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"Moi, je suis prêt à aller au carton" : à Bordeaux, la colère des "gilets jaunes" reste entière

Ils étaient 6 000, selon la préfecture, à manifester à Bordeaux le 12 janvier, davantage que la semaine précédente.

Article rédigé par Louise Hemmerlé
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Cortège de "gilets jaunes" à Bordeaux, le 12 janvier 2019. (LOUISE HEMMERLE / FRANCE INFO)

"Je n'ai jamais connu de mouvement aussi violent en France." A 64 ans, dont trente-cinq à participer régulièrement à des manifestations, Jacques Raimbault s'apprête à marcher à travers dans les rues de Bordeaux au côté des "gilets jaunes", rassemblés ce samedi 12 janvier place de la Bourse. "C'est un mouvement un peu particulier, très radical, et qui exprime une colère monstre, observe-t-il. Les manifestants n'ont pas peur d'aller au carton, c'est impressionnant. A Paris, ça a toujours existé, mais en province on n'a jamais vu ça."

Pour ce 9e samedi de mobilisation, ils sont 6 000 à s'être réunis au bord de la Garonne, selon la préfecture, soit plus que les 4 800 comptabilisés la semaine précédente. A Bordeaux, la mobilisation ne faiblit pas, au contraire. "Mais qu'est-ce qu'on va faire de nos samedis quand tout cela sera fini ?" lance à la cantonade un "gilet jaune". "Ben on aura de l'argent, donc on pourra se payer un restaurant, ouais ! On pourra se payer le barbier, hourra !" s'amuse un autre, provoquant l'hilarité de son groupe.

Bordeaux baisse le rideau

A la mi-journée, l'office de tourisme a fermé son accueil au public, et la circulation des trams est interrompue. Le musée d'Aquitaine ferme lui aussi ses portes. Le cours Pasteur, sur lequel donne le musée, est à peine animé. En ce premier samedi des soldes, de nombreux commerces ont préféré baisser leur rideau, et la plupart des banques sont protégées par des panneaux de bois. Les vitrines de celles qui n'en ont pas sont déjà criblées d'impacts.  

Les policiers sont postés devant l'hôtel de ville et testent leurs canons à eau. Les samedis précédents, c'est là, une fois la nuit tombée, qu'ont eu lieu de violents affrontements entre les manifestants et les forces de l'ordre. "Il y a de la violence de la part de 'gilets jaunes' casseurs généralement en fin de parcours, c'est pour ça que nous, on part avant", glisse Aurélie.

"Gilets jaunes" place de la Bourse à Bordeaux, le 12 janvier 2019.  (LOUISE HEMMERLE / FRANCE INFO)

Place de la Bourse, à 13 heures, quelques camions de police passent sans s'arrêter, sous les huées de la foule. Munis de casques, lunettes de protection et masques à gaz, une quarantaine de "street medics", des "gilets jaunes" qui viennent en aide aux manifestants blessés, font, eux, leur arrivée sous les applaudissements. Beaucoup de manifestants portent eux aussi des casques de vélo, de moto, et des masques de ski.

"On est restés pacifiques autant qu'on a pu"

Pendant quatre heures, le cortège des "gilets jaunes" traverse la ville dans le calme, aux sons de la fanfare qui l'accompagne, et de certains habitants qui jouent de la musique à fond depuis leurs appartements, fenêtres grandes ouvertes, pour encourager la foule. Ici, un homme sort sur son balcon avec son accordéon, et joue pour les manifestants.

Au fil des samedis, le cortège commence à connaître le trajet à emprunter. La gare est évitée – trop de policiers. Au détour d'une rue, Yannick, jeune apprenti en mécanique, ramasse un pavé. "Moi je suis prêt à aller au carton, prévenait-il quelques heures plus tôt, lui dont deux amis ont fini à l'hôpital après des manifestations. Ce qui me donne envie d'y aller, c'est de voir des femmes et des enfants se faire gazer, des hommes blessés par des flash-balls."

Une femme ramasse des pavés lors de la manifestation des "gilets jaunes" à Bordeaux, le 12 janvier 2019. (LOUISE HEMMERLE / FRANCE INFO)

"Moi j'ai vu un mec avec son moignon. Plus de main, le sang qui sort, à cinq mètres de moi !" s'emporte un autre manifestant. "On est restés pacifiques autant qu'on a pu, on en a pris plein la gueule. On a vu trop de gens se faire défigurer, de personnes souffrir", poursuit-il, en brandissant une pancarte "Rue Dettinger" en référence à Christophe Dettinger, un ancien boxeur poursuivi pour avoir frappé des gendarmes le 5 janvier.

 "Moi j'ai toujours fait des efforts" 

"Sans cette violence, que je ne cautionne pas évidemment, le gouvernement n'aurait même pas bougé", estime Ariane, retraitée. Même son de cloche chez Tina, un peu plus loin dans le cortège. "Cette violence, je ne la cautionne pas mais je la comprends", dit cette manifestante qui tient une banderole avec des photos de "gilets jaunes" blessés par flash-ball depuis le début de la mobilisation.

Il n'y a que par ça qu'on peut être entendus. Ça va monter crescendo, c'est inévitable. Moi je crains le pire.

Tina, "gilet jaune" à Bordeaux

franceinfo

Pour Tina, les propos d'Emmanuel Macron estimant que "beaucoup trop de nos concitoyens" ont oublié "le sens de l'effort" n'ont pas aidé à apaiser les esprits. "Moi j'ai toujours fait des efforts", s'insurge Luc, agriculteur à la retraite venu manifester aux côtés des "gilets jaunes" pour la première fois. "J'ai largement contribué à la société, et les fruits que j'en récolte ne sont pas suffisants", dit-il, expliquant travailler depuis l'âge de 17 ans et toucher une retraite de 790 euros par mois. "Ils me font bien rire ces quadragénaires qui nous donnent des leçons. Mais est-ce que je l'ai vu, Emmanuel Macron, dans la boue en train de s'écorcher les mains sous la canicule comme en plein hiver ?"

"On va place Pey Berland, vous venez ?"

Le cortège s'engouffre dans la très commerçante rue Sainte-Catherine, et se mêle à la foule venue profiter des soldes. Certaines boutiques et supermarchés baissent leurs rideaux de fer, enfermant leurs clients à l'intérieur. Les badauds s'écartent, laissant passer la marée jaune. "Avec nous les moutons !", "ne nous regardez pas, rejoignez-nous !", entonnent les manifestants.  

Le défilé touche à sa fin. En face du Grand Théâtre, fermé ce jour-là, de la peinture jaune dégouline de la façade de l'hôtel Intercontinental. Le ciel rosit, et la tension monte. Des manifestants jettent des pierres et des tessons de bouteille en direction des policiers, mais les projectiles tombent à plusieurs reprises sur des "gilets jaunes".  

Les "gilets jaunes" place de la Comédie à Bordeaux, le 12 janvier 2019.  (LOUISE HEMMERLE / FRANCE INFO)

Alors que le gros de la foule finit par se disperser, certains rebroussent chemin par la rue Sainte-Catherine. "On va place Pey Berland, vous venez ?" Direction la mairie, où les forces de l'ordre attendent les manifestants de pied ferme. 

En une heure, au moins trois blessés par flash-ball

Projectiles et feux de poubelles contre canons à eau et gaz lacrymogène : rapidement, la situation dégénère. Plusieurs personnes font des malaises, incapables de respirer dans les nuages de lacrymogène. "De l'eau, de l'eau, quelqu'un, de l'eau !" s'époumone une femme en direction de "gilets jaunes" qui passent en courant se mettre à l'abri, alors qu'un homme est recroquevillé à ses pieds.  

Affrontements entre manifestants et forces de l’ordre devant l'hôtel de ville et la cathédrale Saint-André de Bordeaux, le 12 janvier 2019. (LOUISE HEMMERLE / FRANCE INFO)

Sur la place Pey Berland, deux personnes s'écroulent. L'une a été touchée superficiellement dans les côtes par un tir de flash-ball, mais l'autre est blessée plus sérieusement, à la tête. Alors que son sang dégouline sur les pavés, des secouristes volontaires lui font un bandage. Les policiers encerclent les secouristes, pour leur permettre de soigner les blessés. Mais leur présence échauffe la foule. "Qu'est-ce qu'on vous a fait ?", "J'espère que vous êtes fiers !" hurlent des manifestants. On est censé aimer ses forces de l'ordre et on vous déteste, on vous déteste ! Réveillez-vous !"

Des traces de sang à l’endroit où un manifestant a été touché au visage par un tir de flash-ball à Bordeaux, le 12 janvier 2019. (LOUISE HEMMERLE / FRANCE INFO)

Le gaz lacrymogène envahit la place, tandis que les secours arrivent pour prendre en charge les blessés. Il est 20 heures lorsque les sapeurs-pompiers réduisent le brasier allumé sur la place de la cathédrale Saint-André à un tas de cendres. Mais la colère des "gilets jaunes", elle, est encore loin d'être éteinte.

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