Cet article date de plus d'un an.

"Une grève, plus ça dure, plus ça se durcit" : comment le recours au 49.3 pour faire passer la réforme des retraites attise la colère de la rue

La décision d'utiliser le 49.3 pour faire passer la réforme des retraites sans vote à l'Assemblée, jeudi, a réveillé le mécontentement des manifestants. Des rassemblements et des actions coups de poing s'organisent un peu partout en France.
Article rédigé par Violaine Jaussent, Marine Cardot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Des syndicalistes du secteur ferroviaire et des manifestants se tiennent sur les voies à la gare de Bordeaux (Gironde), le 17 mars 2023, pour protester contre la réforme des retraites. (MEHDI FEDOUACH / AFP)

Blocage du périphérique parisien, manifestation sur les rails de la gare de Bordeaux, rassemblement spontané dans les rues de Rennes... La colère ne retombe pas, vendredi 17 mars, au lendemain du recours à l'article 49.3 dégainé par Elisabeth Borne pour faire adopter sans vote le texte qui reporte à 64 ans l'âge légal de départ à la retraite.

Environ 200 manifestants ont entravé la circulation sur le périphérique parisien, vendredi matin, lors d'un blocage organisé par la CGT Ile-de-France. A Rennes (Ille-et-Vilaine), une nouvelle manifestation a eu lieu, avec une affluence qui a surpris les syndicats, rapporte France Bleu Armorique. D'autres rassemblements ont été organisés à Laval (Mayenne), Evreux (Eure) ou encore Rouen (Seine-Maritime), où un cortège s'est dirigé vers la préfecture.

Ces rassemblements spontanés, non autorisés par les autorités, ont eu lieu dès l'annonce de l'utilisation du 49.3 à l'Assemblée nationale. Jeudi, à Paris, "au plus fort" de la soirée, environ 10 000 personnes étaient rassemblées à quelques mètres de la chambre basse du Parlement, place de la Concorde, a annoncé le lendemain sur RTL Gérald Darmanin, le ministre de l'Intérieur. Plusieurs dégradations ont été commises dans le quartier, avec des feux de poubelles ou des destructions de mobilier urbain. Les forces de l'ordre sont intervenues pour disperser les manifestants en chargeant et en utilisant des canons à eau et des gaz lacrymogènes. Selon Gérald Darmanin, 258 personnes ont été interpellées.

"Des profils de l'ultra-gauche et ultra-droite, mais pas seulement"

Dans de plus petites villes, de nombreux rassemblements spontanés ont été recensés, par exemple à Bourges (Cher), à Dole (Jura), ou à Albi (Tarn). A Nantes (Loire-Atlantique), Marseille (Bouches-du-Rhône), Lille (Nord) ou Dijon (Côte-d'Or), les forces de l'ordre sont également intervenues. Des incidents ont aussi éclaté dans d'autres villes, en particulier à Rennes, où un "groupe de 300 ultras" a commis des violences "sidérantes", a dénoncé la maire socialiste de la ville, Nathalie Appéré. En réaction, le ministre de l'Intérieur a annoncé l'envoi de 60 policiers de la CRS8, une compagnie spécialisée dans le maintien de l'ordre et les violences urbaines. Ces policiers seront présents au moins jusqu'à lundi, a appris franceinfo auprès de l'entourage du ministre.

Au total, selon un bilan de la police, 52 000 personnes ont participé à des manifestations jeudi soir dans 24 villes, 52 personnes ont été interpellées, dont 49 placées en garde à vue, et 54 policiers ont été blessés. "Il y a une base de syndicalistes plus radicaux, avec beaucoup de profils opportunistes de l'ultra-gauche et quelques personnes en plus", détaille l'entourage du ministre de l'Intérieur. Thierry Clair, secrétaire général adjoint de l'Unsa Police, relève aussi la présence de "profils déjà connus pour faire partie de l'ultra-gauche et de l'ultra-droite, avec des antécédents de violences en réunion ou de dégradations volontaires, mais pas seulement". "Il y a aussi des personnes inconnues des services de police", précise-t-il à franceinfo.

"Le climat risque encore de se tendre"

L'utilisation du 49.3 fait bouillir les opposants à la réforme. "Cette annonce, elle a mis le feu aux poudres", a déclaré vendredi à franceinfo Catherine Perret, secrétaire générale adjointe de la CGT. On va faire en sorte justement d'encadrer les manifestations, mais on ne peut pas présager de ce que veulent les Français." Car certains responsables de terrain veulent aller plus loin et estiment, comme ce responsable CGT des Bouches-du-Rhône, qu'"il n'y a plus de règles" puisque "le gouvernement a été le premier à les bafouer". "Face à ce gouvernement, on n'a pas d'autres choix que de bloquer ce pays, car on est face à des gens qui ne veulent rien entendre", a abondé le responsable CGT Bérenger Cernon au micro de BFMTV, alors que les syndicats cheminots se sont prononcés en faveur d'une reconduction de la grève jusqu'à lundi. "Aujourd'hui, le 49.3 des travailleurs, ce sont tout simplement des blocages", a-t-il insisté.

Avant la "nouvelle grande journée de grèves et de manifestations" prévue jeudi 23 mars, l'intersyndicale a appelé à "des rassemblements locaux de proximité", samedi et dimanche. La CGT a en outre annoncé la mise en arrêt de la raffinerie TotalEnergie de Normandie dès ce week-end. Chaque territoire investit à sa manière la contestation. "C'est l'une des forces de ce mouvement : plein de choses sont décidées localement", souligne à franceinfo Frédéric Bodin, un responsable du service d'ordre du syndicat Solidaires. "Certains se contentent d'un simple rassemblement, d'autres non", constate le syndicaliste, qui estime que "le climat risque encore de se tendre". 

"Il faut rester calme parce qu'on sait très bien que la violence, ça se retourne contre nous", a recommandé jeudi sur la chaîne franceinfo Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT. "Mais calme ne veut pas dire qu'on n'est pas offensif. On peut avoir des actions qui peuvent être très percutantes : il peut y avoir des blocages, beaucoup de choses."

Elus et symboles de la République pris pour cible

Du côté du ministre de l'Intérieur, on se dit particulièrement attentif à ces expressions de colère. "Le ministre dit oui aux manifestations déclarées et encadrées, non à la 'zadisation' du mouvement", a réagi auprès de franceinfo l'entourage de Gérald Darmanin à l'issue d'une réunion organisée vendredi matin avec les préfets. "Attention aussi quand on s'en prend aux symboles de la République : plusieurs préfectures étaient sous pression hier [jeudi] soir", a insisté l'entourage du ministre. Un peu plus tôt, sur RTL, Gérald Darmanin avait dénoncé ces "préfectures prises pour cible" jeudi en fin de journée ainsi que "des effigies brûlées" à Dijon. Car dans le chef-lieu de la Côte-d'Or, "un mannequin à l'effigie du président de la République a été mis à feu", lors d'un rassemblement non déclaré de 700 personnes, selon le préfet, qui a annoncé son intention de porter plainte au nom de l'Etat.

Autre préoccupation pour Gérald Darmanin : la protection des élus. Dans un courrier envoyé jeudi soir aux préfets, le ministre de l'Intérieur affirme que "les parlementaires font parfois l'objet de menaces, d'outrages, d'insultes ou encore d'actes de malveillance tels que des dégradations de biens", dans le cadre la mobilisation contre le projet de réforme des retraites. Gérald Darmanin demande donc aux préfets de "poursuivre la surveillance mise en place aux abords des permanences des parlementaires et de leur domicile". Cette surveillance a d'ailleurs été étendue, vendredi, aux "bâtiments et lieux publics sensibles" tels que des préfectures, des mairies ou encore des hôpitaux, selon une note de la Direction centrale de la sécurité publique que franceinfo a pu consulter. Toujours d'après cette note, "il convient également de détecter d'éventuels blocages des lieux d'activité économique d'importance vitale, notamment les raffineries et les dépôts pétroliers."

"Une grève, plus ça dure, plus ça se durcit. Les grosses manifestations risquent aussi d'évoluer", martèle Frédéric Bodin, qui garde en tête l'objectif d'une importante mobilisation le 23 mars. "L'espoir que cette réforme soit retirée est toujours là. (...) On est sur un moment social important, [qui peut aboutir] à une remise en cause du gouvernement. Je pense qu'on n'en est pas loin. En tout cas, on ne lâchera pas !", assure à l'AFP Philippe Melaine, professeur de Sciences de la vie et de la terre (SVT) dans un lycée. Il fait partie des quelques milliers de manifestants qui ont décidé de battre le pavé vendredi à Rennes et qui n'ont cessé de scander : "Aujourd'hui, dans la rue, demain, on continue."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.