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Le porno de maman est-il fait pour vous ? Faites le test

Best-seller érotique de l'année, "Fifty Shades of Grey", le roman de l'anglaise E.L James sort en octobre dans sa traduction française.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
La romancière E.L. James, au Comic Con de San Diego (Californie), le 12 juillet 2012 avec le premier tome de sa trilogie à succès "Fifty Shades of Grey". (DENIS POROY / AP / SIPA)

"Je suis nue et enchaînée, bras et jambes écartés sur un grand lit à baldaquin. Se penchant sur moi, il fait glisser le bout de la cravache de mon front jusqu'à l'extrémité de mon nez, afin que je puisse sentir l'odeur du cuir, puis descend sur mes lèvres moites et écartées." Bienvenue dans la "chambre rouge" de Christian Grey. Depuis sa parution en mars, le roman Fifty Shades of Grey (Cinquante nuances de Grey, en français) de la Britannique E.L. James, excite des hordes de ménagères.

Qualifiée de "porno pour maman" par la presse anglo-saxonne, l'œuvre, qui raconte la romance sado-maso d'un jeune milliardaire avec une étudiante ingénue, sortira en France au mois d'octobre avant une adaptation au cinéma. Le best-seller de l'année va-t-il vous convaincre ? FTVi l'a lu.

Fifty Shades of Grey est fait pour vous si :

• … vous êtes abonné aux cartons de l'été

Depuis sa parution en avril, 31 millions d'exemplaires ont été vendus dans pas moins de 41 pays. A la louche, c'est comme si toute la population de Tokyo avait lu l'histoire d'Anastasia Steele, 21 ans, brunette tombée sous le charme du tout-puissant Christian Grey, magnat de l'agroalimentaire de 27 ans. Aux Etats-Unis, la barre des 20 millions d'exemplaires a été dépassée en quelques semaines, ridiculisant le succès de la trilogie Millenium (arrivée à ce stade en trois ans). Pour ce très bon coup littéraire, les éditions Vintage ont empoché 145 millions de dollars de recettes, raconte le Los Angeles Times (lien en anglais)

La trilogie domine depuis 19 semaines le classement du New York Times (lien en anglais), qui compile les ventes physiques et digitales. Logiquement, le tome I arrive en première position, suivi du tome II puis du tome III. Le coffret qui renferme la trilogie figure quant à lui en neuvième place, soit juste devant le dernier John Grisham et trois places devant l'épopée fantastique Game of Thrones. Son auteure, E.L. James, maman de deux enfants et jadis productrice à la télévision, a même intégré la liste des 100 personnes les plus influentes de l'année établie par le magazine Time (lien en anglais). Pas mal pour quelqu'un qui a commencé par raconter ses fantasmes sur un forum de fans de la saga Twilight.

• … vous aimez les scénarios cochons

Anastasia Steele est jolie, gauche et vierge. Christian Grey est milliardaire, beau gosse et dominant. Dans sa société comme dans son lit, c'est lui qui décide. Fascinés l'un par l'autre, "ces-êtres-que-tout-opppose" vont rapidement (enfin, à la page 113 quand même) s'engager dans une relation obsessionnelle, ponctuée de doutes et de rapports sexuels torrides. Passons sur les scènes de doutes. Les fans de Fifty Shades of Grey ne cachent pas leur goût pour le récit coquin des parties de jambes en l'air décrites à la première personne par Anastasia, "Ana" (avant le sexe), "Miss Steele" (pendant), voire "baby" (après). Va-t-elle accepter de devenir la chose de Christian ? [SPOILER ALERT] Réponse : oui mais non, bien sûr. 

• … vous êtes une ménagère au bord de la crise de nerfs

Pour l'auteure, le rapport dominant-dominée exigé par Christian n'est que l'illustration d'un fantasme. Celui de la femme moderne : "Aujourd'hui, c'est vous qui décidez dans votre vie professionnelle, à la maison, avec les enfants, c'est vous qui nourrissez votre famille, c'est à vous de tout gérer tout le temps, explique E.L. James, interrogée sur la chaîne américaine NBC. C'est bien de laisser quelqu'un d'autre prendre le contrôle."

Richissime, Christian couvre de cadeaux sa jeune pretty woman et la gratifie entre deux orgasmes d'une balade en hélico, d'un grand cru ou d'une coûteuse bricole (des livres anciens, un BlackBerry, un MacBook, une Audi, etc.). Echec du féminisme ou, au contraire, expression non réprimée du désir ? La polémique sur l'interprétation de la romance tirée par les cheveux (oui, tire-moi les cheveux !) fait rage.

En avril, le débat s'est invité en une de l'hebdomadaire Newsweek. Pour l'auteure de l'article controversé, Katie Roiphe, le succès du roman illustre "l'heureuse rencontre d'une transgression de façade et d'archétypes rassurants". Cette spécialiste du féminisme ajoute : "Pour un certain nombre de lecteurs, il présente un caractère glamour et semi-pornographique et procure le frisson de quelqu'un qui dépasse les limites, le tout dans le contexte rassurant d'une relation romantique traditionnelle." Une illusion de la transgression qui explique son caractère populaire. Ainsi, "lire Fifty Shades of Grey n'est pas plus rebelle que d'acheter des bottes noires ou une robe asymétrique chez Barney's [un grand magasin de luxe new-yorkais]."

• … vous n'êtes pas contre un peu de piment sous vos draps

Il n'empêche que "les sex-shops ont rapporté une augmentation de leur chiffre d'affaires et [que] les habitudes conjugales changent partout à travers le monde", rapporte le Times of India (lien en anglais). Ainsi, les témoignages de madames Tout-le-Monde d'humeur coquine abondent sur les forums. Elles confessent notamment leur excitation face à "un homme qui sait quoi faire sans qu'on ait besoin de le lui demander". Monsieur appréciera.

"[Le livre] me fait me tortiller sur ma chaise", raconte, gênée, une lectrice interrogée par NBC. Deena, mère au foyer dont le témoignage est rapporté par le site Buzzfeed, confie quant à elle avoir "sauté davantage sur [son] mari". Ainsi que sur son vibromasseur - "Mon vagin est endolori", précise-t-elle, citant Ana Steele. A l'occasion de la fête des mères, l'effet aphrodisiaque du pavé d'E.L. James a même inspiré l'émission américaine "Saturday Night Live".

• … vous n'êtes pas très regardant sur le style

Dans ce succès, le vrai scandale, c'est la forme. "Si j'étais un membre de la droite chrétienne (…), conclut Katie Roiphe dans Newsweek, ce qui me choquerait le plus dans le phénomène Fifty Shades of Grey (…), c'est que des millions de femmes, au demeurant intelligentes, tolèrent une telle prose." Tel un roman Harlequin écrit par un scénariste de Dora l'exploratrice, le roman alterne entre aberrations (Ana, les yeux bandés, note que Christian "fronce les sourcils" ou encore "rit, en dépit de sa profonde tristesse") et répétitions lourdingues ("Je rêve de l'embrasser. Je veux sentir ses lèvres contre les miennes." Il la rejoint dans la baignoire ? "Je prends un bain, nue, avec Christian Grey. Il est nu aussi." Sans déconner.)

Si les scènes érotiques flirtent avec le SM, la platitude du récit de la vie quotidienne effarante d'Ana Steele passe pour de la torture narrative. A vouloir recréer l'ordinaire, l'auteure tartine des pages de dialogues creux ("Tu as bu ta soupe ? - Oui, c'était délicieux") et d'étranges clichés. Ainsi, la colocataire d'Ana peut "porter son pyjama avec les petits lapins, qu'elle ne met que quand elle se fait larguer et quand elle est malade" (une humeur = un pyjama, c'est connu), le majordome n'est pas capable de prononcer le premier "a" de "madame" (comme tout le petit personnel) et Ana, en lutte avec un grave problème d'oreille interne, trébuche (deux fois !) pour atterrir dans les bras de Christian Grey, lui-même maître ès clichés. Sans parler du moment où Ana suce une asperge à table et mange sa première huître : "Tu n'as qu'à sucer. Tu te débrouilleras très bien."

Pour que le lecteur comprenne bien, E.L. James utilise de nombreux stratagèmes. Ainsi, son empotée d'héroïne sollicite toutes les quatre lignes sa "déesse intérieure", chargée de se faire le relais de ses émotions qui, retranscrites en italique, soulignent sa candeur ("Quelle idiote je fais !", "Mon dieu, j'ai dit ça à voix haute ?", etc.)  L'épistolaire, procédé haletant dans Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, devient banal échange de mails ("Tu fais quoi ?"). Christian, milliardaire envahissant soucieux de voler au secours de sa bien-aimée, ressemble davantage à Batman sous Viagra qu'au vicomte de Valmont. L'adaptation cinématographique ne devrait en être que plus amusante.

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