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Témoignages "Tout est saturé" : de l'île de Groix aux calanques de Marseille, cartes postales des dégâts du surtourisme en France

Infrastructures sous-dimensionnées, embouteillages monstrueux, biodiversité malmenée... Six habitants de communes touristiques de l'Hexagone racontent leur quotidien lors des pics de fréquentations estivaux.
Article rédigé par Robin Prudent
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Des cartes postales du surtourisme en France. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

"Les gens sont pressés, stressés et se comportent comme des conquérants." Sur la petite île de Groix, dans le Morbihan, Van Ton That voit arriver des hordes de touristes dès que le soleil et les ponts du mois de mai font leur apparition. Jusqu'au mois de septembre, la petite commune de 2 250 habitants reçoit des milliers de visiteurs chaque jour, venus observer les falaises et les dolmens bretons... jusqu'à saturation. "Aujourd'hui, Groix est victime de son succès", affirme l'habitante.

L'île bretonne est loin d'être le seul site concerné par ce phénomène. En France, 80% de l'activité touristique se concentre sur seulement 20% du territoire, selon le gouvernement. Les communes les plus en vue subissent ainsi des pics de fréquentation de plus en plus difficiles à absorber, compte tenu de leurs infrastructures. Cet afflux de visiteurs met aussi à mal la biodiversité et la vie quotidienne des habitants. Six d'entre eux nous ont raconté les dégâts du tourisme de masse dans leur commune. Voici leurs cartes postales.

"Un petit coucou d'Aix-les-Bains, où le lac est saturé d'embouteillages"

Une carte postale revisitée d'Aix-Les-Bains. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

"Depuis ma naissance, il y a 55 ans, je vis près du superbe lac d'Aix-les-Bains. Il a une attractivité géographique formidable. Mais aujourd'hui, je suis obligée de fuir la région en été. Les plages débordent de déchets. Les voitures sont garées n'importe où. La circulation est bloquée. Même sur le lac, il y a des embouteillages. On est saturé de bateaux à moteur, de ski nautique, de paddles... On a l'impression que les élus ont peur du vide et disent oui à tous les projets, alors qu'il faut que l'on préserve la nature. Cela devient difficilement supportable depuis une petite dizaine d'années où, vraiment, il y a trop de monde. Le plus dur, je pense que c'est le bruit. Partout. Tout le temps. Ça tape sur les nerfs. A un moment, il faut dire stop."

Signée Bénédicte, Aix-les-Bains (Savoie)

"Bons baisers de l'île de Groix, où les mouchoirs jonchent les chemins"

Une carte postale revisitée de l'île de Groix (Morbihan). (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

"Depuis mes fenêtres, je vois des centaines de cyclistes et de randonneurs passer sur le petit chemin derrière ma maison, sur la côte sauvage de l'île de Groix. En tongs, sans gourde, sans crème solaire... Ils viennent nous demander de l'eau, rouges comme des écrevisses après avoir attrapé des coups de soleil monstrueux. Ils imaginent que Groix est une station balnéaire. Mais ce n'est pas Saint-Tropez ici, et heureusement. Faute de toilettes sur l'île, les touristes font leur besoin dans la nature. Les mouchoirs et le papier toilette jonchent les chemins de la réserve naturelle. J'ai même vu un dolmen qui avait été utilisé comme des toilettes..."

Signée Van, Groix (Morbihan)

"Bises de l'anse de Méjean, où c'est la foire d'empoigne"

Une carte postale revisitée de Toulon (Var). (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

"Tout change à l'anse de Méjean quand l'été arrive. Et avec le réchauffement climatique, cela commence dès le mois d'avril. Cette anse pittoresque de Toulon est devenue une catastrophe écologique et humaine pour les résidents. Pour y accéder, il faut passer par une petite route sinueuse, où les gens roulent trop vite et trop près des piétons. Le parking empiète largement sur le terrain du Conservatoire du littoral mais reste beaucoup trop petit pour le nombre de touristes. C'est la foire d'empoigne, tout est dégueulasse. Il n'y a plus de hérissons, plus de sauterelles, plus de lézards, mais des chats errants et des capsules de protoxyde d'azote. Sur la mer, des centaines de bateaux viennent accoster tous les jours en arrachant la flore sous-marine. Certains font 15 m de long et sont là toutes les vacances, à quelques mètres de la plage. C'est comme si vous achetiez un camping-car pour aller à 2 km de votre maison. La musique est à fond et les fêtards agressifs. La liste à la Prévert des nuisances est si longue qu'elle ferait sourire si la réalité n'était si cruelle !"

Signé François*, Toulon (Var)

"Bonjour de La Rochelle, où on ne peut même plus aller au marché"

Une carte postale revisitée de La Rochelle (Charente-Maritime). (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

"Dès qu'il fait beau, je dois changer mes habitudes. Tous les petits plaisirs de l'année deviennent impossibles à réaliser, car tout est saturé à La Rochelle. La rocade est bouchée tous les soirs, les touristes tentent d'entrer dans le centre-ville en voiture et même à pieds, c'est compliqué. Je ne peux plus aller au marché, la foule est difficile à gérer. Je suis obligée d'aller acheter mes légumes au Super U, alors que c'est moins bien. Avec les beaux jours, les prix affichés deviennent fous. Le tartare de poisson que j'adore prend 5 euros le kg l'été. Alors je l'achète hors saison et je le congèle. La ville n'est pas faite pour voir sa population multipliée par trois. Sous les arcades, on se marche dessus. Je ne vais plus voir le coucher du soleil, ni prendre un verre en terrasse ou manger une glace sur le port. C'est impossible avec tout ce monde. Quand des amis veulent venir me voir, je leur dis : 'Oui, mais ne venez pas en juillet ou en août'."

Signée Alexane, La Rochelle (Charente-Maritime)

"Salut de Saint-Malo, où les goélands se gavent des déchets"

Une carte postale revisitée de Saint-Malo (Ille et Vilaine). (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

"J'habite dans Saint-Malo intra-muros. C'est un village où tout le monde se connaît, se salue et se dit bonjour. Mais à partir des vacances de Pâques, l'ambiance change et le bal des valises à roulettes sur les pavés commence. Il y a toujours du bruit et cela devient compliqué de se déplacer. On est obligé de jouer des coudes pour pouvoir aller travailler. D'autant que les saisonniers ne trouvent pas à se loger dans le centre et ont bien du mal à pouvoir se garer à proximité de leur lieu de travail. Les commerces changent, nous avons moins de boucheries, de poissonneries, de boulangeries, mais davantage de vendeurs de Kouign-amanns et de crêpes. Les gens jettent leurs déchets par terre. Or, ici, on a des goélands, ce sont un peu des rats volants. Ils sont de plus en plus nombreux en période estivale et ils se gavent des déchets des touristes. Parfois, on a l'impression de devenir le Mont Saint-Michel bis."

Signé Eric, Saint-Malo (Ille-et-Vilaine)

"Souvenirs des Goudes, à Marseille, où les touristes piétinent la flore locale"

Une carte postale revisitée des Goudes, à Marseille (Bouches-du-Rhône). (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

"Lorsqu'il commence à faire beau, des bouchons énormes se forment autour des Goudes, à Marseille. Le village est un cul-de-sac, desservi par une seule route. Ces dernières années, avec l'attrait des Calanques, les embouteillages sont de pire en pire. Il n'y a plus de place pour se garer. Les habitants ne peuvent sortir qu'à certaines heures et doivent trouver un bout de caillou pour mettre leur voiture... Les touristes rejoignent ensuite les Calanques à pieds, ce qui cause des gros problèmes de piétinement de la flore locale. Par exemple, la Sabline de Provence, une petite fleur unique, est régulièrement piétinée. Et c'est sans compter les déchets laissés qui finissent dans la mer ingérés par les poissons. Il suffit de plonger la tête dans l'eau, les déchets sont partout."

Signée Aurélie*, Marseille (Bouches-du-Rhône)

* Les prénoms ont été modifiés.

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