Menacée de suppression, comment se défend l'ENA ?
La suppression de l'Ecole nationale d'administration devait être annoncée par le président de la République, lundi 15 avril.
"Il faut donner un grand coup de pied dans la fourmilière". L'estocade vient de Nathalie Loiseau, tête de liste LREM aux européennes mais surtout ancienne directrice de l'ENA. L'ex-ministre a réagi, jeudi 18 avril sur Radio Classique, au projet de suppression de l'ENA. C'est l'une des propositions contenues dans le texte de l'allocution que devait prononcer Emmanuel Macron et qui a fuité mardi 16 avril dans l'après-midi.
La défiance envers les élites, exprimée par le mouvement des "gilets jaunes", est donc ressortie des propositions au grand débat. Si l'Elysée n'a pas confirmé la mesure envisagée, la direction de l'école n'a pas tardé à réagir à cette annonce. Depuis près de 75 ans, l'ENA est régulièrement accusée par ses détracteurs de contribuer à la reproduction des élites et de ne pas représenter l'ensemble de la société.
Petits-enfants d'ouvriers et d'agriculteurs
Une accusation qui a rapidement fait réagir la direction de l'école, qui s'est fendue d'un tweet mercredi matin, détaillant les profils de ses étudiants.
Dans la promotion actuelle de l’#ENA 26% d’élèves boursiers de l’enseignement sup.14% d’élèves petits-enfants d’ouvrier 9% petits-enfants d’agriculteur 12% petits-enfants d’artisan ou commerçant 12% petits-enfants d’employé 56% d’élèves ont fait leurs études secondaires en région
— ENA France (@ENA_fr) 17 avril 2019
Ce tweet a provoqué des moqueries de la part de plusieurs internautes, qui soulignent le fait que l'Ecole doive remonter à la génération des grands-parents pour montrer la diversité des profils de ses élèves. Plusieurs anciens élèves ont depuis partagé publiquement leur parcours, comme Mohammed Bouabdallah, l'actuel directeur de l'Institut français d'Egypte : "Le problème n’est pas l'ENA, qui m’a tant donné mais la fracture territoriale et sociale", a tweeté l'ancien élève de l'école de Strasbourg, mercredi en début d'après-midi.
Ancien élève @ENA_fr. Fils d’immigrés algériens, l’un employé de bureau, l’autre nounou et femme de ménage. Je témoignais en 2013 sur @franceinfo que le problème n’est pas @ENA_fr qui m’a tant donné mais la fracture territoriale et sociale. #ENAproudhttps://t.co/Yb6romOwMH
— Mohamed Bouabdallah (@MBouabdallahEGY) 17 avril 2019
Le mouvement des "gilets jaunes", qui entre dans sa vingt-troisième semaine de mobilisation, dénonce fréquemment la formation et la déconnexion des élites françaises. La suppression de l'ENA est apparue dans les contributions au grand débat, lancé pour répondre aux revendications des manifestants.
Ne pas "prendre pour tout le monde"
Pour Daniel Keller, président de l'association des anciens élèves de l'ENA, l'école de Strasbourg n'est pas la seule responsable de la reproduction en vase clos des élites. "L'ENA ne peut pas porter sur ses épaules le fardeau de toutes les inégalités sociales, qui commencent à l'école maternelle", tonne-t-il sur France Inter. L'école "ne doit pas être le bouc émissaire de la crise sociale et politique que la France connaît actuellement", affirme-t-il en référence au mouvement des "gilets jaunes".
Le président de l'association des énarques déplore que son école prenne "pour tout le monde", c'est-à-dire pour les autres grandes écoles également régulièrement accusées de reproduire des élites déconnectées. Il fait notamment référence à Sciences Po, dont proviennent 68% des élèves de la promotion 2018 de l'ENA.
"Une nouvelle phase"
La réaction est ensuite venue en interne, dans les locaux de la rue Sainte-Marguerite à Strasbourg. Selon les informations du Figaro, le directeur de l'ENA, Patrick Gérard, s'est adressé mercredi après-midi à ses élèves, inquiets de la suppression de leur école. Alors que les annonces comprises dans le discours du président avaient commencé à fuiter, il a pris la parole devant une centaine d'élèves : "Une nouvelle phase s'ouvre pour la formation et l'organisation de la fonction publique". Puis le responsable a assuré que ses élèves "ont la vocation de l’intérêt général" en prenant un exemple récent : "Dernièrement, nous avons organisé des hackathons (des équipes développent un projet, en général informatique, NDLR) sur les files d’attente dans les administrations ou les déserts médicaux. Avoir le souci des usagers, supprimer des normes inutiles : nous l’enseignons en permanence ici."
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