Vidéo Des ratés dans le contrôle aérien français ?

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oeil contrôleurs aériens bis
Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
France Télévisions
L’incident était resté sous les radars…il y a un an, une collision entre deux avions a été évitée de justesse à l’aéroport de Bordeaux… Le bureau d’enquête et d’analyse, le BEA, met en cause les aiguilleurs du ciel et pointe les défaillances d’organisation de tout le contrôle aérien français. Alors, y’a-t-il un contrôleur dans la tour? C’est ce qu’a cherché à savoir l’Œil du 20h.

A l’aéroport de Bordeaux-Mérignac, des photographes passionnés d’aviation assistent dès qu’il le peuvent aux atterrissages. "Ici c'est le spot idéal pour assister à la finale et le meilleur moment pour prendre les avions en photo au moment de l'aterrissage. La plupart du temps, tout se passe bien...", explique Lionel Maingueneau, membre de l'association de photographie Bordeaux Mérignac Spotters.

Pourtant le 31 décembre 2022, un accident a été évité sur la piste. A 10h52 et 53 secondes, un petit avion de tourisme est autorisé à stationner à l’entrée de la piste 23. Il attend l’autorisation de décoller de la tour de contrôle.

Moins de 4 minutes plus tard, il est toujours au même endroit lorsqu’un A320 de la compagnie EasyJet reçoit du contrôle aérien l’autorisation d’atterrir sur la même piste. Depuis leur cockpit, les pilotes ne voient pas le petit avion. 

Pensant avoir été oublié, le pilote amateur alerte la tour:“Tour de contrôle, aligné piste 23 depuis plus de 3 minutes”, dit-il. Sept secondes plus tard, un contrôleur contacte en urgence l’équipage de l’avion de ligne: “Remettez les gaz, un avion est sur la piste”. L’A320 s’exécute et survole l’avion de tourisme à seulement une cinquantaine de mètres.

Une attitude "dilettante" de la tour de contrôle

Cet incident n’est pas passé inaperçu chez les pilotes. Nous avons joint un commandant de bord, proche de l’équipage en vol ce jour-là. Il affirme que la tour de contrôle de Bordeaux aurait mauvaise réputation: "On n'est pas du tout surpris que ça ait eu lieu à Bordeaux. Parce qu'à l'aéroport de Bordeaux...disons que le mot "dilettante" qui a été employé dans le rapport, c'est malheureusement un euphémisme. Vous roulez le matin, vous êtes le seul avion à rouler sur l'aéroport pour décoller, vous appelez la tour de contrôle et elle vous demande 'qui c'est qui appelle'".

Cet incident grave aurait-il pu être évité? C’est la conviction du BEA qui signe un rapport cinglant sur l’organisation du travail dans la tour. A commencer par les effectifs: Le tableau de service prévoyait la présence de six contrôleurs. Avant la vacation, le chef de tour avait, en accord avec son équipe, modifié à la baisse les effectifs prévus à 3 contrôleurs à l’heure de l’incident grave”, écrivent les enquêteurs.

3 contrôleurs au lieu de 6. Comment est-il possible que seule la moitié des agents soient réellement à leur poste? Ni la direction de l’aéroport, ni celle de la navigation aérienne n’ont souhaité commenter. Nous sommes allés à la tour de contrôle de Bordeaux, où les conclusions du BEA suscitent un certain malaise: "devoir de réserve", nous dit-on. 

Mais une source syndicale avance une explication: la vacation dure 12h mais un contrôleur ne peut pas travailler légalement plus de 11h d’affilée ce qui implique selon lui de petits arrangements: “Il est demandé aux contrôleurs d’organiser eux-mêmes un roulement sur une vacation d’une durée de 12 heures, durée supérieure à la limite réglementaire”.

De l'absentéisme chez les contrôleurs aériens?

Des contrôleurs planifiés qui ne viennent pas au travail ou ne font pas la totalité des heures prévues…L’aéroport de Bordeaux ne serait pas un cas isolé. Les enquêteurs du BEA affirment qu’au moins 15% des aiguilleurs du ciel seraient concernés par cet absentéisme.

Le rapport révèle même une pratique dite du « demi-tour parking »: l’agent badge à l’entrée du parking au début de son service et en ressort immédiatement. Sous couvert d’anonymat, un contrôleur aérien reconnaît une certaine souplesse dans les plannings: "Il y a des fois où on me disait 't'es censé commencer à 9h, bon tu montes à 10h. Ca ne sert à rien de se retrouver à 8 contrôleurs pour un trafic qui peut être fait à 4", explique-t-il.

Une planification à la carte déjà à l’origine d’un incident similaire: une collision évitée de justesse à Lyon en 2013.

Il y a quelques jours, une fois les faits de Bordeaux rendus publics, le ministère chargé des transports a enjoint dans un courrier le directeur général de l’aviation civile à renforcer la sécurité de ses services: “l’incident constitue le symptôme d'une défaillance à laquelle il faut remédier dans les meilleurs délais”. La DGAC n’a pas donné suite à notre demande d’interview mais nous confirme qu’elle va renforcer les contrôles de présence au travail des aiguilleurs du ciel dans les tout prochains mois.

Parmi nos sources:

Rapport du BEA sur l'incident grave à l'aérodrome de Bordeaux-Mérignac, décembre 2023

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