Déficit public aggravé par les mesures "gilets jaunes" : la Cour des comptes y va "un peu fort", estime l'OFCE
Selon les magistrats, les mesures annoncées en faveur du pouvoir d'achat pourrait peser sur le budget de l'État.
La Cour des comptes y va "peut-être un peu fort" quand elle dit que la France "ne pourra pas" réduire son déficit à 2% en raison de nouvelles mesures budgétaires liées à la crise des "gilets jaunes", selon le directeur de l'OFCE et membre du Haut conseil en finance publique Éric Heyer, mais il reconnaît ce mardi sur franceinfo qu'elle "est dans son rôle pour dire qu'il pourrait y avoir un petit dérapage."
franceinfo : Pensez-vous, comme la Cour des comptes, que la France ne pourra pas réduire son déficit à 2% l'an prochain ?
Éric Heyer : Dire qu'elle ne pourra pas, c'est peut-être un peu fort. Globalement, il faut attendre le projet de loi de Finances pour l'année 2020 et voir comment le gouvernement va financer ces nouvelles mesures qu'il a proposées. En l'état actuel, sans nouvelle mesure, effectivement, il pourrait y avoir un petit dérapage et encore il faut le mettre entre guillemets. Passer de 2% à 2,1 ou 2,2, c'est de l'épaisseur du trait. Il suffirait qu'il y ait juste un petit peu plus de croissance qu'attendu pour que cette prévision soit complètement annulée. Mais effectivement aujourd'hui, il y a un peu plus de dépenses engagées que ce qui était promis lors du programme pluriannuel et donc la Cour des comptes est dans son rôle pour dire "attention il pourrait y avoir un petit dérapage de 0,1 ou 0,2%."
Est-ce véritablement en raison des mesures prises pour répondre au mouvement des "gilets jaunes" ?
Oui parce qu'aujourd'hui la croissance économique est à peu près en ligne avec les prévisions du gouvernement. On ne peut pas dire aujourd'hui que [les prévisions] du gouvernement, en termes de perspective économique, [ne sont] pas plausible[s]. La seule différence par rapport à ce qui avait été remis à Bruxelles, ce sont de nouvelles dépenses ou des baisses d'impôts supplémentaires qui, sans mesure pour les financer, vont l'être par le déficit. Et effectivement 5 milliards d'euros, ça vous fait 0,2 point de PIB.
Est-ce si grave de ne pas pouvoir tenir ses objectifs en matière de déficit ?
On peut dire qu'on est dans un contexte où les taux d'intérêt étant extrêmement faibles [à 10 ans le taux d'intérêt est autour de 0,1 point, c'est-à-dire qu'en réel, quand on enlève l'inflation, c'est du négatif], c'est assez tentant pour le gouvernement de se dire que la dette publique pourrait baisser sans nouvelles mesures supplémentaires et donc qu'il a deux solutions. Soit il en profite pour réduire très vite sa dette publique, soit il en profite pour faire de l'investissement pour demain, pour permettre aux citoyens de vivre mieux via une transition écologique, une transition numérique, ou via un peu de pouvoir d'achat. Le gouvernement a plutôt choisi cette deuxième voie et ça reste dans le domaine du raisonnable, ce n'est pas un dérapage considérable. Il faut juste se poser la question : est-ce que ça a été bien utilisé ? Est-ce que c'est vraiment le soutien au pouvoir d'achat qu'il fallait faire ? Est-ce que des investissements vers la transition écologique ou le numérique ne seraient pas plus efficaces ? Bref, comment profiter de cette situation un peu extraordinaire pour faire en sorte que nos citoyens vivent le mieux possible ?
Le gouvernement penche en effet vers un soutien au pouvoir d'achat mais le compte y sera-t-il ?
C'est une seconde question : est-on allé suffisamment loin dans le soutien au pouvoir d'achat pour nourrir la croissance ? Si on regarde ça d'un point de vue macro-économique oui, c'est-à-dire que globalement il va y avoir un soutien du pouvoir d'achat qui est extrêmement élevé en 2019, mais c'est de la macro-économie, c'est de la moyenne. Et dans cette moyenne, il va y avoir des gagnants et des perdants et donc c'est cela qu'il va falloir analyser de près. On essaie de le faire à l'OFCE et se rendre compte qu'effectivement il y a tout de même, dans ce pouvoir d'achat qui est plutôt en hausse, des personnes qui n'ont pas de gain de pouvoir d'achat et ces personnes-là sont plutôt âgées et dans la classe moyenne supérieure voire dans le tout premier décile, donc dans les plus bas des revenus. (…) Le gouvernement se dit qu'aujourd'hui le risque premier c'est une crise sociale, et se dit "qu'il vaut mieux laisser un tout petit peu filer le déficit mais éteindre une crise sociale". Et donc la question qu'on doit se poser n'est pas "est-ce que la France est en faillite ?" - les marchés nous disent que non - mais plutôt "est-ce qu'ils sont allés assez loin et sur les bonnes personnes ?" On verra par la suite si le discours politique a fonctionné.
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