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Manifestations contre la réforme des retraites : dans quel cadre un policier peut-il faire usage de la force physique ?

De nombreuses vidéos témoignant de violences policières ont circulé sur les réseaux sociaux lors des récents rassemblements spontanés contre le projet du gouvernement. L'usage de la force est toutefois encadré par plusieurs textes de loi.
Article rédigé par Violaine Jaussent, Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des membres des Brav-M, lors d'une manifestation contre la réforme des retraites, place de la République à Paris, le 21 mars 2023. (AMAURY CORNU / HANS LUCAS / AFP)

Des images de participants poursuivis par les forces de l'ordre puis roués de coups, submergés par les gaz lacrymogènes ou pris dans une nasse... Les vidéos qui montrent des tensions entre forces de l'ordre et manifestants se multiplient sur les réseaux sociaux, alors que les rassemblements contre la réforme des retraites se poursuivent dans plusieurs grandes villes françaises et qu'une nouvelle journée de mobilisation est organisée, jeudi 23 mars, à l'appel de l'intersyndicale. Des manifestants, des élus, des avocats et des magistrats ont dénoncé des violences policières et des interpellations arbitraires. Ils pointent aussi un usage disproportionné de la force. 

Pourtant, cet usage doit répondre à un cadre spécifique, prévu pour les forces de l'ordre, qui "ont un devoir d'exemplarité", a martelé la Première ministre, Elisabeth Borne, mardi, à l'Assemblée. Le même jour, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a tenu à rappeler une notion cardinale : "l'indispensable proportionnalité de l'usage de la force". Il a aussi évoqué "la nécessité de saisir immédiatement les inspections en cas de manquement à la déontologie".

Un usage "si les circonstances le rendent absolument nécessaire"

Un texte fait référence en la matière. Il s'agit du schéma national du maintien de l'ordre, dont la dernière version date de décembre 2021. Dans ce document de 40 pages (PDF), qui détaille la doctrine, il est clairement mentionné que "l'emploi de la force par les forces de sécurité intérieure doit être absolument nécessaire, strictement proportionné et gradué, avec des moyens adaptés". "A cet égard, les armes de force intermédiaire sont nécessaires aux forces de l'ordre [et] chaque usage de ces armes est tracé", est-il précisé dans le schéma national du maintien de l'ordre.

Mais ce n'est pas le seul texte qui encadre les pratiques des forces de l'ordre. Certains articles du Code de la sécurité intérieure (CSI), créé en 2012, y font référence. Ainsi, l'article R211-13 stipule que "l'emploi de la force par les représentants de la force publique n'est possible que si les circonstances le rendent absolument nécessaire". 

"La force déployée doit être proportionnée au trouble à faire cesser et son emploi doit prendre fin lorsque celui-ci a cessé."

L'article R211-13

du Code de sécurité intérieure

"C'est le dispositif prévu pour rétablir une situation pacifique, ce qui nous guide sur le terrain", commente le Service d'information et de communication de la police nationale (Sicop).

Un recours "indiscriminé est évidemment proscrit"

Ce cadre légal permet aux forces de l'ordre de justifier leurs interventions lors de manifestations, qu'elles soient déclarées ou spontanées, comme c'est le cas ces jours-ci. Ainsi, d'après l'article L211-9 du Code de sécurité intérieure, "un attroupement peut être dissipé par la force publique après deux sommations de se disperser demeurées sans effet". Car toute personne qui continue "volontairement à participer à un attroupement après les sommations" commet un délit, puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Cette fois, c'est le Code pénal qui le dit. Une dispersion est alors autorisée, "lorsque les violences sont généralisées", souligne Fanny Gallois, responsable des libertés à Amnesty international.

Mais dans certains cas, les sommations ne sont pas un préalable obligatoire. En effet, l'article L211-9 du Code de sécurité intérieure mentionne également que "les représentants de la force publique appelés en vue de dissiper un attroupement peuvent faire usage de la force si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent".

"Il y a toujours une exception à la règle."

Le Service d'information et de communication de la police nationale

à franceinfo

C'est le cas "lorsque des violences sont commises contre les policiers" ou bien si "des policiers ne peuvent pas se défendre autrement", poursuit le Sicop. Il cite cet exemple : "Si des vitrines sont cassées ou incendiées, on ne va pas laisser le magasin brûler."

Autre exemple : des "jets de pavés" ou "des cocktails Molotov" lancés sur des policiers, pour lesquels les sommations ne sont pas indispensables. "C'est ce qu'on appelle le cadre de réaction : on réagit à des attaques." A ce moment-là, les forces de l'ordre peuvent utiliser des armes : grenades, LBD, fusil à répétition, matraque ou tonfa, etc. Il existe tout un arsenal mentionné dans la loi. "Evidemment, le recours indiscriminé à la force est proscrit", insiste le Sicop.

Un policier "peut attaquer ou contre-attaquer" s'il est menacé

Mais tout le monde ne s'accorde pas sur cette notion. Certaines armes, telles que les grenades à main de désencerclement, ne permettent pas un "usage discriminé", dénonce par exemple Amnesty international, qui demande leur interdiction. "Elles explosent en dégageant des miniprojectiles qui explosent dans tous les sens. Elles ne permettent pas de viser la personne qui se rend coupable de violences et sont donc intrinsèquement abusives", expose Fanny Gallois. "Les armes à létalité réduite évitent d'avoir recours à des armes à feu. Mais elles ne sont pas inoffensives, et si elles sont mal utilisées, ou de manière abusive, elles peuvent blesser gravement, voire tuer." Et de dénoncer les lancers en cloche de ces grenades qui, d'ordinaire, doivent être envoyées au ras du sol.

"Au sommet des règles, il y a l'engagement de la France à mettre en œuvre les traités internationaux signés et validés par le Conseil constitutionnel, analyse Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS. Mais au moment où un policier pense que sa vie et/ou sa sécurité sont menacées, toutes les règles d'utilisation des armes en maintien de l'ordre sautent. Il peut attaquer et contre-attaquer." Ce spécialiste des questions de police et de sécurité dénonce l'usage, ces derniers jours, de grenades censées servir à disperser la foule dans des nasses, elles-mêmes jugées illégales par le Conseil d'Etat.

"On essaie d'intervenir en faisant attention à qui est là, qui est à l'origine des troubles à l'ordre public. Mais si des gens passent au milieu, ils peuvent se faire bousculer."

Le Service d'information et de communication de la police nationale

à franceinfo

"Quand quelqu'un s'enfuit, on n'a pas de raison de le rattraper et de le frapper. Sauf si on tend vers une pratique en cours dans les pays autoritaires, afin de dissuader de manifester. Mais c'est une technique d'intimidation qu'on ne devrait pas voir en France", regrette Sébastian Roché. L'auteur du livre La nation inachevée. La jeunesse face à l'école et la police (éd. Grasset) conclut : "Cette forme de police a des effets profonds de désunion nationale et pose des problèmes de cohésion nationale, pour les adultes, mais surtout pour les jeunes, car ces expériences forgent leurs croyances."

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