La pénurie d'essence va-t-elle convertir la France au covoiturage quotidien ?
Les applications et sites de covoiturage courte distance communiquent sur les réseaux sociaux depuis le début de la pénurie, dans l'espoir de séduire les Français. Une démarche qui pourrait se révéler très efficace dans ce tout jeune secteur.
"Vous cherchez des stations-service pour faire le plein d'essence ? Mais l'essence, elle peut aussi bien se trouver dans la voiture de votre collègue ou de votre voisin !" Non, le tweet de l'application Karos n'est pas une incitation à siphonner des réservoirs. C'est une publicité pour le covoiturage, nous confirme au téléphone le directeur marketing de cette start-up qui promeut les trajets partagés.
Mercredi 25 mai, alors que l'Etat a déjà débloqué 11 dépôts pétroliers paralysés par des opposants à la loi Travail et que les files d'attente aux stations-service s'étendent dans le pays, une poignée de jeunes entreprises tente de convertir les Français au covoiturage. Karos, WayzUp, Trajet à la carte, ID Vroom, etc. Toutes estiment que les déplacements du quotidien – à commencer par le trajet domicile-travail – ne doivent plus nécessairement se faire en solo. Et, pour elles, la pénurie pourrait bien être une aubaine.
Les téléchargements d'applis ont bondi…
"Dès les premiers jours de cette crise, nous avons observé 50% de téléchargements en plus. Et là, ça s'accélère, explique Jérôme Calot, de Karos. Nous qui étions essentiellement implantés en Ile-de-France et en Rhône-Alpes constatons que la répartition des utilisateurs est désormais beaucoup plus diffuse sur le territoire." Le calcul est simple : là où il y a de moins en moins d'essence, il y a de plus en plus de "covoit'". Chez WayzUp, une appli concurrente, Julien Honnart, son fondateur, a remarqué, "dès lundi, une augmentation de 20% de la fréquentation de l'appli". "Pour arriver à 50% de plus aujourd'hui. Surtout, on observe que les échanges [entre usagers] se multiplient. Après avoir découvert un peu l'appli, les gens s'y mettent vraiment", se réjouit-il.
"Souvent, il faut une contrainte extérieure pour que les gens sautent le pas", relève à son tour Emmanuel de Vauxmoret, fondateur de Trajet à la carte – qui revendique "un pic de fréquentation de 30%" cette semaine. "En cas de grève ou de pénurie, comme lorsque votre voiture tombe en panne, vous n'avez pas le choix, poursuit-il. La plupart des gens ne se mettent pas au covoiturage pour tester, mais parce qu'à un moment, ils en ont besoin. Et si l'expérience est bonne, alors il recommenceront." Julien Honnart abonde dans ce sens : "S'il est encore trop tôt pour prendre du recul sur cet épisode, nous avons observé que, sur le mois précédent, la moitié des personnes qui avaient fait du covoiturage opportuniste, comme un jour de grève, ont adopté cette pratique de façon régulière."
… mais le covoiturage courte distance peine à s'imposer
En 2015, l'Ademe relevait que seuls 3% des covoiturages courte distance étaient organisés via des plateformes – traditionnellement, les équipages se constituent entre amis ou membres de la même famille. "Les gens ont pris l'habitude du covoiturage et n'hésitent pas à l'utiliser pour faire, par exemple, un Paris-Toulouse, assure Emmanuel de Vauxmoret, de Trajet à la carte. Mais ceux qui s'inscrivent chez nous cherchent à aller travailler tous les matins. C'est très différent." Si BlaBlaCar a fait son entrée dans le quotidien des Français, le covoiturage courte distance peine à s'imposer. "Chez BlaBlaCar, le trajet moyen fait 330 km, contre 22 km chez nous", explique Jérôme Calot.
Pour ces jeunes start-up, il faut certes convaincre les usagers, mais surtout séduire les entreprises. Car, avec plusieurs dizaines de milliers d'inscrits sur leurs plateformes respectives, les applications peinent à atteindre le seuil permettant à tout covoitureur de trouver son bonheur. En revanche, développer une plateforme pour un grand groupe permet de cibler des milliers de personnes dans un périmètre réduit. "Lorsque l'on noue un partenariat avec une entreprise, on arrive à faire en sorte que 80% des personnes inscrites trouvent un covoitureur [pour aller travailler]", explique Julien Honnart, de WayzUp. Pour un usager isolé, ce taux tombe à 40%, poursuit-il. Un chiffre qui devrait logiquement augmenter si le covoiturage courte distance entre dans les habitudes.
"Les Français se posent beaucoup de questions et se mettent souvent des barrières mentales : 'j'ai des horaires trop aléatoires', 'je ne trouverai jamais quelqu'un qui vit près de chez moi', etc.", constate Jérôme Calot, de Karos. Son appli mise ainsi sur un algorithme. "La personne qui va vous amener au travail peut vous récupérer sur sa route et vous déposer avant son point d'arrivée. En analysant les données relatives à vos déplacements, l'application peut faire ce raisonnement, là où une petite annonce ne vous propose que d'aller d'un point A à un point B avec quelqu'un", explique-t-il. "Pour beaucoup de personnes, la voiture est un peu une deuxième maison", constate par ailleurs Emmanuel de Vauxmoret. Mais "les mentalités évoluent". Et la pénurie, comme les grèves et les bouchons, y sont aussi pour quelque chose.
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