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Pourquoi est-ce si difficile de compter les exilés fiscaux ?

Alors qu'Europe 1 annonce 5 000 départs depuis mai 2012, nombre de spécialistes jugent ce chiffre farfelu. Voici pourquoi l'exil fiscal est si compliqué à estimer. 

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
La Direction générale des Finances publiques estime qu'environ 800 Français s'exilent fiscalement chaque année.  (PAUL J. RICHARDS / AFP)

Gérard Depardieu, Bernard Arnault et combien de Français anonymes ? Qui a fait ses valises depuis l'élection de François Hollande pour alléger sa contribution à l'Etat ? Qui a réellement entamé son exil fiscal ? Selon Europe 1, vendredi 21 décembre, ils seraient 5 000 depuis mai, soit cinq fois plus qu'auparavant. "C'est le nombre sur lequel s'accordent les avocats fiscalistes", assure la radio, qui en a interviewé quelques-uns. 

"Il faut se méfier des chiffres comme ça, impressionnants et sortis du chapeau", prévient d'emblée le cabinet de Jérôme Cahuzac, le ministre du Budget interrogé par francetv info. a ne veut rien dire", ajoute ce conseiller de Bercy qui se "défend de nier la réalité". "Je ne vois pas d'où ça sort", confie de son côté Gilles Carrez, le président UMP de la commission des Finances à l'Assemblée nationale. Il a lui-même fait une demande au ministère pour obtenir ces chiffres. Pourquoi est-ce si compliqué de compter les exilés fiscaux ?   

Parce que personne ne le clame sur les toits

"Il faut vraiment s’appeler Depardieu pour le dire ouvertement", confirme Gilles Carrez. Pour autant, contacté par francetv info, Eric Bocquet, sénateur communiste du Nord et auteur d'un rapport sur le coût de l'évasion fiscale internationale, s'interroge : "Il s'agit de personnes physiques que l'ont peut suivre, c'est traçable". Et de citer des chiffres précis comme celui donné par Les Echosdébut décembre, qui précisent que 43 familles françaises figurent parmi les 300 plus grandes fortunes de Suisse.  

"Il est quasiment impossible de faire la distinction entre ce qui relève de l’évasion fiscale et ce qui relève de départs pour raisons économiques, c’est-à-dire le cadre qui a trouvé un meilleur boulot ailleurs", rétorque de son côté le cabinet de Jérôme Cahuzac. 

Parce que les chiffres des fiscalistes "ne sont pas fiables" 

Même si les cabinets d'avocats fiscalistes ou les notaires sont nombreux à confirmer un intérêt renforcé de leurs clients pour les problématiques d'exil fiscal, difficile d'en tirer un chiffre précis. D'ailleurs, interrogé par francetv info, Nicolas Duboille, fiscaliste du cabinet Granrut et l'une des sources citées par Europe 1, confirme que les chiffres ne sont pas définitifs : "Effectivement, chez nous, les dossiers ont été multipliés par cinq à peu près, mais chez d'autres, je ne peux pas dire". Et de glisser que le phénomène serait peut-être même bien plus important.  

"Des observations que nous pouvons faire, il y a effectivement une multiplication des départs de l'ordre de cinq fois plus, cela ferait 5 000 départs entre le deuxième semestre 2012 et le premier semestre 2013", explique de son côté Jean-Philippe Delsol, avocat fiscaliste et administrateur de l'Institut de recherches économiques et sociales. "Mais ce n'est pas possible d'être précis, je ne peux pas donner de chiffres fiables, ça n'existe pas", assène-t-il.

"C'est du déclaratif", rappelle le conseiller du ministère du Budget, qui souligne qu'il est difficile de savoir combien de personnes se sont renseignées et combien ont réellement sauté le pas. "Il faudrait renforcer ce genre d'enquête en regardant par exemple s'il y a un boum du côté de l'immobilier en Belgique", expliquet-t-il à francetv info. "Il s'agit de rumeurs", tacle de son côté le député UMP Gilles Carrez, qui presse le gouvernement de "se pencher précisément sur le phénomène".  

Parce que les estimations ne sont que partielles

En attendant, les seuls chiffres disponibles et publiés par la Direction générale des Finances publiques, et reprises par le syndicat Solidaires Finances publiques, se fondent sur les statistiques de l'ISF. La différence entre le nombre de contribuables redevables de cet impôt sur la fortune d'une année sur l'autre due à des départs à l'étranger – quel que soit le motif –  permet d'avoir une estimation de l'évasion fiscale : 384 départs en 2001, 666 en 2005, 809 en 2009 et 717 en 2010. "Mais là, on additionne les choux et les carottes, ceux qui partent pour des raisons fiscales et les autres", rappelle Jean-Philippe Delsol.

"Et on passe complètement à côté de nombreux chefs d'entreprises très fortunés qui ne sont pas dans les statistiques car exonérés d'ISF", avertit Nicolas Duboille, avocat fiscaliste. "Ce n'est pas sérieux, il faut sortir des anecdotes individuelles. On ne regarde qu'une partie du problème", s'agace de son côté l'économiste proche du PS Thomas Piketty, interrogé par francetv info. Il suggère notamment que soient aussi regardés les retours. Tout en rappelant que la France figure chaque année en tête, pour l'Europe, du Global Wealth Report, cette enquête du Crédit Suisse (lien en anglais) qui localise les plus grandes fortunes dans le monde. 

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