: Vidéo Quand les DRH craquent !
Il y a quelques semaines, Charlotte a quitté son poste de DRH dans une startup parisienne. Lors des recrutements, elle ne supportait plus les pressions de son patron pour, dit-elle, réduire toujours plus les coûts: "Le premier poste qui était recherché, c'était les étudiants, se souvient-elle. C'est privilégié parce qu'un stagiaire ou un alternant coûtent peu cher".
Des stagiaires pour faire le travail de salariés… et pour les candidats plus expérimentés, des promesses de CDI pas toujours honorées: "Les candidats me contactaient en voyant une offre pour un CDI, je communiquais avec eux sur le principe du CDI en leur demandant leurs prétentions salariales. Dès que je présentais les candidatures, la première question du PDG c'était 'en freelance c'est possible?'. Ca m'a dégouté du métier et aujourd'hui je me pose beaucoup de questions sur ce poste là", explique Charlotte qui se laisse du temps pour savoir si elle souhaite rester dans cette branche.
Licenciements économiques déguisés
Une perte de sens, des consignes que certains n’acceptent plus. En désaccord avec sa hiérarchie, un DRH nous a confié l’enregistrement d’une conversation avec sa patronne, présidente d’un géant mondial du conseil. Sans détour, elle lui demande de licencier une centaine de personnes… les moins à l’aise avec les outils numériques. sans passer par un plan social; trop cher et trop contraignant à ses yeux:
(Dirigeante) "Pourquoi j'ai pas voulu faire un plan social? Parce que je voulais pas avoir tous mes jeunes digitaux qui vont partir et me garder tous les vieux de la vieille. Je choisis les gens que je fais partir. Donc les plus... entre guillemets les moins...
(DRH) "Performants"
(Dirigeante) "Voilà, les moins performants ou ceux qui correspondent le moins bien à ce qu'on veut faire de la boîte qui est maintenant très automatisée, très plateforme, très tech."
La dirigeante va même jusqu’à suggérer au DRH d’inventer des motifs de licenciement:
(Dirigeante) "Pourquoi on fait pas de l'inaptitude sur une personne qui est à deux ans de la retraite? Parce qu'elle est pas du tout digitale... On pourrait passer par la médecine du travail... Enfin, j'en sais rien, moi je pense qu'il faut être créatif!"
(DRH) "On va attaquer une population qui n'a pas envie de partir..."
(Dirigeante) " Et d'avoir des dossiers un peu blindé dès lors que le salarié il est un peu... limite sur ce qu'il délivre. Monter des dossiers...on a six mois devant nous là".
Le DRH, un simple exécutant ?
Jusqu’aux années 70, ce poste s’appelait encore “directeur du personnel”… mais avec la libéralisation de l’économie… il devient “responsable des ressources humaines”. Un changement de nom qui aurait peu à peu transformé la fonction… Aujourd'hui 82% des DRH se déclarent au bord de l’épuisement (Source: Baromètre Payfit, éditions Tissot, 2022)
Dans des PME, des grands groupes…certains nous confient leur malaise lorsqu’ils sont témoins de discrimination…
Laurence, DRH dans l’automobile: "C'est vraiment contre mes valeurs. Ce n'est pas que du racisme contre des noirs ou des arabes. C'est aussi contre des gros, des femmes qui ont des enfants. Il y a des femmes qui n'ont pas de promotion ou d'évolution financière parce qu'elles s'occupent de leurs enfants".
Malaise aussi de certains face à des arrangements avec le droit du travail.
Anne, DRH dans l’agroalimentaire: "Toutes les feuilles dépassaient 12 heures par jour. Donc forcément l'inspection elle était venue contrôler tout ça. Et si on avait donné ça, l'entreprise aurait eu une très grosse pénalité, c'est du travail au noir. On nous a demandé de falsifier les documents. C'est contre mes valeurs."
Une culture anglo-saxonne des ressources humaines
Rares sont ceux qui osent s'exprimer publiquement sur les coulisses de ce métier. Didier Bille est DRH depuis 20 ans. Lui raconte ce qui serait devenu, dit-il, un secteur à bout de souffle, face aux dérives de certaines entreprises: "Aujourd'hui dans les ressources humaines, la culture est anglo-saxonne, les méthodes sont anglo-saxonnes: pragmatiques et efficaces. Est-ce qu'on n'est pas en train de détruire le lien qui lie les salariés à leurs entreprises ? Moi aujourd'hui je dis: "oui, on détruit le lien social", affirme Didier Bille, DRH et auteur de "DRH, la machine à broyer" (éditions du Cherche-midi).
Face à un ras le bol latent chez les DRH… les représentants de la profession disent prendre au sérieux le phénomène. "En effet on peut se sentir seul dans ce métier, reconnaît Audrey Richard, présidente de l'Association nationale des DRH (ANDRH). Nous avons proposé et elle existe depuis quelques années une ligne d'écoute psychologique pour que les DRH puissent échanger en toute confidentialité ".
L’association a mis en place des groupes d’échange et de parole partout en France pour ses 5600 membres DRH… De quoi peut-être lutter contre la crise des vocations.
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