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"L’Etat donne 18 milliards d’euros pour le tourisme, mais rien n’est prévu pour nous" : le témoignage des guides-conférenciers, malmenés par la crise sanitaire

Cette année, les guides-conférenciers ont accumulé les difficultés. Le confinement, puis le manque de clients ont accentué la précarité d’un métier fragile et peu connu. Ils racontent.

Article rédigé par franceinfo Culture - Lola Scandella
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Rassemblement de guides-conférenciers sur les colonnes de Buren devant le ministère de la Culture le 16 juillet 2020.  (SAMUEL BOIVIN / NURPHOTO)

Donatien Schramm n’a pas de chance. Immobilisé par sa cheville brisée, le confinement dure plus longtemps que prévu pour ce guide-conférencier parisien. Au téléphone, il dresse le bilan d’"une année noire". "Je ne travaille pas en ce moment, et je ne pourrai pas reprendre d’ici la fin du mois d’août", soupire-t-il.

11,4 millions d’euros de pertes depuis le 1er mars

Si Donatien Schramm n’a pu redémarrer son activité après le confinement, ce n’est pas seulement à cause de sa jambe cassée. Comme lui, quelque 4 000 guides-conférenciers en France sont actuellement à l’arrêt. Tous racontent la même chose : le confinement et l’arrêt brutal de leurs activités, puis l’impossibilité de reprendre. Cet été, les touristes étrangers et les personnes âgées, une part très importante de la clientèle des guides-conférenciers, sont restés chez eux. Les musées ont bien rouvert leurs portes, mais beaucoup ne proposent pas, ou trop peu, de visites guidées.

Avant le confinement, les nombreux samedis de manifestations des gilets jaunes ou contre la réforme des retraites, et les mouvements de grèves des transports, avaient déjà porté quelques coups à la profession, empêchant beaucoup de guides-conférenciers de se constituer une trésorerie. En avril, la Fédération nationale des guides-conférenciers et interprète (FNGIC) estimait que les pertes accumulées atteignaient 11,4 millions d’euros depuis le 1er mars. Ruinée, sinistrée, la profession est exsangue.

Ana a récemment appris son licenciement. Avant le confinement, elle travaillait pour une entreprise qui proposait des visites guidées en bus. Elle était en CDI. "C’était seulement 14 heures par semaine, mais cela m’assurait une certaine stabilité", regrette-t-elle. "L’entreprise n’a pas résisté à l’impact économique de la crise sanitaire", souffle cette trentenaire d’origine espagnole, installée à Paris depuis quelques années. Parallèlement à ce travail qu’elle a perdu, elle proposait avant le confinement des visites guidées en plein-air, à son compte, sous le statut d’auto-entrepreneur. Bien décidée à ne pas se laisser abattre, elle a "profité du confinement pour travailler et créer trois nouvelles visites guidées, aux bords de la Seine". Mais les clients sont rares. "Actuellement, je ne peux pas en vivre", précise-t-elle. Elle peut cependant bénéficier du fond de solidarité mis en place par le gouvernement pour soutenir les plus petites entreprises. Sans cela, elle n’aurait pratiquement aucun revenu.

Une partie des guides-conférenciers dans l’impasse

Selon une enquête de la Fédération Nationale des guides interprètes et conférenciers (FNGIC) parue en avril 2020, 37 % des guides-conférenciers sont des travailleurs non salariés. Le 12 juin, le ministère de la Culture a annoncé une série de mesures d’aide pour cette partie de la profession. Les guides-conférenciers "pourront notamment bénéficier de la prolongation du fonds de solidarité (...) jusqu'à la fin de l'année 2020". Une mesure "saluée" par la présidente du Syndicat national des guides-conférenciers Hélène Norlöff, qui s’interroge cependant à plus long terme sur l’avenir du secteur. "Nous ne sommes pas sûrs du tout de pouvoir retrouver une activité normale d’ici la fin de l’année et, si ce n’est pas le cas, nous demandons que cette mesure puisse être reconduite jusqu’à l’été prochain", expose-t-elle.

Pour les travailleurs indépendants, c’est une bouée de sauvetage. Mais tous les guides-conférenciers ne sont pas logés à la même enseigne. Pour celles et ceux qui sont salariés il n’y a tout simplement… "rien." Michèle Lee lâche ce mot et s’arrête quelques secondes de parler. Depuis de nombreuses années, elle est guide-conférencière salariée, comme 36 % de ses collègues selon l’enquête de la FNGIC. La plupart du temps, elle travaille en CDDU (dit CDD d’usage), des contrats très courts qui lui permettent d’enchaîner les missions et les employeurs. "Je peux avoir un contrat de deux heures pour une visite le matin dans un musée, puis un contrat de quatre heures dans l’après-midi dans un autre endroit et avoir deux ou trois employeurs différents dans une même journée", explique-t-elle, décrivant un système d’intermittence.

Michèle Lee travaille uniquement avec des touristes chinois, dont elle maîtrise parfaitement la langue. Dans les périodes où il y a peu de touristes et où elle ne travaille pas, elle peut toucher des allocations chômage auprès de Pôle Emploi notamment au regard d’un certain nombre d’heures travaillées. Cette année, les touristes chinois, confinés dès la fin du mois de janvier, ne sont pas venus visiter Paris. Michèle Lee avait fait assez de visites auparavant pour pouvoir toucher des allocations jusqu’au mois de juillet, mais pas au-delà. En ce début de mois d’août, elle n’a pas de travail, elle ne touche pas le chômage partiel, et rien d’autre n’a été mis en place.

"On se sent abandonnés, complètement oubliés"

"Concrètement, cela veut dire que le mois prochain, je n’ai aucune rentrée d’argent", résume Michèle Lee. A 63 ans, elle envisage une reconversion professionnelle. "Je ne peux pas attendre, j’aimerais continuer mon métier mais je dois trouver quelque chose pour survivre. En arriver là après toute ces années de travail me fait mal au cœur". Amère fin de carrière. Elle décrit des situations similaires à la sienne, des collègues retournés chez leurs parents, ou qui ont vendu leur logement. Sa colère se tourne principalement vers le gouvernement. "Quand j’entends que l’Etat donne 18 milliards d’euros pour le tourisme, et que rien n’est prévu pour nous alors que notre métier est très important pour le secteur… on se sent abandonnés, complètement oubliés", confie-t-elle.

On dit aux Français de rester sur le territoire pour les vacances et d’en profiter pour découvrir la richesse de notre patrimoine culturel et on ne nous donne même pas à nous les professionnels et représentants de ce patrimoine les moyens de travailler.

Elisabeth

Guide-conférencière salariée

Le sentiment d’injustice est fort, l’inquiétude également. Elle est partagée par Elisabeth, elle aussi guide-conférencière salariée, qui décrit un sentiment d’abandon "violent, traumatisant". Elle non plus n’a plus de travail et n’a plus aucun revenu à part ses allocations, qu’elle peut toucher jusqu’en novembre. "Mais après ?", s’interroge-t-elle. La guide a pour l’instant quelques réservations pour le mois de septembre mais elle craint que ces dernières ne soient finalement annulées. Elle envisage "une reconversion dans l’enseignement". Selon l’enquête de la FNGIC, 45% des guides-conférenciers interrogés n’excluent pas de devoir changer de travail. Le 12 juin, le ministère de la Culture déclarait également : "s'agissant des guides-conférenciers salariés, employés sous forme de contrats courts (...) le gouvernement a entamé une réflexion". Depuis, rien n’a été fait.

Le souhait d’une année blanche

Alors depuis le 6 juillet, des guides-conférenciers ont décidé d’agir. "Je suis de tous les flash mob !", s’exclame Michèle Lee soudain plus enjouée. "Nous en faisons un tous les jeudis. Le 6 juillet, nous étions devant le Louvre, environ 200, le jeudi suivant nous sommes allés devant le ministère de la Culture, puis devant l’Arc de Triomphe, et la semaine dernière à l’Opéra de Paris", énumère-t-elle. Et ce jeudi ? "Surprise !", lance la guide. A chaque fois, les participants ont mis en scène leur rassemblement. Devant le Louvre, ils ont brandi en silence des portraits de La Joconde. Devant l’Opéra, ils ont rejoué le film Le fantôme de l’Opéra, justement. "C’est parce que nous sommes des fantômes, on ne nous voit pas, alors nous nous rassemblons pour enfin nous faire voir et nous faire entendre", tonne Michèle Lee.

Ces rassemblements sont organisés par un collectif simplement baptisé "Collectif des guides-conférenciers". Il demande au gouvernement une année blanche, comme pour les intermittents du spectacle. Michèle, elle, veut aussi se battre face à l’inaction du gouvernement qu’elle interprète comme "un pas de géant vers l’ubérisation" de sa profession. "Il ne veut plus de nous, il ne veut plus de salariés, il veut des auto-entrepreneurs, mais cela va entraîner une précarité qui va laisser beaucoup de gens sur le carreau", déplore-t-elle. Par la voix de sa secrétaire générale Armelle Villepelet, la FNGIC, de concert avec le SNGC, demandent que "les guides-conférenciers salariés soient immédiatement pris en compte mais, également, qu’à plus long terme soit menée une réflexion sur le système de contrat court. En période de difficulté, il n’y a aucun filet de sécurité." Précaires, plus d’un tiers des guides-conférenciers salariés gagnent moins que le SMIC mensuel selon l’enquête publiée par la fédération.

L’effet révélateur de la crise sanitaire

Tous les guides interrogés décrivent une profession individualiste et très concurrentielle, notamment parce qu’elle est peu encadrée. Michèle raconte : "Des agences ou des clients particuliers s’amusent à demander combien vous prenez par exemple pour une visite du Louvre, admettons que vous dites 100 euros. Ensuite, ils appellent d’autres guides et leur demandent également combien ils prennent, et proposent 50." Une sélection par l’offre qui fait grimper la concurrence et l’instabilité.

Comme nous sommes nombreux, on peut nous dire du jour au lendemain qu’on ne fait plus l’affaire si nous revendiquons de meilleures conditions de travail ou si nous refusons de baisser notre tarif…

Donatien Schramm

Guide-conférencier

"Il y a beaucoup de guides, donc il y a beaucoup de choix. Alors si un jour il arrive un problème, comme des transports bloqués qui mettent un guide en retard, ce guide sera immédiatement pénalisé, il sera mis de côté", raconte Ana. Donatien Schramm, auto-entrepeneur, ne dit pas le contraire. "On peut nous faire travailler ou nous dire merde du jour au lendemain, on nous dit qu’en tant qu’auto-entrepreneurs nous sommes nos propres patrons mais c’est faux, nous sommes considérés comme des prestataires de services", s’emporte-t-il. Il rapporte par exemple plusieurs cas de visites annulées au dernier moment parce que "considérées comme pas assez rentables". Certaines plateformes qui mettent en ligne et vendent des visites de guides-conférenciers à des clients prennent également une commission sur le prix de chaque place vendue.

La crise sanitaire a agi comme un révélateur des dysfonctionnements de la profession. Avant le confinement, Donatien Schramm a eu une idée. Excédé de devoir passer par des entreprises plus ou moins vertueuses pour arriver à vendre ses visites, il a décidé de créer un site internet pour tenter de fédérer des guides-conférenciers et leur permettre de proposer eux-mêmes leurs visites et leurs tarifs. "Mais fédérer est plus difficile que ce que je pensais", admet le sexagénaire. "Pendant le confinement, et même après, certains guides ont accepté des conditions de travail inacceptables, par exemple des visites en visioconférence pour cinq personnes payées au même tarif qu’une visite normale", raconte-t-il. "Bien sûr qu’il faut manger, mais si pour cela on est prêt à tout accepter, à un moment donné on ne mange plus du tout !", se désespère-t-il. Il conserve toutefois son projet. "On va commencer en petit comité tout en continuant à travailler avec d’autres structures mais je ne suis pas fermé à ce que d’autres guides nous rejoignent par la suite", indique-t-il. Une manière de se préparer à une reprise très attendue par la profession dont Elisabeth tient à souligner  "la résilience" malgré les difficultés. Pour elle, "le vrai test, ce sera au printemps prochain, on verra à ce moment-là s’il y a une bonne reprise ou pas. Mais en attendant, tout le monde est dans l’incertitude".

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