Hébergements d'urgence, quand l'Etat ne tient pas sa promesse
"C'était ces deux fenêtres là, au premier étage", montre l'adolescente. Pendant presque 4 ans, Mariam, ses deux petites soeurs et ses parents originaires de Géorgie, ont été hébergés dans la chambre d'une auberge d’Amiens. Le 19 juillet dernier, cette famille qui réclame l’asile politique en France, a été expulsée du logement d’urgence que l’Etat leur avait attribué. Depuis, la famille vit à la rue et Mariam est entrée en 6e. "Je dors mal et je dois me réveiller assez tôt pour aller au collège, raconte Mariam. J'ai peur pour mon avenir, j'ai peur de rester à la rue comme ça pendant des années." A Amiens, ces derniers mois, l’Etat a expulsé près d’une quarantaine de familles, souvent des mères seules, parfois avec de très jeunes enfants. Des associations tentent de leur venir en aide mais elles sont inquiètes. D’autant que leur région n’est pas la seule à être concernée.
2000 à 3000 expulsions cet été, selon les associations
Dans les Alpes-Maritimes, 488 expulsions ont eu lieu cet été. Pour la Haute-Garonne, le chiffre s'élève à 344. Au total, selon la fondation Abbé Pierre, l’Etat aurait remis à la rue 2000 à 3000 personnes ces derniers mois. Alors, comment expliquer cette vague d’expulsions ? Sous couvert d’anonymat, un responsable d'une structure gérant les hébergements d’urgence - un SIAO (ndlr : Service intégré de l'accueil et de l'orientation) - évoque un problème financier: "à la suite de à la demande du ministre, on a hébergé toutes les familles avec enfants dans mon département. On a dépensé environ un an de budget en six mois.” Il poursuit: “au printemps, quand on a sollicité une nouvelle enveloppe financière, l’Etat nous a dit stop." Face aux manques de fonds, les services de l’Etat ont dû réagir en urgence. Comme le montrent des courriers de préfets que nous nous sommes procurés. Dans une lettre, l'un réclame à ses services une “baisse de 15 %” du nombre de places en hébergement d’urgence. Un autre donne une nouvelle consigne: “il vous est demandé de ne plus mettre à l’abri de personnes isolées ou de couples sans enfant.” Certains représentants de l’Etat fixent même des critères de priorité pour rester dans les logements. Une femme enceinte de 7 mois est prioritaire, elle appartient au niveau 1. Vient ensuite le niveau 2, une famille avec un enfant de moins d’un an. Puis, une famille avec un enfant de moins de 3 ans, c'est le niveau 3. "On a l'impression que toutes les digues morales ont sauté, dénonce Manuel Domergue de la fondation Abbé Pierre. On est sur des lignes rouges éthiques et mettre des critères selon l'âge de l'enfant, selon le nombre de mois de grossesse des femmes enceintes, c'est inentendable."
"On ne peut pas continuer à augmenter le nombre de places en hébergement d'urgence."
Patrice Vergriete, ministre délégué chargé du logement
L’Etat a-t-il renoncé à sa promesse de sortir les familles et les enfants de la rue ? Nous sommes allés poser la question à l’actuel ministre délégué chargé du logement. Patrice Vergriete ne nie pas le problème financier. Il assure que de nouvelles places en hébergement d’urgence pourraient être débloquées mais dans une certaine limite. "Aujourd'hui, on fait le constat que le nombre de places est insuffisant, donc on va réajuster. Mais cela n'enlève pas le problème de fond. On a des arrivées dans l'hébergement d'urgence qu'il va falloir juguler, on ne peut pas continuer à augmenter le nombre de places", prévient le ministre. Le ministère du logement rappelle que le nombre de places en hébergement d’urgence est passé de 120 000 en 2017 à plus de 200 000 aujourd’hui.
Parmi nos sources (liste non-exhaustive):
Réseau éducation sans frontières - département de la Somme
Fondation Abbé Pierre
Ministère délégué chargé du logement
Fédération des acteurs de la solidarité
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.