France Télécom devenue un contre-exemple dans les écoles de management
L’entreprise française, dont l’ex-PDG vient d’être mis en examen pour harcèlement moral, est devenue un cas d’école pour les futurs dirigeants. Mais les cours sur les risques psychosociaux sont encore marginaux.
Trente-cinq suicides entre 2008 et 2009. C’est le sombre bilan de France Télécom, qui a valu à son ex-PDG, Didier Lombard, et son numéro deux, Louis-Pierre Wenes, d’être mis examen, mercredi 4 et jeudi 5 juillet, pour "harcèlement moral". Pour la première fois en France, la politique de gestion des ressources humaines d'une entreprise est susceptible de constituer une infraction pénale en elle-même.
De quoi faire frémir les futurs dirigeants, formés en partie dans les écoles de management françaises. Sont-ils sensibilisés à ces questions depuis l’affaire France Télécom ? "L’enseignement n’est pas déconnecté de la réalité", confirme le responsable des études d’une école parisienne, qui cite en exemple le cas d'un master de finances à Dauphine suspendu pendant la crise financière en 2009. "Pour France Télécom, on n’en est pas encore au cas d’école car c’est un peu tôt, estime-t-il. Mais les professeurs de ressources humaines vont sûrement l’aborder à la rentrée."
France Télécom, l’opposé de Google, L’Oréal ou Virgin
A l’école de management de Bordeaux, cela fait déjà quelques années que France Télécom est devenu "l’exemple à ne pas suivre". Thibaud, qui a été diplômé en 2010, a suivi en dernière année des cours de gestion du stress dans lesquels les erreurs de management du groupe français ont été évoquées à plusieurs reprises : "Une hiérarchie plus ou moins trouble avec des consignes contradictoires, des tâches irréalisables dans le délai imparti" et, plus grave, "du harcèlement moral…", se souvient Thibaud, aujourd’hui consultant en finance d’entreprise.
Même chose à la prestigieuse Ecole supérieure de commerce de Paris (ESCP). "Dans les cours de ressources humaines ou de 'gestion du changement', France Télécom est souvent cité parce qu’il incarne les entreprises publiques dont la privatisation a été très mal vécue par les salariés", souligne Sarah, en dernière année. A l’inverse, Google, L’Oréal ou Virgin font figure de modèles. Selon cette étudiante, le bien-être au travail et son impact sur les résultats d’un groupe est de plus en plus abordé dans le programme, car il est au centre des préoccupations des entreprises elles-mêmes.
Deux écoles pilotes depuis 2010
Si cette prise en compte de "l’affaire France Télécom" et plus globalement des risques psychosociaux reste à géométrie variable selon les écoles, elle a été formalisée dans deux d’entre elles : l’école de management de Grenoble et Arts et métiers ParisTech, qui forme des ingénieurs, ont été désignées écoles pilotes en 2010, dans le cadre du plan Santé au travail.
"En 1998, à Grenoble, le cours 'stress au travail' était encore optionnel et j’avais 25 étudiants", se rappelle l’enseignant Dominique Steiler. Dès la deuxième année, 250 étudiants s’inscrivent et la direction de l’école décide de développer ce type de cours. Aujourd’hui, même les professeurs sont sensibilisés à cette problématique, pour donner le bon exemple. Et une multitude de modules autour de "la dimension humaine au travail" sont proposés aux élèves.
"Pour l’instant, c’est encore trop périphérique"
Aux Arts et métiers, un programme a également été mis en place dans les huit campus français, notamment celui d’Angers (Maine-et-Loire). Dans les cours de "communication interpersonnelle" et de "management et dynamique de groupe" qu’elle dispense, la psychosociologue Isabelle Frostin s’appuie beaucoup sur l’exemple France Télécom pour expliquer les notions d'éthique et de harcèlement moral. "Jusqu’à présent, les étudiants nous disaient ‘oui mais il n’y a pas de sanction’", rapporte-t-elle. Avec la mise en examen de Didier Lombard, "ce n’est plus un cas d’école, ça devient une réalité".
Cette sensibilisation des futurs managers va-t-elle, à son tour, faire école ? Les deux établissements pilotes rendront leur rapport au ministère en 2014, en vue d’une généralisation de ces pratiques. "Pour l’instant, c’est encore trop périphérique, c’est du saupoudrage, la cerise sur le gâteau", déplore Dominique Steiler. Mais "j’ai bon espoir", ose-t-il, souhaitant que les relations humaines au travail fassent désormais partie des fondements des enseignements des futurs dirigeants, au même titre que la finance, la gestion ou le marketing.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.