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Mobilisation contre la réforme des retraites : pourquoi est-il si difficile de connaître le nombre précis de grévistes ?

L'existence de plusieurs méthodes de calcul pour déterminer les taux de grévistes, ainsi que l'absence de déclaration dans le privé, compliquent la mesure de l'ampleur du mouvement.
Article rédigé par franceinfo
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Des manifestants défilent à Paris contre la réforme des retraites, le 19 janvier 2023. (HENRIQUE CAMPOS / HANS LUCAS / AFP)

Combien de travailleurs vont faire grève mardi 31 janvier, lors de la deuxième journée de mobilisation contre la réforme des retraites ? Fonctionnaires, salariés du public, employés du privé… Les syndicats espèrent un mouvement encore plus suivi que lors de la première journée, jeudi 19 janvier, pour protester contre le report de l'âge légal de départ à 64 ans.

Mais comment évaluer précisément le taux de grévistes au niveau national ? Si les syndicats et la police livrent, à l'issue de chaque journée de mobilisation, un décompte du nombre de manifestants, il n'existe pas de statistiques globales concernant les grévistes. Ce sont alors les chiffres secteur par secteur (éducation, transports, énergie…) qui sont scrutés, bien qu'ils puissent varier selon qu'ils viennent des syndicats, du gouvernement ou du patronat.

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Entre les méthodes de calcul qui diffèrent, les secteurs non soumis à des déclarations préalables de grève et l'absence de remontées systématiques, il est quasi impossible d'avoir une vision d'ensemble précise du taux de grévistes sur une journée de mobilisation d'ampleur.

Dans le secteur public, des préavis et des déclarations préalables

Dans la fonction publique, la grève doit être précédée d'un préavis, expose le ministère de l'Intérieur. Ce préavis doit être émis par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives au niveau national, dans la catégorie professionnelle, l'administration ou le service concerné. L'agent qui souhaite participer au mouvement social peut ensuite – mais il n'y est pas tenu – prévenir son administration de son intention de faire grève, ce qui facilite le comptage.

"C'est précisément à partir de ces déclarations que nous nous basons pour établir nos taux", explique Fabrice Angeï, secrétaire confédéral à la CGT. Le syndicat obtient généralement ces chiffres "la veille de la mobilisation"Quelques cas particuliers existent, notamment dans des catégories de personnel tenues d'assurer un service minimum. 

Dans le secteur des transports terrestres réguliers de voyageurs (à la SNCF par exemple), d'après une loi de 2007, les salariés sont dans l'obligation d'informer leur employeur de leur intention de participer à un mouvement de grève au plus tard 48 heures avant le début de la mobilisation. Cela permet à la direction "de prendre ses dispositions pour établir un plan de transports adapté et assurer ainsi un service", précise le gouvernement, cité par Ouest France

Même règle pour les professeurs des écoles. Cette obligation remonte à l'instauration du service minimum d'accueil en 2008, qui impose aux communes la mise en place d'un service d'accueil en maternelle et élémentaire dès lors qu'il y a plus de 25% d'enseignants en grève dans l'école. 

Des méthodes de calcul différentes

Plusieurs méthodes existent pour mesurer l'ampleur du nombre de travailleurs en grève, ce qui explique les écarts constatés entre les chiffres des syndicats et ceux du gouvernement, dans certains secteurs. Prenons l'exemple de l'éducation. 

Le 19 janvier, le Snes-FSU, premier syndicat du secondaire, a avancé que 65% des enseignants de collège et lycée étaient grévistes, et évoqué "des pics à plus de 80% dans certains établissements" et "des collèges fermés dans plusieurs académies". Le ministère de l'Education nationale a de son côté annoncé que 42,35% des enseignants étaient grévistes dans le primaire et 34,66% dans le secondaire.

Côté gouvernement, le ministère, contacté par franceinfo, explique s'appuyer depuis plusieurs années sur Mosart, un logiciel "sur lequel les chefs d'établissement et les inspecteurs de l'Education nationale (IEN) renseignent le nombre de grévistes", détaille Le Monde. Le matin de la mobilisation, un nombre leur est remonté par le logiciel. Puis "il est confirmé par les recensements de retraits de salaire", précise le ministère. 

Cette méthode de calcul est critiquée par les organisations syndicales, qui jugent les taux nationaux constamment estimés "à la baisse". "Les chiffres officiels sont systématiquement calculés par rapport à 'l'effectif total de l'établissement', c'est-à-dire tous les personnels dépendant de l'Etat", explique Le Monde. Or, une telle méthode "inclut des membres du personnel qui ne sont pas censés être là le jour de la mobilisation, ce qui tend à minimiser les taux", déplore Guislaine David, secrétaire générale du SNUipp-FSU. 

Côté syndicats, le SNUipp-FSU, syndicat majoritaire du premier degré, élabore ses calculs à partir d'un "panel représentatif" d'établissements dans chaque département, explique Guislaine David. "Nous comptabilisons le taux de grévistes en comparant le nombre de personnes ayant participé à la grève avec ceux qui sont censés travailler le jour même". Ainsi, "on ne compte pas ceux qui sont en disponibilité ou en arrêt maladie", détaille-t-elle. Dans le second degré, le Snes-FSU ne travaille pas avec un panel, mais avec ses représentants dans chaque établissement. "Ils nous remontent les chiffres toute la matinée, et nous communiquons quand nous avons un nombre de remontées significatives", explique Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat, auprès du Monde

Dans le secteur privé, une vision d'ensemble impossible

Contrairement aux fonctionnaires, les salariés du secteur privé peuvent exercer leur droit de grève "sans respecter de préavis", précise le site Service public, et ne sont pas obligés de prévenir leur employeur de leur intention de faire grève.

C'est précisément cette absence de déclaration qui rend presque impossible une quelconque comptabilisation du taux de grévistes au niveau syndical ou au sein de la direction d'une entreprise. "Les salariés peuvent sortir une heure, deux heures, dans le cortège, et ils peuvent retourner travailler ensuite, sans obligation de préavis. C'est pour cette raison qu'il est plus difficile de les comptabiliser", explique Fabrice Angeï.

Le représentant explique que, pour "donner une idée" de la tendance dans le secteur privé, la CGT s'appuie sur des exemples concrets "d'entreprises complètes" ou de "services" qui ferment lors d'une journée de mobilisation, selon les remontées des fédérations locales implantées. Une tendance forcément imprécise, étant donné le caractère incomplet du maillage syndical. En effet, "les organisations syndicales ne sont pas implantées dans toutes les entreprises", ajoute-t-il. 

Au niveau patronal, difficile également de faire le compte : "Nous avons reçu des messages de patrons qui nous demandent très concrètement comment ils doivent procéder pour comptabiliser le taux de grévistes dans leur entreprise", raconte Fabrice Angeï. 

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