Témoignages Réforme des retraites : cinq Français racontent comment ils comptent compléter leur pension pour ne pas "finir sans rien"

Article rédigé par Lola Scandella
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Selon l'association Le Cercle des épargnants, 65% des Français déclarent mettre de l’argent de côté plus ou moins régulièrement en 2022 en vue de leur retraite, contre 55% en 2019. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)
Alors que le projet de réforme des retraites suscite de nombreuses craintes, de futurs retraités comptent sur d'autres moyens pour s'assurer une pension.

"Le manque d'argent est toujours la principale source d'inquiétude des futurs retraités", selon l'édition 2022 du baromètre "Les Français, l'épargne et la retraite" du Cercle des épargnants (PDF). Et la réforme des retraites ne devrait rien y changer. Notamment après que le gouvernement a entretenu le flou sur le nombre de personnes effectivement concernées par la revalorisation à 1 200 euros des petites retraites. "Les non-retraités déclarent de plus en plus épargner pour financer leur retraite", constate encore ce baromètre : 65% des interrogés, contre 55% en 2019, déclarent ainsi mettre de l'argent de côté plus ou moins régulièrement à cet effet.

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Entre la crainte de voir leurs revenus baisser et celle de ne pas pouvoir profiter de leur retraite à cause du recul de l'âge légal de départ, les personnes interrogées par franceinfo se préparent afin de bénéficier de revenus complémentaires. Chacun a sa manière. Si certains y pensent depuis plusieurs années, la réforme a servi à d'autres de déclencheur. Derrière la question de l'argent émergent des interrogations sur le rapport au travail, sur l'individualisme et les inégalités, ou encore l'avenir du système par répartition et la solidarité sur laquelle il repose.

Nicolas, 27 ans : "Je veux profiter de ma retraite en bonne santé"

"Quand je vois le montant des pensions actuelles, je me dis que quand ce sera mon tour, ce ne sera pas folichon. Je veux anticiper." Nicolas n'a pas 30 ans, mais cet apprenti dans l'industrie pharmaceutique ne va "pas tarder à mettre des choses en place" pour sa retraite. Avant lui, sa mère travaillait comme cadre, aussi dans l'industrie pharmaceutique. "A 60 ans, quand elle a pris sa retraite, elle n'avait déjà plus la même énergie qu'à 40 ou 50 ans", se souvient le jeune homme, qui souhaiterait "partir avant 64 ans, pour pouvoir profiter de la retraite avec la santé, voyager… ", énumère l'apprenti.

Cet Alsacien réfléchit à "investir dans l'immobilier, et pourquoi pas en Bourse aussi". Il veut aussi se "renseigner sur les cryptomonnaies". "Je vois des jeunes de 20 ans qui commencent déjà à investir", affirme-t-il. Lui veut prendre le temps, "faire attention", faire "les choses bien". "Je sais que tout le monde ne pourra pas faire ça pour sa retraite. De mon côté, je vais essayer de faire en sorte que ça se passe bien pour moi, personne ne le fera à ma place."

Elisabeth, 62 ans : "Il fallait que je me sécurise"

Au téléphone, Elisabeth prévient : "Des boulots, j'en ai eu plein de différents." La sexagénaire a "commencé à 18 ans, avec des jobs alimentaires : serveuse, standardiste…" Jusqu'à ses 25 ans et un départ aux Etats-Unis. "A New York. Là-bas, j'ai été comédienne", sourit-elle. En parallèle, pour "gagner [sa] croûte", elle officie comme maquilleuse. A 30 ans, elle rentre à Paris et conserve ces deux métiers. "Vous comprenez, je n'étais pas pensionnaire de la Comédie-Française", souffle-t-elle pour signifier qu'elle ne trouvait pas constamment du travail. Avec le temps, elle n'a conservé que son activité de maquilleuse. "J'ai aussi connu deux périodes au RSA [revenu de solidarité active], mais pas longtemps. En clair, ma carrière est hachée". Sa pension de retraite risque d'en pâtir. "J'ai fait une simulation. Si je veux avoir une retraite à taux plein, je dois attendre 67 ans, mais je toucherai quand même moins que le smic", soupire-t-elle.

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Mais Elisabeth a un plan pour compléter sa future pension. "Mes parents ne m'ont jamais aidée, je me suis faite seule", tient-elle à préciser. A leur mort, Elisabeth a toutefois touché un héritage. "J'ai pu acheter un petit studio à Paris grâce à ça". Elle compte le mettre en location et "partir habiter en Normandie". "J'aurai un toit sur la tête et un complément de revenus en plus de ma retraite", résume-t-elle. Elle explique : "Dans ma vie, j'ai souvent entrepris des choses pour lesquelles je n'avais pas les moyens. Pour une fois, je me suis dit qu'il fallait que je me sécurise. Si je claque tout ce que j'ai, à 80 ans, je finirai sans rien".

Eric, 58 ans : "J'ai toujours mis des sous de côté"

"Moi, c'est sur ma santé que je capitalise", lance Eric, technicien de laboratoire sarthois. Il estime "avoir la chance de pouvoir faire encore beaucoup de sport". Sa carrière professionnelle a débuté "à 17 ans, comme ouvrier électricien". Par la suite, il est devenu "technicien de maintenance, pendant vingt-cinq ans" et, enfin, depuis plus de dix ans, technicien de laboratoire dans une entreprise privée. "J'ai travaillé toute ma vie", résume-t-il. Néanmoins, il craint "de ne pas toucher une pension assez élevée" à sa retraite. "Mais, si avec la réforme, je pars à 61 ans, j'aurai cotisé 44 ans, vous vous rendez compte ?" s'étrangle-t-il.

En prévision de sa fin de carrière, Eric "économise". "J'ai toujours essayé de mettre des sous de côté, quand je pouvais, sur des supports classiques, comme un livret A", dit-il. Mais qu'on ne lui parle pas d'assurance-vie ou de Plan épargne retraite (PER). "Je refuse d'investir dans des produits spéculatifs, tonne-t-il. En tant qu'ouvrier, je sais bien que pour pouvoir bénéficier de rentes, les actionnaires s'appuient sur les travailleurs, les autres ouvriers... Sur leur capital de vie, de santé... Pour des raisons éthiques, je refuse de faire cela".

Camille, 38 ans : "Pour l'instant, j'économise pour mes filles"

"Pragmatique, moi ? Je ne sais pas", sourit Camille. Ce qu'elle sait en revanche, c'est qu'elle pense "de plus en plus" à sa retraite "depuis quelques années". Mais jusqu'à présent, elle n'envisageait "pas concrètement" de mettre en place un moyen de s'assurer une retraite complémentaire. Le projet gouvernemental l'a fait "replonger" dans ses réflexions.

Selon cette analyste d'affaires qui travaille en Ile-de-France, le système par répartition risque de ne plus fonctionner au moment où elle arrivera à la fin de sa vie professionnelle. "J'ai l'impression qu'il n'y aura plus assez de cotisants, à terme, car la population vieillit, les gens font moins d'enfants… Nous devrons soit cotiser plus, soit voir nos pensions baisser", anticipe-t-elle.

Pour "s'y préparer", elle voudrait "ouvrir un compte en banque spécialement dédiée à [sa] retraite" ou "peut-être investir dans l'immobilier". Mais pas tout de suite. "Ce n'est pas ma priorité. Pour l'instant, j'économise sur mon livret A, mais cet argent sera pour mes deux filles", confie-t-elle. "Je pense à leur avenir, si elles veulent voyager, faire des études coûteuses, comme des écoles de commerce… " Elle marque une pause. "Je ne veux pas qu'elles se retrouvent comme tous ces étudiants qu'on voit en ce moment dans l'actualité, qui sont obligés de sauter des repas, de travailler en parallèle pour s'en sortir, je veux qu'elles aient le choix." Les économies pour la retraite attendront un peu.

Anthony, 47 ans : "Un sentiment d'insécurité me pousse à me préparer"

Au téléphone, il imite la voix de ses parents. "De toute façon, votre génération, vous n'aurez pas de retraites, vous avez intérêt à prévoir !" Cette "ritournelle" tourne toujours dans la tête d'Anthony. "A priori, si je veux partir à taux plein, je dois attendre d'avoir 64 ans et 7 mois", estime ce responsable commercial, qui passe "beaucoup de temps sur la route". "Travailler encore dix-sept ans, c'est compliqué." Comme il envisage de partir avant, il veut anticiper "une baisse de ses revenus". Et égrène les solutions qu'il a mises en place pour y remédier : deux assurances-vie, "une petite part d'actions" dans une entreprise et, bientôt, l'ouverture d'un PER.

Il fait part d'un "tiraillement intérieur", à l'évocation de ces différents placements. "Je le fais, mais je suis attaché au système par répartition, je ne veux pas défendre le principe de la capitalisation, commence-t-il. Je sais qu'une grande partie de la société ne pourrait pas se le permettre." Mais ses principes se heurtent à ses craintes pour l'avenir. "Je rencontre beaucoup de personnes différentes dans mon métier, de tous les horizons sociaux, beaucoup font part de ce même malaise, avec l'impression d'être poussé vers la capitalisation de manière insidieuse", décrit-il, dans une allusion à peine voilée au projet de réforme des retraites et à la réforme de l'assurance-chômage. "Pour ma part, je réfléchis aussi à mon âge. Aujourd'hui, j'ai 47 ans, mais si je perds mon travail à 57 ans, que va-t-il se passer pour moi ?"

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