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Quelles seraient les conséquences d'un retour à 39 heures de travail ?

Après la polémique sur les propos de Jean-Marc Ayrault, francetv info a posé la question à des économistes et sociologues spécialistes du marché du travail.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Les propos de Jean-Marc Ayrault dans Le Parisien ont relancé, mardi 30 octobre, le débat sur les 35 heures. (BERTRAND GUAY / AFP)

POLITIQUE - C'est un échange qui a fait beaucoup de bruit. Dans un entretien publié mardi 30 octobre par Le Parisien, un lecteur interroge Jean-Marc Ayrault sur la durée légale du temps de travail. "Si demain, on revenait à 39 heures payées 39, des gens seraient peut-être ravis ?", lance le lecteur. "Développez ce point de vue, mais vous verrez qu’il fera débat. Mais pourquoi pas ? Il n’y a pas de sujet tabou", lui répond le Premier ministre.

L'opposition, qui souhaite revenir sur les 35 heures, n'a pas tardé à saisir la balle au bond, même si le Premier ministre est revenu sur ses propos. "Je découvre aujourd'hui que Jean-Marc Ayrault reprend le programme que nous avons mis en avant à l'UMP sur les 35 heures", se félicite le secrétaire général du parti, Jean-François Copé. "Je regrette que l'éclair de lucidité du Premier ministre ait été aussi éphémère", ironise François Fillon. Cette polémique souligne l'importance du sujet sur la scène politique française. Quelles seraient les conséquences d'un retour à "39 heures, payées 39", de travail hebdomadaire ? Francetv info a posé la question à des spécialistes du temps de travail.

Un pari risqué pour les salariés

La première conséquence d'un retour à 39 heures pour les salariés français serait la diminution des heures supplémentaires. Selon les chiffres de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), 38% des salariés en effectuent (9% font plus de 39h, 29% travaillent épisodiquement plus de 35h). "Pour ces salariés, le retour à 39h voudrait dire une perte de pouvoir d'achat de l'ordre de 2,5%", explique à francetv info Henri Sterdyniak, économiste à l'OFCE.

A l'inverse, pour les 62% restants, une durée légale du temps de travail à "39 heures, payées 39" se traduirait par une augmentation du pouvoir d'achat. "Vu individuellement, si vous faites partie des chanceux qui gardent leur emploi, alors oui, vous allez travailler plus et gagner plus", reconnaît Eric Heyer, économiste spécialiste du marché du travail à l'OFCE. Dans certains secteurs, où le passage aux 35h s'est traduit par une accélération des cadences et une réduction des temps de pause, ce retour améliorerait également les conditions de travail.

Mais le pari est risqué. "Si vous augmentez la durée légale du temps de travail dans la conjoncture actuelle, vous allez à court terme détériorer la situation de l'emploi", poursuit Eric Heyer, qui rappelle que la France est aujourd'hui en période de faible croissance et que les entreprises indiquent être en sureffectif. "Soit vous faites partie des chanceux et votre pouvoir d'achat augmente, soit vous faites partie des malchanceux et vous allez perdre votre emploi", résume-t-il. 

Les conséquences sociales peuvent être également néfastes. "Les 35 heures ont été complètement intégrées dans le mode de vie des Français. D'après plusieurs enquêtes, pour ceux qui ont la chance d'être à 35h, la satisfaction de ce gain de temps libre est très grande", rappelle Jean-Yves Boulin, sociologue du travail à l'université Paris-Dauphine. "Ce serait une régression totale, un cas unique dans l'histoire de la durée légale du temps de travail", poursuit-il. 

Moins de charges patronales, mais moins de souplesse

Mais un retour à 39h hebdomadaires mettrait aussi fin à la majoration de 4 heures supplémentaires par semaine et par salarié. "Au lieu de payer 125%, les entreprises ne paieraient plus que 100%", explique Eric Heyer. Mais pour l'économiste, ce gain n'est pas significatif.

A l'inverse, les sociétés risqueraient de perdre la souplesse gagnée avec les 35 heures instaurées en 2000 par la ministre de l'Emploi d'alors, Martine Aubry. "Les lois Aubry ont mis en place l'annualisation du temps de travail réclamée par les entreprises depuis dix ans", souligne Eric Heyer. Ce passage d'une durée hebdomadaire à une durée annuelle leur permet d'ajuster leur activité au cours d'une année. "C'est très satisfaisant pour elles, parce qu'elles peuvent avoir des salariés qui travaillent 35 heures hebdomadaires la majeure partie de l'année, et plus à d'autres périodes", abonde Henri Sterdyniak.

Sous les gouvernements de droite de 2002 à 2012, les multiples augmentations du contingent d'heures supplémentaires et la création d'un compte épargne-temps pour les salariés ont accru la flexibilité du dispositif pour les entreprises. "Il y a des tas de mécanismes de flexibilité légaux qui permettent de contourner le problème du temps de travail", explique Henri Sterdyniak.

Quid de l'organisation patronale Medef, qui estime malgré tout, par la voix de sa présidente Laurence Parisot, qu'il y a un "problème" avec les 35 heures ? "Les entreprises veulent le beurre et l'argent du beurre ; elles veulent garder les avantages et perdre l'inconvénient, c'est-à-dire payer des heures supplémentaires", ironise Eric Heyer. "Le Medef a une position très claire : supprimer la durée légale du temps de travail", affirme Jean-Yves Boulin.

Des conséquences "catastrophiques" pour le chômage

Dans la conjoncture économique actuelle, le retour à 39 heures serait "assez catastrophique pour l'emploi", estime Henri Sterdyniak, qui juge que la mesure n'inciterait pas les entreprises à embaucher. Or, "nous sommes dans une situation de très fort chômage, il faut maintenir des seniors à l’emploi et embaucher des jeunes, poursuit l'économiste. Un retour à 39 heures, ce n'est pas une question qui se pose vraiment, ce n'est pas la priorité".

"Le chômage augmente, même sans cette mesure-là", constate Eric Heyer. "En période de basse conjoncture, il faut baisser le temps de travail", assure l'économiste. Il observe qu'en Allemagne, via des outils comme le chômage partiel, le temps de travail a baissé de 3,2% pour maintenir l'emploi pendant la crise. Il rappelle également que les lois Aubry ont permis, d'après une étude de l'Insee datée de juin 2005, de créer 350 000 emplois.

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