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Comment encadrer les salaires des patrons du privé ?

La porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, a annoncé un projet de loi "avant l'été" pour encadrer leurs rémunérations, mais ce ne sera pas évident.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le gouvernement prépare une loi destinée à encadrer les rémunérations des patrons du secteur privé, plus compliquée à mettre en œuvre que dans le public. (MICHAELA BEGSTEIGER / GETTY IMAGES)

Après les patrons du public, les dirigeants du privé. La porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, a annoncé, jeudi 21 mars, un projet de loi visant à encadrer les rémunérations des patrons du secteur privé, prévu "avant l'été". Le gouvernement sait qu'il s'attaque à des revenus aux structures complexes, difficiles à contrôler. En France et ailleurs, il y a déjà eu des tentatives, plus ou moins fructueuses. Francetv info revient sur les différents leviers disponibles.

Plafonner les salaires dans les entreprises aidées

Najat Vallaud-Belkacem assure qu'"on ne peut pas faire dans le privé ce qu'on fait dans le public", où les salaires des patrons sont limités, depuis l'été 2012. Pourtant, les Etats-Unis l'ont fait. En février 2009, Barack Obama décide de limiter à 500 000 dollars (384 000 euros) la rémunération globale des patrons et cadres dirigeants des entreprises privées qui ont reçu des aides fédérales. La mesure vise surtout les banques, comme Citigroup, et les constructeurs automobiles, explique le New York Times (en anglais).

La limite. Dès que l'Etat se retire du capital, les salaires et primes peuvent repartir à la hausse. Le Monde soulève une autre question : "La limite pourrait-elle inciter les établissements à tout faire pour ne pas réclamer l'aide publique ?" et ainsi retarder les effets des plans de sauvetages.

Donner les clés du coffre aux actionnaires

Le code de gouvernance des entreprises, établi par l'Association française des entreprises privées (Afep) et le Medef, auquel se conforment la majorité d'entre elles, prévoit que les salaires fixes et variables soient décidés par le seul conseil d'administration. La Commission européenne propose de "rendre le pouvoir aux actionnaires", selon Michel Barnier, commissaire européen au Marché intérieur, en leur permettant de se prononcer sur ces rémunérations. C'est déjà le cas au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, où les assemblées générales possèdent un droit de vote consultatif, rappelle le magazine Alternatives économiques.

La limite. Un avis consultatif n'est, par définition, pas contraignant. Confier aux actionnaires le soin de fixer les rémunérations des dirigeants n'offre pas une garantie totale contre les abus. Toutefois, quand une assemblée générale "vote contre, il est rarissime que les dirigeants au conseil passent outre", assure Bruno Fourage, analyste chez Mercer, à l'AFP.

Miser sur l'auto-régulation

Dans le code de gouvernement d'entreprise, adopté en 2008 par le Medef et l'Afep, qui représentent l’essentiel des groupes du CAC 40, il est précisé que "la rémunération des dirigeants mandataires sociaux de l’entreprise doit être mesurée, équilibrée, équitable et renforcer la solidarité et la motivation à l’intérieur de l’entreprise." Une mesure et un équilibre laissés à l'appréciation des conseils d'administration.

La limite. Ce code de déontologie n'a pas empêché les salaires de grimper en 2010 et 2011, en pleine crise, comme le montre le Nouvel Observateur dans une infographie. En 2012, Maurice Lévy (Publicis) a perçu 19,6 millions d'euros, Carlos Ghosn (Renault Nissan) 13,3 millions, Bernard Charlès (Dassault Systèmes) 10,9 millions, Bernard Arnault (LVMH) 10,8 millions, et Jean-Paul Agon (L'Oréal), 7,7 millions d'euros.

Taxer les très hauts revenus

Les rémunérations des grands patrons sont multiples : salaire, primes, stock-options, retraites-chapeaux, parachutes dorés… Les plafonner s'avère donc complexe. D'où le recours à la fiscalité : si on ne peut les limiter, on peut les taxer. François Hollande l'a promis dans son programme de campagne, mais sa taxe à 75% sur les hauts revenus ne passe pas. Le gouvernement envisagerait à présent une taxe à 66,66%.

La limite. A partir d'un certain seuil, évalué autour de 68%, selon les calculs de La Tribune, le taux d'imposition est jugé confiscatoire et donc politiquement risqué. Les opposants au projet du gouvernement martèlent le risque de l'exil fiscal, et de la fuite des cerveaux.

Supprimer les parachutes dorés

C'était une promesse de Nicolas Sarkozy pendant sa première campagne en 2007, enterrée pendant son mandat et ressortie de son chapeau en 2012. Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, veut "s'inspirer de la Suisse", qui depuis début mars, interdit les parachutes dorés, ces indemnités de départ qui peuvent atteindre plusieurs millions d'euros. Au passage, notre voisin interdit aussi les "golden hello", ou primes d'arrivées, que les entreprises pourraient être tentées d'offrir en compensation.

La limite. "Si une entreprise veut verser 25 millions à un haut dirigeant, elle trouvera toujours le moyen de le faire", pronostique Rolf Soiron, président des conseils d'administration du cimentier Holcim et de la société de biotechnologie Lonza, cité par Reuters. Il suffit pour cela de donner un nom ou un motif différent à une prime.

Limiter le cumul des mandats

Aujourd'hui, un dirigeant d'entreprise peut cumuler jusqu'à cinq mandats au sein des conseils d'administration des sociétés cotées en Bourse. Il n'existe pas de limite pour les sociétés non cotées. De cette façon, les dirigeants additionnent les milliers d'euros versés chaque année sur leurs comptes en banque, car dans une société du CAC 40, un administrateur touche en moyenne 73 000 euros par an, précise Challenges. Ainsi, en 2010, 39 des 40 entreprises du CAC comptaient au moins un administrateur en commun, démontrait Alternatives économiques. La "palme des cumulards" revenait à l'époque à Michel Pébereau, présent dans six conseils d'administration : Total, AXA, BNP Paribas, Saint-Gobain, Lafarge et EADS.

La limite. "Si ce n'est toi, c'est donc ton frère", écrivait La Fontaine dans Le Loup et l'agneau. Même phénomène dans les conseils d'administration. Loïc Dessaint, directeur associé du cabinet de conseil Proxinvest, interrogé par le magazine économique, le constate : "Les gens envoient maintenant leur femme ou leurs enfants à leur place pour moins éveiller les soupçons."

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