis-à-vis de l'Union européenne et un mauvais management personnel", selon Le Point, qui a également consulté le rapport.
Fabrice Leggeri évoque dans le JDD une "lecture très politique" de la part de l'Olaf, "qui met l'accent sur la surveillance des droits fondamentaux au détriment de la mission de protection des frontières".
3 Pourquoi s'est-il rallié au RN ?
Auprès du JDD, à qui il a annoncé son entrée en politique, Fabrice Leggeri s'est montré critique envers la politique de l'Union européenne en matière d'immigration.Nous sommes déterminés à combattre la submersion migratoire, que la Commission européenne et les eurocrates ne considèrent pas comme un problème, mais plutôt comme un projet : je peux en témoigner", s'est-il justifié dans les colonnes de l'hebdomadaire. Le nouveau candidat RN affirme que le parti de Jordan Bardella "possède un plan concret et la capacité de le réaliser".
Pour le Rassemblement national, ce débauchage est une première victoire symbolique dans la perspective de la campagne des élections européennes. "C'est très intéressant d'avoir quelqu'un qui de l'intérieur (...) peut dire aux Français ce qu'il se passe et peut démontrer ce que nous disons depuis longtemps, à savoir que pour l'Union européenne, l'immigration n'est pas un problème, c'est un projet", s'est félicitée dimanche Marine Le Pen sur LCI.
Pour la présidente du groupe RN à l'Assemblée nationale, Fabrice Leggeri a démissionné après s'être heurté à "une idéologie d'accueil des migrants", alors qu'il souhaitait faire de Frontex "une instance de garde-côte européen". Dimanche soir, Jordan Bardella a, lui, affirmé sur X que Fabrice Leggeri avait été "poussé à la démission, lâché par Emmanuel Macron, parce qu'il agissait contre la submersion de l'Europe".
4 Comment la classe politique réagit-elle ?
Différentes personnalités politiques se sont élevées contre ce ralliement. Nathalie Loiseau, eurodéputée centriste et ancienne tête de liste de la majorité présidentielle en 2019, a dénoncé sur X la décision du RN, "champion de la récupération douteuse et du ramasse-miettes". "Jordan Bardella n'a cessé de se moquer de Frontex, qu'il a refusé de soutenir et qu'il décrivait comme 'une agence de voyages pour migrants', lorsque Fabrice Leggeri en était le directeur", a-t-elle expliqué.
A gauche, la députée insoumise Raquel Garrido, interrogée par franceinfo, voit dans ce ralliement "un rétrécissement" du Rassemblement national "sur des sujets toxiques". Elle a également dénoncé le bilan de Fabrice Leggeri : "Frontex a été qualifiée de nécropolitique. C'est le pari selon lequel en laissant mourir les gens en Méditerranée, ça va avoir un effet dissuasif pour ceux qui envisagent la traversée (...) Si j'étais Jordan Bardella, je ne serais absolument pas fière de mettre en avant ce personnage qui a la mort de milliers de personnes sur les mains", a-t-elle ajouté.
"Son arrivée sur la liste du Rassemblement national symbolise la bascule des politiques migratoires européennes vers le chaos et le racisme", a estimé sur X Chloé Ridel, porte-parole du Parti socialiste. "Il avait déjà la couleur et la saveur du RN", a de son côté tweeté l'eurodéputé écologiste Damien Carême.
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