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Est-il la caution de gauche de CNews ? On a rencontré Clément Viktorovitch, habitué des débats polémiques de la chaîne

Ce spécialiste en rhétorique, qui participe depuis plusieurs mois aux talk-shows politiques de CNews, se fait de plus en plus remarquer face aux figures conservatrices de la chaîne.

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Clément Viktorovitch sur le plateau de "Punchline" sur CNews lors d'une émission diffusée le 18 octobre 2018. (C NEWS)

"Effectivement, on ne va pas aller sur le terrain des chiffres, vous les connaissez mieux que moi." Sur le plateau de "Punchline", sur CNews, jeudi 20 septembre, Charlotte d'Ornellas tente de se défaire de Clément Viktorovitch. La journaliste de Valeurs actuelles entend dénoncer ce soir-là les chiffres de l'"immigration massive" en France, avant de se faire vertement corriger par son acolyte. "On peut continuer avec cette fake news qui consiste à dire [que l'Hexagone accueille] 200 000 personnes par an, un million en cinq ans, c'est tout simplement faux !" lui assène Clément Viktorovitch après une longue démonstration, derrière ses petites lunettes rondes caractéristiques.

Le lendemain, l'universitaire poste l'échange sur son compte Twitter. Succès immédiat : la vidéo est vue près d'un million de fois, Les Inrocks et le HuffPost s'en font l'écho, et Charlotte D'Ornellas reconnaît "ne pas avoir été à la hauteur"


Inconnu il y a encore quelques mois, Clément Viktorovitch s'est fait un nom en intervenant d'abord dans l'émission "L'Heure des Pros" de Pascal Praud, un habitué des polémiques, puis depuis la rentrée auprès de Laurence Ferrari. A l'antenne, il détonne face aux piliers conservateurs des talk-shows de CNews, auquel il s'est fait pour spécialité d'apporter la contradiction. Une position qui lui vaut d'être qualifié de "bobo gaucho" par ses détracteurs sur les réseaux sociaux. Un chroniqueur de Télérama l'a même – ironiquement – surnommé "l'islamo-gauchiste de service" de la chaîne d'information. Mais même s'il paraît parfois un peu seul à défendre ces positions en plateau, Clément Viktorovitch refuse catégoriquement l'étiquette de "caution de gauche" de CNews.

"On voulait faire du Norman sur la politique"

Bien avant de croiser le fer sur les plateaux de télévision, Clément Viktorovitch s'est d'abord essayé à YouTube. "J'ai été l'un des premiers youtubeurs politiques", raconte-t-il à franceinfo. Avec Aequivox qu'il crée en 2011, le jeune homme, alors âgé de 28 ans, veut "proposer des outils aux citoyens pour analyser les discours" "On voulait faire du Norman ou du Cyprien pour parler de politique." A l'époque, il n'a encore la voix et les gestes assurés qu'il a acquis sur CNews.

"J'aimerais vous montrer pourquoi il me paraît essentiel de ne pas rester désarmé face aux discours dont nous sommes destinataires au quotidien", lance-t-il dans l'une des rares vidéos encore accessibles. Suivent ensuite huit longues minutes d'analyse de deux discours d'Arnaud Montebourg et de Nicolas Sarkozy, de la métaphore filée du premier, de l'anaphore du second. "Ce qu'il faut retenir, c'est que la marque des grands orateurs est d'avoir un pouvoir hypnotique", conclut Clément Viktorovitch.

De l'aveu même de l'intéressé, le résultat est peu concluant sur la forme. "J'ai retiré toutes ces vidéos il y a trois-quatre mois. C'est une forme que je n'ai jamais assumée, dit-il. Je ne me trouve pas particulièrement bon." 

Un professeur très apprécié

Mais le jeune homme a bien trouvé sa voie – les sciences politiques – après s'être longtemps cherché. Adolescent, il se rêve astrophysicien, puis journaliste et même enseignant-chercheur en histoire médiévale, discipline qu'il étudie à la Sorbonne, où il rédige en 2006 un mémoire sur le mariage et la sexualité des clercs à l'époque mérovingienne.

Depuis dix ans, Clément Viktorovitch dispense des cours de rhétorique et de négociation à Sciences Po. "Ma première passion", assure-t-il. C'est là qu'il a fait sa thèse : "Parler pour quoi faire ? : la délibération parlementaire à l'Assemblée nationale et au Sénat de 2008 à 2012". "Il était vraiment très autonome avec une écriture très claire. Le premier jet était le bon", se souvient sa directrice de thèse, Florence Haegel. Il est "très apprécié" de ses étudiants, assure Florence Danton, la directrice de l'Ecole de management et de l'innovation à Sciences Po.

Dans les évaluations, il y a des mots qui ressortent comme 'grand pédagogue', 'charismatique', 'attentif', 'bienveillant', 'passionné'.

Florence Danton

à franceinfo

Mais Clément Viktorovitch ressent le besoin de dépasser les seuls cercles universitaires pour toucher un public plus large. 

"Personne ne me dit quoi que ce soit à CNews"

Il fait sa première télé en 2014 sur Public Sénat dans une émission animée par Hélène Risser. Le thème : "Les nouveaux visages du FN". Comme à ses débuts sur YouTube, le ton est très académique. Clément Viktorovitch dissèque notamment "la rhétorique de Louis Aliot" faite de "projections dans l'avenir", de "métaphores simplificatrices" et de "formules euphémisantes". "Il était dans une démarche très universitaire, soutient la présentatrice de Public Sénat. C'était plus quelqu'un qui aimait l'analyse de la joute oratoire plutôt qu'un partisan de la joute oratoire pour lui-même."

Pour moi, il était tout sauf un clasheur, il n'était pas forcément très engagé.

Hélène Risser

à franceinfo

En 2016, il débarque sur i-Télé, recommandé par un journaliste avec qui il partage un ami commun. D'abord pour quelques rares interventions aux côtés d'Audrey Pulvar, puis chez Pascal Praud au moment de l'élection présidentielle. Après un conflit social dévastateur, la chaîne, reprise en main par Vincent Bolloré, devient CNews. "J'y suis complètement libre, personne ne me dit quoi que ce soit", affirme Clément Viktorovitch. D'abord cantonné à une séquence de "L'Heure des pros", il participe rapidement à l'intégralité de l'émission. "C'était un bon compagnon. Il est très réactif, brillant avec une capacité de synthèse rare. Il a beaucoup de qualités pour faire de la télévision", assure l'animateur, contacté par franceinfo. 

Clément est clair, précis, concis et pédago. Il donne de la teneur à ses propos.

Pascal Praud

à franceinfo

Le contradicteur des conservateurs

A l'antenne, il dit être "entièrement dans [son] cœur de métier, qui est de donner des clés de compréhension et de décryptage des discours politiques". On est pourtant loin de l'ambiance feutrée de Public Sénat. Au fur et à mesure des émissions, il acquiert de l'assurance et n'hésite pas à remettre à leur place ses interlocuteurs. Il prend, par exemple, à partie Ivan Rioufol, éditorialiste au Figaro, à propos de l'affaire Mennel, contredit l'ancienne journaliste de Charlie Hebdo Zineb El Rhazoui au sujet du voile ou s'attaque à Eugénie Bastié, du Figaro, sur la question de l'antisémitisme. Des séquences à succès sur les réseaux sociaux. "Il clive", se félicite la communication de CNews.

"Il joue de sa position d'universitaire, ce côté 'je suis professeur et je vais vous expliquer', remarque Charlotte d'Ornellas. Il a un ton très docte qui doit rajouter à l'exaspération qu'il provoque chez certains." Eugénie Bastié, par exemple, explique "ne souhaiter en aucun cas s'exprimer sur ce personnage". Même refus d'Yvan Rioufol ou de la directrice de Causeur, Elisabeth Levy. Face à ces figures de la droite conservatrice, Clément Viktorovitch confesse s'être parfois retrouvé dans "une position inconfortable". Mais il assure que ce n'est désormais plus le cas dans l'émission de Laurence Ferrari, dont les plateaux sont plus "équilibrés".

Issu d'une famille de classe moyenne

Sa "sensibilité" à lui, Clément Viktorovitch l'aborde d'abord par petites touches. Le choix du café où il nous donne rendez-vous par exemple : un établissement branché de la rue Marcadet, en plein cœur du 18e arrondissement de Paris, à proximité de son domicile. "J'habite entre La Chapelle et Porte de la Chapelle, précisément les fameux quartiers où, paraît-il, les femmes n'ont pas le droit de marcher dans la rue, où, paraît-il, les gens se font agresser tout le temps", dévoile-t-il, le sourire aux lèvres. Un tacle à peine voilé à certains de ses collègues de CNews qui pourfendent le multiculturalisme.

Lui a des origines multiples : un grand-père juif polonais et une grand-mère juive allemande du côté de son père, un grand-père catholique polonais et une grand-mère catholique française du côté de sa mère. Arrivé dans les années 1920 en France, fuyant l'antisémitisme en Pologne, son arrière-grand-père décide de "russiser" leur nom. Mais Clément Viktorovitch refuse de s'étendre davantage. "Ma vie publique n'a pas à rejaillir sur ma famille", coupe-t-il lorsqu'on l'interroge. Tout juste apprend-on qu'il a une sœur, que sa mère travaille dans l'enseignement et son père en entreprise. "Ils appartiennent à la classe moyenne", lâche-t-il.

"Je ne suis l'homme ni d'un parti ni d'un camp"

Est-il de gauche ? "Je ne me définis pas comme de gauche, je ne suis l'homme ni d'un parti, ni d'un camp", rétorque immédiatement Clément Viktorovitch. "Si vous regardez mes interventions, très souvent, je ne conteste pas la ligne politique des personnes mais leur argumentation", ajoute-t-il. En le poussant un peu, ce dernier reconnaît trois "convictions". Il dit souhaiter "une société dans laquelle le pouvoir serait davantage réparti entre les citoyens", où il y ait "davantage de répartition des richesses entre les citoyens" et où "l'urgence climatique soit au cœur de toutes les décisions".

Clément Viktorovitch, à la rédaction de CNews, le 18 octobre 2018. (MARGAUX DUGUET / FRANCEINFO)

Pour Charlotte d'Ornellas, il est au contraire très clair qu'avec une heure et demie d'émission par jour, "Clément a pris sa part éditoriale même s'il la conteste". "Personne ne peut être parfaitement objectif dans ces débats, il arrive avec un regard et des idées. D'ailleurs, le fait qu'il ait autant de fans et de contradicteurs prouve qu'il a un positionnement", suggère la journaliste de Valeurs actuelles.

Pour moi, Clément, c'est la gauche radicale. Il est plus proche des 'insoumis' que du Parti socialiste.

Charlotte d'Ornellas

à franceinfo

Laurence Ferrari juge que "20%" de ses interventions dans son émission relèvent de "la prise de position", "et oui, il a une sensibilité plus à gauche qu'à droite". Politologue désormais engagé à La France insoumise, Thomas Guénolé considère, lui, que son "ami Clément" a repris son flambeau. "Il est dans la même situation que moi pendant le quinquennat Hollande, où j'avais une double casquette, à la fois analyste mais aussi avec une ligne de gauche relativement dissonante dans le débat télévisuel", explique-t-il. Pas prêt à s'engager dans la même voie, Clément Viktorovitch concède seulement que ses "convictions" sont "aujourd'hui plutôt minoritaires" sur les plateaux télé.

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