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Abandonner le populisme, sortir de la dépendance à Mélenchon... Après les européennes, les "Insoumis" s'interrogent sur leur avenir

Avec 6,31% des voix, La France insoumise a échoué, dimanche, à s'imposer comme la troisième force politique du pays et son leader fait l'objet de nombreuses critiques en interne.

Article rédigé par Vincent Matalon, Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Jean-Luc Mélenchon et Manon Aubry lors d'un discours adressé aux militants de La France insoumise, le 26 mai 2019 à Paris, au soir des élections européennes. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

Elle n'a attendu que quelques heures avant de tirer la première. Dans un entretien publié lundi 27 mai par L'Obs, Clémentine Autain accuse la "ligne politique" de La France insoumise (LFI) d'être à l'origine de la débâcle survenue la veille, lors des élections européennes : avec 6,31% des voix, la formation n'a pas réussi à émerger comme la troisième force politique du pays, se retrouvant même derrière Les Républicains, affaiblis comme jamais.

Trop de "formulations" visant à "cliver", "de murs" érigés "là où il aurait davantage fallu chercher à construire des passerelles"... La députée "insoumise" de Seine-Saint-Denis ne ménage pas ses critiques, y compris contre la direction du parti, accusant en creux Jean-Luc Mélenchon de faire preuve d'autoritarisme dans le fonctionnement du mouvement.

J'ai posé la question du pluralisme et de la démocratie interne il y a plus d'un an. Cela avait été très fraîchement accueilli à l'époque. On nous avait promis des changements à l'été, un meilleur fonctionnement de l'espace politique... Mais rien n'a été fait en ce sens.

Clémentine Autain

à "L'Obs"

Les reproches de Clémentine Autain sonnent d'autant plus fort dans le mouvement qu'à la différence des Républicains, qui ont mis directement en cause Laurent Wauquiez dès la publication des résultats, les "Insoumis" ont serré les rangs dimanche soir. La consigne est alors de "ne pas faire d'autocritique", selon les informations du Monde. Devant des militants réunis dans un bar parisien, Jean-Luc Mélenchon concède tout juste que son camp doit "assumer [ses] responsabilités". "C'est l'heure des combats et des caractères", lâche-t-il encore d'une voix lasse.

Malgré l'unité de façade affichée au soir des élections, la débâcle des européennes suscite pourtant de profondes interrogations sur l'évolution du mouvement.

Populisme ou gauche radicale ?

Deux camps se font face et se reprochent mutuellement d'avoir précipité l'échec de la campagne de Manon Aubry. L'un prône un retour aux fondamentaux de la campagne présidentielle, avec un discours populiste débarrassé de toute référence à la gauche – "Je pense que ces forces politiques ont été sanctionnées, balayées", a notamment estimé Alexis Corbière sur BFMTV mardi soir. En se recentrant sur le dégagisme et la mise en place d'une VIe République moins présidentielle, ce camp espère séduire les abstentionnistes et les "gilets jaunes", qui rêvent de référendum d'initiative citoyenne et de démocratie directe.

Le camp d'en face, incarné par Clémentine Autain, plaide de son côté pour un positionnement de gauche radicale assumé, avec de possibles ouvertures. "Cela suppose évidemment d'avoir des partenaires et de faire vivre le pluralisme", précise la députée à L'Obs. "C'est exactement ce qui a été fait avec Manon Aubry [ex-porte-parole de l'ONG Oxfam, désignée tête de liste aux européennes]", réplique froidement l'ancienne porte-parole Raquel Garrido, toujours proche du mouvement, dans une vidéo diffusée sur le site de Regards. "Fondamentalement, la ligne Autain a été mise en œuvre [et] elle a pris 6%", tâcle-t-elle.

"Ce n'est jamais le bon moment pour discuter"

Au-delà du positionnement politique, les discussions portent de plus en plus sur l'organisation du mouvement et sur l'opacité de son fonctionnement, basé sur la garde rapprochée qui entoure Jean-Luc Mélenchon. "Que ce soit la ligne ou la stratégie… Ce n'est jamais le bon endroit ou le bon moment pour discuter", résume un ancien "Insoumis", interrogé par franceinfo. "Nous sommes mis devant le fait accompli. Quand Jean-Luc a annoncé sa proposition de fédération populaire [des échanges entre militants en dehors des appareils], tous les militants de LFI et la quasi-totalité des cadres l'ont appris dans Libération."

Ces critiques font écho aux départs contraints ou spontanés des derniers mois. Au mois de janvier, par exemple, Jean-Luc Mélenchon annonce sur Twitter le "bannissement" de son "orateur national", François Cocq. Dans un courrier adressé à la direction, révélé par Le Monde, plusieurs cadres dénoncent alors la "brutalité" de cette annonce publique et insistent sur la nécessaire "diversité" des personnalités "fidèles" au programme. L'affaire renforce encore l'image d'un dirigeant retranché derrière un état-major resserré. Un reproche balayé en avril par Jean-Luc Mélenchon, dans Libération.

LFI, c'est 4 000 comités qui fonctionnent en autonomie. Le temps long est géré par le siège du mouvement, avec des campagnes nationales décidées par les adhérents. Le groupe parlementaire gère le temps court des réactions à l'actualité.

Jean-Luc Mélenchon

à "Libération", en avril

Le fonctionnement était déjà "vertical" au moment de la présidentielle, assure un cadre à franceinfo, tout en précisant que l'équipe du dirigeant était alors davantage étoffée : cela "offrait davantage de possibilités pour un débat contradictoire". Lors de ces européennes, ce cercle "s'est réduit et le fonctionnement s'est opacifié", déplore-t-il.

Les perquisitions ont eu "un impact négatif"

Ces élections ont également constitué un test sérieux pour Jean-Luc Mélenchon, après l'épisode des perquisitions d'octobre menées au siège de LFI et chez certains de ses responsables. Les images de son coup de sang avaient tourné en boucle et 59% des Français interrogés alors par l'Ifop retenaient l'adjectif "inquiétant" pour qualifier le dirigeant, soit une hausse de 21 points par rapport au mois d’avril 2017. "Une véritable rupture d'opinion", analysait l'institut de sondage, évoquant un phénomène "très rarement observé (...) s'agissant d'une personnalité politique".

"C'était sans doute l'objectif, mais ces perquisitions ont peut-être eu un impact négatif. Cela nous a affectés collectivement", reconnaît Sergio Coronado, ex-député écologiste passé sous la bannière LFI en 2017. Un autre candidat aux européennes interrogé par franceinfo ajoute que les militants ont "senti l'onde de choc qui a suivi l'épisode, augmentée en partie par les médias". Ceux-ci ont parfois "été confrontés à des réactions récurrentes sur le terrain, sur les marchés. Ils ont constaté que cela avait fait du tort à Jean-Luc Mélenchon", figure presque exclusive du mouvement pour de nombreux Français.

L'émergence de nouvelles personnalités prend du temps et la jeune génération incarnée par Adrien Quatennens ou Mathilde Panot peine encore à se faire un nom auprès du grand public. Un ancien cadre de LFI juge avec sévérité cette situation, accusant Jean-Luc Mélenchon d'absorber toute la lumière médiatique.

Jean-Luc Mélenchon a systématiquement tenu à l'écart les profils susceptibles de lui faire de l'ombre. Citez-moi un quinquagénaire médiatique, hormis Alexis Corbière, d'une totale loyauté ?

Un ancien cadre de LFI

à franceinfo

Danielle Simonnet, de son côté, estime que le dirigeant a toujours "favorisé l'émergence de nouvelles figures" dans le groupe qu'il préside à l'Assemblée. "Adrien Quatennens s'est illustré dès le début de la loi Travail, tout comme Mathilde Panot sur les questions écologistes", rappelle la coordinatrice du Parti de gauche. Suffisant ? "A l'heure actuelle, le mouvement ne repose plus que sur un groupe de 17 élus parlementaires, fait remarquer un cadre. Cela ne leur laisse pas le temps de faire vivre le mouvement."

"Jean-Luc Mélenchon est le moteur"

Ces thèmes devraient prochainement nourrir les réflexions internes. Afin de redonner du souffle au projet, Danielle Simonnet plaide pour la création d'un "espace de coordination" entre les différentes composantes du mouvement (espaces nationaux, groupes d'action locaux...) "toutes les semaines ou tous les quinze jours". Celui-ci pourrait par exemple accueillir des représentants des députés et eurodéputés du mouvement. "Nous l'avons toujours souhaité et cela devient plus important aujourd'hui", fait valoir l'élue parisienne. En début d'année, cet espace de dialogue avait pourtant été promis "d'ici les européennes" par Manuel Bompard, proche de Jean-Luc Mélenchon à la tête de l'équipe opérationnelle.

Pour autant, hors de question de remettre en cause la position centrale du tribun. Mais son avenir au sein de LFI pour les prochaines échéances électorales est, selon Danielle Simonnet, "une fausse question". L'élection présidentielle "me paraît très très loin", préfère temporiser Sergio Coronado. "Mais quand on a réuni 19% [au premier tour de la présidentielle de 2017], on a selon moi des options sérieuses pour être candidat", ajoute l'ancien écologiste, alors que certains imaginent déjà le député picard François Ruffin porter les couleurs de LFI en 2022.

Les proches de Jean-Luc Mélenchon, eux, sont rapidement montés au front. "Il est quand même le moteur de ce que nous faisons, a rappelé Alexis Corbière sur BFMTV. C'est lui qui a fait émerger ce mouvement nouveau à hauteur de près de 20% [en 2017], c'est lui qui rassemble énormément de gens dans nos meetings." "Il n'y a pas de dépendance à Jean-Luc Mélenchon, précise le cadre anonyme contacté par franceinfo. Un mouvement populiste s'appuie justement sur la figure d'un tribun : c'est théorisé et assumé."

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