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"Panama Papers" : pourquoi les Etats ont-ils tant de mal à lutter contre les paradis fiscaux ?

Pour Adrien Roux, chercheur spécialisé dans les questions de corruption internationale, la lutte des Etats contre les paradis fiscaux est pour le moment dans une impasse.

Article rédigé par franceinfo - Pierre Lecornu
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Des silhouettes devant un mur de billets (illustration). (KACPER PEMPEL / REUTERS)

Une liste noire des paradis fiscaux, commune à tous les pays de l’Union européenne, et ce dans les six mois à venir : c’est le souhait de Pierre Moscovici, le commissaire européen à l'économie et à la fiscalité. Il s’agit pour le moment de la principale réponse de l’Europe à l’affaire des "Panama Papers". Mais établir une énième liste suffira-t-il à régler le problème ?

Adrien Roux est membre de l’association Transparency International, et travaille comme doctorant sur les questions de corruption internationale à l’université d’Aix-Marseille. Il explique à francetv info que la lutte contre les paradis fiscaux se heurte largement aux intérêts mêmes des Etats.

Francetv info : Pierre Moscovici veut une liste noire européenne des paradis fiscaux dans les six mois. Cela va-t-il dans le bon sens ? 

Adrien Roux : Cela va dans le bon sens, mais ce n’est pas suffisant. Le problème de ces listes, c’est qu’elles manquent d’objectivité et d’impact. Sur quels critères sont-elles établies ? On ne le sait pas bien. Si un des critères pour figurer ou non sur ces listes, c’est d’avoir signé une convention d’échange d’informations, alors vous allez avoir autant de listes que de pays concernés. C'est le cas pour l'UE, où, selon les pays membres, on a entre zéro et 82 paradis fiscaux répertoriés.

Le problème, c'est qu'on a, y compris dans l’Union européenne, des pays qui sont directement concernés par la question des paradis fiscaux. Chaque grande puissance a, en quelque sorte aménagé sa zone noire pour permettre toute une série d’opérations opaques. L’Allemagne a longtemps fermé les yeux sur le Liechtenstein, la France sur Monaco, l’Espagne sur Gibraltar, l’Italie sur San Marin , la Grande-Bretagne sur la City, Jersey ou les Îles Caïman et, en dehors, de l’Europe, les Etats-Unis avec le Delaware ou le Nevada.

On peut déplorer une absence de volonté politique. Faire des listes se limite souventà une portée symbolique, alors que la lutte contre les paradis fiscaux se heurte aux intérêts nationaux. Chacun protège sa zone. A cela s’ajoute le problème de la souveraineté : les pays européens peinent à se mettre d’accord. On n’a toujours pas de procureur européen, par exemple, ni de police européenne. En somme, on a des moyens d’une faiblesse à peine croyable pour lutter contre ces formes de criminalité économique et financière.

Toutes les tentatives pour lutter contre le système offshore sont-elles donc vouées à l’échec ?

Non, mais il faut aller au-delà des listes et envisager des mesures adéquates de rétorsion. A quoi ça sert de montrer un pays du doigt s’il n’y a pas de punition derrière ? L’arme atomique si on veut lutter contre la criminalité financière, ce serait d'interdire les transactions financières avec ces pays. Il suffirait que le G20 s’entende pour coordonner un blocage des transactions. Je pense que, même au niveau de l’Union européenne, ce serait suffisant.

Prenez la Suisse. On l’a montrée du doigt pendant longtemps sans que rien ne bouge. Tout a changé lorsque les Etats-Unis ont adopté la législation FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act). C’est une loi qui oblige depuis 2014 les banques ayant accepté un accord avec le gouvernement des Etats-Unis à communiquer les comptes détenus par tous les citoyens américains, sous peine de lourdes sanctions. Les contrevenants s'exposent au retrait de leur licence bancaire aux Etats-Unis, ce qui compliquerait voire empêcherait leurs transactions en dollars. De cette manière, les Etats-Unis ont fait sauter la législation sur le secret fiscal suisse.

Si on sait ce qui marche dans la lutte contre les paradis fiscaux, pourquoi rien ne bouge ?

Si un pays décide unilatéralement d’interdire ces montages et transactions offshore, il se tire une balle dans le pied, parce que les autres vont bénéficier du transfert de richesses. L’argent offshore, c’est de l’argent qui travaille, notamment en Bourse. Et toutes les économies s’emploient à faciliter ce type d’investissements, surtout depuis la crise financière de 2008.

On est engagé dans une compétition fiscale mondiale, pour attirer banques et multinationales qui viennent faire leur marché fiscal aux conditions les plus favorables. Mais il y a un paradoxe, parce que, dans le même temps, les Etats se rendent compte que cette course est ingagnable. On ne peut pas être plus compétitif que 0%. Du coup, il y a une prise de conscience du manque à gagner pour les finances publiques et cela incite à lutter contre l’évasion et la fraude fiscale.

C'est le seul avantage à lutter contre les paradis fiscaux ?

Non, parce que les buts des clients des paradis fiscaux vont au-delà de la simple évasion fiscale. On a tendance à oublier la criminalité, qui profite assez largement de ce système. Il existe toute une série de circuits qui permettent de faire circuler de l’argent en toute opacité, et, dans le même temps, un renforcement de la traque antiterroriste. C’est comme si une partie du système traquait une autre partie, comme si nous étions engagés dans un combat schyzophrénique où nous tolérons d'un côté ce que nous traquons de l'autre. Le système offshore qui permet aux criminels d’opérer en secret, c’est le même système qui est utilisé et parfois protégé par les banques, les multinationales et certaines grandes puissances.

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