"Les Champs-Élysées perdent un peu de leur âme" : comment la célèbre avenue parisienne se transforme en paradis des marques de luxe

Article rédigé par Sophie Auvigne
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4 min
Une vue générale de l'avenue des Champs Elysées, le 2 décembre 2023. (MIGUEL MEDINA / AFP)
Si les enseignes culturelles disparaissent les unes après les autres sur les Champs-Élysées, les grands groupes de luxe investissent comme jamais. L'avenue représente, pour eux, une vitrine devenue incontournable. Tous les commerces ne peuvent cependant pas suivre, en raison de la spéculation immobilière.

Nappes à carreaux et paniers en osier, le pique-nique sur les Champs-Élysées, dimanche 26 mai, se veut populaire et gratuit. Il est organisé par les commerçants de l'avenue, qui sont réunis en comité. Quelque 4 000 invités ont été tirés au sort. L'objectif est d'attirer les Parisiens, car Joe Dassin ne chanterait certainement plus aujourd'hui "ll y a tout ce que vous voulez aux Champs-Élysées". Dans cette avenue désormais dédiée au commerce, voire au commerce de grand luxe, la culture est en train de disparaître. 

On se souvient de la fin du Virgin Megastore, il y a dix ans. Pour la Fnac ce sera fin 2024, et côté cinémas, là, c'est tout simplement l'hémorragie. La dernière séance pour l'UGC Normandie est ainsi prévue le 13 juin. Avant cette disparition actée, il y a eu celle de l'UGC George V, et celle du Gaumont Marignan. "On est face à l'ancien cinéma Gaumont, explique Ronan Guevel, il habite tout près des Champs depuis 20 ans et préside une association de quartier, des travaux sont en cours et on ne sait pas si ce sera un nouveau magasin. À côté, Lacoste a remplacé, il y a quelques années un autre cinéma. Quand j'étais adolescent, on aimait, avec mes amis, sortir aux Champs-Élysées. On aimait venir au cinéma. On devait en compter sept ou huit sur l'avenue."

"Les commerces à destination des Parisiens sont remplacés par des enseignes qui ont des magasins un peu partout dans le monde. Les Champs-Élysées perdent un peu de leur âme."

Ronan Guevel

à franceinfo

L'offensive des marques de luxe

Les grandes marques de luxe investissent comme jamais sur les Champs. C'est l'endroit où il faut être. Une vitrine devenue incontournable, selon Antoine Grignon, responsable du département investissement chez Knight Frank, spécialiste de l'immobilier commercial. "Aujourd'hui on peut parler de réenchantement, de réinvention ou de renaissance des Champs-Élysées, assure-t-il. "On a vu une accélération ces derniers mois avec notamment le groupe LVMH, le groupe Kering, le groupe Richemont." 

"Toutes ces enseignes de luxe internationales veulent être sur les Champs-Élysées. Entre un cinquième et un quart des emplacements sur l'avenue sont consacrés au luxe. Ces enseignes étaient plutôt locataires de leurs emplacements, mais aujourd'hui elles veulent être propriétaires."

Antoine Grignon, responsable du département investissement chez Knight Frank

à franceinfo

Ces grands groupes ont les moyens et achètent des immeubles, probablement parmi les plus grandes transactions du marché, reprend Antoine Grignon. LVMH a pu, par exemple, racheter le 144-150 des Champs-Élysées, pour, à ce que dit le marché, à peu près un milliard d'euros." 

À côté des grands noms du luxe, les marques de sport se bousculent, elles aussi, pour avoir une place sur l'avenue. Adidas, Salomon, JD sports, Lululemon, Foot Locker sont sans doute stimulées à l'approche des Jeux olympiques. Cet engouement ne calme pas les prix des loyers commerciaux. Le prix d'une location est au bas mot de 15 000 euros le mètre carré annuel. Comparé à une rue parisienne classique, c'est, en moyenne, 50 fois plus élevé et cela va encore grimper.

"Traditionnellement, on avait une grande différence entre le trottoir pair et le trottoir impair", reprend Antoine Grignon. "Le trottoir pair, c'était le mieux orienté soleil. Donc c'était le plus plébiscité de la part des enseignes. Le phénomène est un peu en train de s'inverser. Les gens peuvent chercher à avoir un peu plus d'ombre. Un réajustement peut s'opérer."

Le prix des loyers s'envole 

Soleil ou pas soleil, les marques veulent être présentes sur les Champs-Élysées parce que c'est rentable. Une boutique voit passer chaque mois devant sa porte 1,3 million de visiteurs, avec une hausse de 15% depuis un an. Les prix s'envolent et certains ne peuvent pas suivre. Le cinéma UGC Normandie a bien demandé à son propriétaire de baisser son loyer, qu'on dit monstrueux : en vain. La famille royale du Qatar a dit non. Elle possède au moins une dizaine d'immeubles sur les Champs. 

Ces tarifs sont dénoncés par la maire de Paris, Anne Hidalgo, et par son adjoint en charge du commerce Nicolas Bonnet-Oulaldj. "La spéculation immobilière reste le problème des Champs-Élysées, insiste l'élu. Le prix au mètre carré est trop cher. Il va falloir que l'État nous aide sur la régulation et sur l'encadrement des loyers. Les commerçants sont les premiers à demander cet encadrement des loyers. C'est la loi qui régule ça." Des prix hors normes alors qu'il n'y a quasiment pas de "dent creuse" sur les Champs-Élysées : à peine 4% de vacance quand la moyenne à Paris est trois fois plus élevée. 

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