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Liberté de la presse : la situation se dégrade fortement en Chine et en Russie, selon Reporters sans frontières

Le classement annuel de la liberté de la presse, publié mardi par Reporters sans frontières, fait état d'une dégradation de la situation des journalistes sur le continent asiatique, notamment à cause de la pandémie de Covid-19 en Chine et la guerre menée par Moscou en Ukraine.

Article rédigé par franceinfo - Jean-Sébastien Soldaïni et Claude Guibal - édité par Clémentine Vergnaud
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Les locaux de la radio Écho de Moscou, le 3 mars 2022. (AFP)

La liberté de la presse se dégrade dans le monde : voilà le constat dressé par Reporters sans frontières mardi 3 mai, à l'occasion de la journée mondiale de la presse. Dans son rapport annuel, l'association fait état des difficultés des journalistes à travailler en fonction des différents pays du globe. Si la France gagne huit places pour se positionner au 26e rang, avec "une situation plutôt bonne" selon RSF, d'autres pays enregistrent une lourde chute. 

En effet, presque tout le continent asiatique est dans une situation qualifiée de "très grave" pour la liberté de la presse. Douze pays d'Asie font ainsi leur entrée dans ce cercle qui n'a jamais été aussi important, dont la Biélorussie ou encore l'Afghanistan. La Chine, 175e pays du classement sur 180, reste parmi les régimes les plus répressifs, le moins bien classé étant la Corée du Nord. La note de Pékin est notamment due à sa volonté de couper ses habitants des informations venant du reste du monde en pleine pandémie de Covid-19.

La Russie en chute libre à cause de la guerre en Ukraine

La Russie, très observée depuis le début de la guerre en Ukraine, se classe à la 155e place, soit cinq rangs de moins qu'en 2021. Sa note est en baisse, à 38,82 points contre 51.29 l'année précédente. Tous les voyants sont au rouge à Moscou, classée parmi les pays où la liberté de la presse est en grand danger. La situation est ancienne mais le conflit avec Kiev a fait prendre une ampleur vertigineuse à la situation. C'est notamment la propagande du régime et sa répression des voix dissidentes qui sont pointées du doigt. 

En effet, les journalistes y ont l'interdiction de prononcer le mot guerre, de publier des enquêtes indépendantes ou de communiquer sur les bilans humains et matériels du conflit. Le gouvernement a même adopté début mars un amendement prévoyant jusqu’à quinze ans de prison pour une personne publiant de "fausses informations à l’encontre de l’armée russe". Les médias indépendants ont fermé les uns après les autres, comme l'emblématique Novaïa Gazeta, le journal de Dmitri Mouratov.

Plus de 200 journalistes indépendants ont quitté le pays pour tenter d'informer depuis leur exil. Ainsi, Vladmir Romensky est immédiatement parti quand Dojd, le média indépendant pour lequel il travaillait, a dû suspendre ses programmes. "Nous nous retrouvons dans des conditions extrêmement contraintes parce que l'ancien monde est détruit. Il n’existe plus. À cause de la loi, notre chaîne ne peut plus exister comme avant." Le journaliste de 34 ans a pris la direction de la Géorgie et Tbilissi, d'où il tente désormais de faire entendre une autre voix de la Russie.

"Maintenant, nous faisons partie de la résistance. Nous ne devons pas seulement être ceux qui informent, mais également ceux qui rassemblent et qui s'opposent à cette guerre."

Vladimir Romensky, journaliste à Dojd

à franceinfo

Le moral est celui de l'exil, c'est-à-dire en dent de scies, et du combat jamais éteint. "Des milliers de personnes suivent nos diffusions. Il y a une demande. Nous avons quitté la Russie non seulement pour ne pas être emprisonnés, mais aussi pour pouvoir continuer à dire la vérité aux gens. Et c’est ce que nous faisons."

D'autres journalistes tentent, à leur façon, de continuer à informer sur place. Tatiana Felgengauer travaillait pour Écho de Moscou, l'un des plus importants médias indépendants du pays. Elle a fait le choix de rester et continue son travail sur Youtube.

"J’explique par exemple comment trouver des informations quand les médias sont bloqués. Les gens ont l’habitude que l’information leur arrive comme sur un plateau. Mais le temps est venu où il est bon que chacun apprenne comment trouver et vérifier l’information."

Tatiana Felgengauer, journaliste à Écho de Moscou

à franceinfo

Sans jamais prononcer le mot guerre ni donner de bilan militaire, elle flirte chaque jour avec une ligne rouge qui pourrait l'envoyer en prison. "Je viens aussi de publier une vidéo pour parler de la façon dont l’État contourne les sanctions." Le combat est difficile pour cette journaliste radio car 47% des Russes ne s’informent que grâce à la télévision. "Nous affrontons une machine de propagande d'une taille monstrueuse. Et évidemment, nous n’avons pas les mêmes moyens pour la combattre. Alors, à notre échelle, nous essayons de toucher quelques personnes. Nous faisons en sorte d’être toujours en mesure de leur dire la vérité, et leur transmettre quelque chose."

Un risque de "FOX-Newsisation" dans les démocraties

Au-delà des régimes autoritaires, Reporters sans frontières s'inquiète également d'une dérive qui gagne les pays les plus démocratiques : la "FOX-Newsisation des médias", un néologisme tiré du nom de la chaîne de télévision américaine. "La polarisation médiatique renforce et entretient les clivages internes aux sociétés", s'inquiète l'ONG dans son rapport. "Le regain des tensions sociales et politiques est accéléré par les réseaux sociaux et de nouveaux médias d'opinion, notamment en France."

Ce développement toujours plus important de ces médias d'opinion amplifie et banalise la désinformation, selon RSF. "C'est un danger funeste pour les démocraties car [cela] sape les bases de la concorde cibile et d'un débat public tolérant", juge Christophe Deloire, son secrétaire général. L'ONG appelle donc à un "New Deal" pour le journalisme et demande "un cadre légal adapté, avec notamment un système de protection des espaces informationnels démocratiques".

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