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Grève à la SNCF : quel est le poids des syndicats aujourd'hui en France ?

Les mouvements de grève importants sur les rails à partir du 3 avril vont avoir valeur de test pour les syndicats. Car depuis plusieurs années, les rapports sociaux ont profondément évolué dans un sens négatif pour eux.

Article rédigé par The Conversation
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Temps de lecture : 7 min
La communication, au cœur de la bataille du rail. (SEBASTIEN JARRY / MAXPPP)

Les catégories d’explication récurrentes du syndicalisme "français" sont-elles aussi françaises que l’on peut le prétendre et sont-elles entièrement responsables du déclin des organisations syndicales ?

Quatre catégories d’explication reviennent régulièrement quand il s’agit d’analyser la crise du syndicalisme : une culture de l’affrontement ; un pluralisme syndical et divisé ; un syndicalisme faible en représentativité ; un État interventionniste.

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Ces éléments sont bien réels et le cumul d’une culture de l’opposition et d’un dialogue social exercé avec des syndicats divisés sont les catégories les plus alarmantes car elles entraînent les deux suivantes, un syndicalisme affaibli et un État qui en profite pour reprendre la main.

Que faire alors contre ce vieux réflexe d’affrontement, d’opposition, qu’il soit d’ailleurs sous la forme d’un mouvement de grève ou au sein d’une négociation ? Pourquoi les organisations syndicales restent ainsi, conservatrices et attentistes dans ce mouvement perpétuel de réformes ?

D’autres catégories d’explication existent car, pour sortir d’une grande crise économique, comme celle de 2007-2009, et pour accompagner une société de plus en plus libérale, financiarisée, les organisations syndicales françaises ont dû opter pour des concessions salariales et de la flexibilité accrue, contraint par les entreprises et l’État. Les rapports sociaux ont profondément évolué dans un sens négatif pour les syndicats, l’État ne cherchant pas toujours à parvenir à un compromis avec des syndicats faibles. Y a-t-il péril en la demeure ?

L’identité syndicale française ou la culture de l’affrontement

La France a fait le choix d’un syndicalisme de revendications et d’opposition, à la différence de certains pays qui connaissent un syndicalisme consensuel. C’est le cas en Allemagne, prise souvent comme modèle et où la Deutscher Gewerkschaftsbund (DGB) jouit d’une autonomie et d’une influence incontestable et pratique la co-gestion. Citons aussi la Belgique où les trois syndicats (la CSC/ACV, la FGTB/ABVV et la CGSLB/ACLVB), malgré leurs divergences, coopèrent et où le taux de syndicalisation atteint 50 %.

La Confédération générale du Travail (CGT), créée en 1895 et seule jusqu’en 1919, avant l’arrivée de la Confédération française des Travailleurs chrétiens (CFTC), a favorisé le syndicalisme de lutte et a marqué au fer blanc l’identité syndicale française. Les occupations d’usines pendant les évènements du Front populaire de 1936, la libération en 1945 et l’instauration d’un système de protection sociale très favorable, les évènements de mai 1968 et les lois Auroux de 1982 en sont quelques illustrations.

Ainsi, État, syndicats et patronat se méfient les uns et des autres. Peu importe le contexte politique ou économique, les uns sont en général hostiles à ce que l’autre tente de créer. L’opposition est constante et la confiance est rarement de mise.

Malgré cela, le syndicalisme a, pendant plus d’un siècle et demi, cherché à se construire une identité, un objectif, une fin en soi, notamment dans la construction d’un dialogue social et de la négociation collective. Du syndicalisme révolutionnaire au syndicalisme « jaune » dit « du patron », chaque groupe, a essayé, dans un collectif militant, d’être force de propositions d’un modèle social.

Peu représentatifs syndicalement, mais légitimes à agir

Le taux de syndicalisation n’a jamais dépassé les 25 % en France, avec un pic à la Libération où 6 millions d’actifs ont adhéré à la CGT. À l’issue des Trente glorieuses (1945-1975) et à partir de 1982, l’obsession de la collecte des cotisations diminue et devient rapidement un facteur de crise du syndicalisme. Le taux de syndicalisation entre 1978 et 1990 passe de 21 % à 8 % (soit environ 1,8 million de syndiqués), faisant de la France, le pays le moins syndiqué de l’OCDE.

Dès les années 80, l’écart se creuse entre projet syndical et exigences des adhérents (plutôt individualistes). S’ajoute à cela un certain immobilisme des structures due à une bureaucratie syndicale, les lois Auroux leur ayant conféré davantage de moyens et de missions. On passe ainsi d’un syndicalisme de terrain à un syndicalisme institutionnalisé. Enfin, on observe que les délégués syndicaux d’entreprise essaient de conserver leurs adhérents en recourant au clientélisme et en acceptant certains compromis de la direction, autrement dit, en pratiquant le « donnant-donnant ».

Malgré tout, chaque Congrès confédéral fait l’objet, depuis quelques années, de résolutions sur un certain nombre de sujets : Comment avoir davantage d’adhérents dans le secteur privé (5 % des salariés sont syndiqués contre 15 % dans le secteur public) et surtout quelles sont les attentes des jeunes et des femmes pour parvenir à plus d’adhésions syndicales de leur part.

Au niveau national, les conséquences de l’affaiblissement syndical sont bien réelles et sont facteur de handicap face à un État « en marche » ambitieux sur les réformes sociales.

Cela dit, peu représentatifs ne signifie pas « illégitimes ». L’institutionnalisation des syndicats dans leur rapport avec l’État, dans l’exercice du dialogue social (négociation collective) et dans la gestion paritaire des organismes de protection sociale sont autant de formes de représentativité. Il existe 600 000 mandatés en entreprise qui participent au quotidien à la régulation sociale (des représentants du personnel qui détiennent certains mandats, un ou plusieurs comme délégué du personnel, élu au comité d’entreprise, élu au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail).

Enfin, le taux de couverture conventionnel – les organisations syndicales au-delà de leurs membres représentent l’intérêt de la profession tout entière – est l’un des plus élevés dans le monde avec un taux de 98 %. C’est-à-dire qu’en plus de la protection du code du travail, les salariés bénéficient, à 98 %, des avantages de leur Convention collective.

Pluralisme syndical, oui… divisés, non

Fort de ses 8 organisations syndicales connues et actives, issues des scissions historiques – CFDT, CGT, CGT-FO, CFE-CGC, CFTC, UNSA, SUD-Solidaire, FSU –, dont cinq organisations dites représentatives (CFDT, CGT, CGT-FO, CFE-CGC, CFTC), l’historique des organisations syndicales, de conceptions idéologiques très différentes, témoigne d’un syndicalisme émietté, divisé, et concurrentiel.

S’ajoute à cela une structuration particulière fonctionnant de manière autonome entre la base et le haut de la pyramide ainsi qu’un positionnement dans le paysage syndical où se confrontent culture de l’opposition et culture du partenariat.

Ce pluralisme syndical est-il vraiment un frein et un facteur de désyndicalisation ? Probablement pas. La confrontation des idées est à la fois saine et indispensable, à partir du moment où le compromis fait partie des règles du jeu, et qu’il apparaît comme une issue obligée des débats. C’est là toute la difficulté posée par le dialogue social construit avec des syndicats affaiblis et divisés.

Les raisons du déclin syndical

La valeur travail n’est-elle pas le principal facteur de crise du syndicalisme ? La crise du syndicalisme est aussi le fait de l’obsolescence programmée de notre modèle social des Trente glorieuses, de l’évolution des emplois et de la révolution du numérique et des réseaux. Ces transformations, entamées en 1982 et accélérées depuis 2007, ont poussé les entreprises, à rechercher une plus grande flexibilité de l’emploi et une réduction des coûts salariaux pour accroître la compétitivité. Ces réformes successives exigées par l’Europe et dans un monde globalisé ont une large part de responsabilité dans la crise du syndicalisme dans le monde.

Les syndicats sont désormais contraints d’accepter des compromis, des consensus, auxquels ils s’étaient opposés jusqu’alors. Ils participent, par la signature d’accords collectifs, à une politique d’austérité entraînant une dégradation des conditions de travail et d’emploi des salariés. De plus, les nouveaux systèmes de communication brouillent inlassablement la frontière vie professionnelle-vie personnelle, le « ronron » syndical n’est plus en adéquation avec ces salariés pressés, versatiles et souvent en déplacement.

Désormais, d’autres formes d’emploi voient le jour et sortent des frontières du salariat et de ce fait, des radars syndicaux : emplois du numérique, de la digitalisation, autoentrepreneurs, emplois ubérisés se sont vus exclus de toute protection juridique. Sans être dans une zone de non-droit, car soumis au régime des indépendants, sans être salariés mais en s’en rapprochant en terme d’activité, les organisations syndicales se sont trouvées démunies face à ces nouveaux emplois : ni vraiment salariés, ni vraiment indépendants et d’une violence inouïe en termes de conditions de travail et de rémunération.

Pour un syndicalisme de propositions

Le changement de paradigme des organisations syndicales se situe ici même, loin des querelles de clocher, des problèmes de taux de syndicalisation mais dans la volonté d’un changement concret et structurel. Si nous ne pouvons pas faire marche arrière sur notre modèle de société capitaliste, nous devons faire marche avant vers un syndicalisme de propositions, un syndicalisme uni et progressiste qui ne participe pas seulement, comme il peut le faire trop souvent, à la somme des intérêts individuels, mais à un fait collectif, participatif et multiculturel. Un syndicalisme qui puisse admettre que si l’emploi salarié reste la valeur absolue, le travail – sous toutes ses formes – mérite lui aussi, d’être protégé et régulé. La problématique du travail décent est ainsi reposée mais sous d’autres formes.

L’État, garant de la régulation sociale, doit absolument accompagner ses changements majeurs et ses innovations syndicales. Le syndicalisme doit pouvoir faire partie intégrante de la vie professionnelle et ne plus être considéré comme une excroissance gênante.

The ConversationSi les conceptions idéologiques peuvent parfois opposées les organisations syndicales entre elles, les valeurs qu’elles défendent sont communes à toutes. Il convient de le rappeler en portant le syndicalisme à une mission d’intérêt général dans la défense des intérêts individuels et collectifs du travail et d’agir avec dignité à davantage de justice sociale.

Stéphanie Matteudi, Enseignante. Chercheuse au LEREDS (Lille 2), Université Lille Nord-Europe (ULNE)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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