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"Quand quelqu'un n'est pas bien, on fait tout pour l'aider" : la vie après Goodyear

Deux ans et demi après la fermeture de l'usine Goodyear à Amiens, les anciens salariés peinent à retrouver un quotidien normal. 

Article rédigé par franceinfo - Licia Meysenq
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Publié Mis à jour
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Mickael Wamen, ancien employé de l'usine Goodyear et figure de la lutte syndicale. Il a repris une formation en webdesign. (Thomas Samson / AFP)

"Travailler chez Goodyear, c’était un honneur. Avec les anciens employés on forme une grande famille", explique Eric Monvoisin à franceinfo. Il fabriquait des pneus de tracteur dans l’usine amiénoise. Deux ans après la fermeture définitive des portes de la manufacture, les salariés tentent de faire durer la solidarité : "On essaie de garder contact par téléphone, sur Facebook. Quand on sait que quelqu’un est pas bien psychologiquement ou financièrement, on fait tout pour l'aider."

La saga Goodyear n’est pas terminée. Les souvenirs du conflit, après sept ans de lutte pour maintenir l’usine ouverte jusqu'en janvier 2014, sont encore vifs. Le motif des licenciements, toujours contesté. Huit des 1 143 anciens salariés passent devant la cour d’appel d’Amiens ce mercredi 19 octobre. Le 12 janvier, ils avaient été condamnés à 9 mois de prison ferme pour séquestration de cadres. Franceinfo vous explique ce que ceux qui s’appellaient "les Goodyears" sont devenus.

"Une grande partie de mon entourage est au chômage"

Evelyne Becker, syndicaliste CGT, est formelle : "Seule une centaine de personnes ont trouvé un emploi en CDI." Des chiffres contestés par la préfecture de la Somme, qui indique que 135 personnes sont en CDI et 172 autres ont signé un CDD de plus de 6 mois. Et 94 ont créé leur entreprise, dont deux tiers d'auto-entrepreneurs.

"Une grande partie de mon entourage est au chômage", constate Régis*, "la Picardie est une zone sinistrée." Le taux de chômage à Amiens, là où était installée l'usine, est de 11,9 % pour le deuxième trimestre de 2016. C'est légèrement plus que la moyenne nationale qui est de 9,9 %.

L’ouvrier licencié est inscrit à Pôle emploi depuis six mois. "J’ai fait deux missions d’interim dans le secteur de la construction mais c'est tout."  Dans la région, les emplois industriels se raréfient. Les usines NLMK et Bigard ont mis la clé sous la porte cette année.

Qui voudrait embaucher une personne de cinquante ans, abîmée par des années de travail difficile ?

Régis*, ancien Goodyear

Des récits sur des employés déprimés à cause du chômage, les anciens de Goodyear en ont à la pelle. “Depuis la liquidation, 12 personnes sont décédées. Des suicides principalement”, explique Mickael Wamen, syndicaliste CGT.  

Il y a cet ouvrier modèle, qui n’avait jamais touché une bouteille de sa vie, devenu alcoolique. Celui qui refuse de quitter son appartement, accablé par la honte. "Deux personnes se retrouvent déjà à faire la manche", s'inquiète Evelyne Becker. "Pour l’instant tout le monde est encore en période d’indemnisation mais les anciens salariés arrivent en fin de droits."

Les promesses de reclassement, "du vent"

En 2009 un millier d'employés de l'usine Goodyear manifestent devant les locaux de l'entreprise contre le projet de fermeture.  (PATRICK KOVARIK / AFP)

Ces indemnités ont été négociées par les syndicats. Elles sont comprises entre16 et 27 mois de salaire, selon Mickael Wamen. Des postes dans les autres entreprises du groupe Goodyear ont été proposés aux salariés.

"C’était du vent. Seule une ou deux personnes ont été reclassées", s’indigne Evelyne Becker : "La plupart des postes n’existaient même pas. On a demandé à un ouvrier non qualifié de devenir cadre supérieur." Pour Mickael, seul les employés haut placés, qui ont œuvré pour la mise en place du plan social, ont eu droit à une véritable nouvelle affectation. "On m’a proposé un emploi en Roumanie, un autre en Pologne", se souvient avec amertume Eric Monvoisin.

Renouer avec la vie active

Ce dernier a retrouvé du travail il y a un an. Il officie désormais comme concierge et agent de sécurité. Changement de trajectoire radical : "Quand j’ai postulé chez Goodyear, il était spécifié qu’il fallait faire au moins 1 m 80 et 80 kilos pour convenir au poste, tant il était physique." En même temps que son licenciement, il a dû gérer son divorce, et il est tombé malade.

J’ai eu des gros problèmes de dos à cause du boulot, 18 ans d’efforts ça laisse des traces. Il a fallu m’opérer.

Eric Monvoisin, ex-Goodyear

Un de ses anciens collègues a aussi renoué avec la vie active. Stéphane Vilcot avait 26 ans d’ancienneté au compteur : "Un an après mon licenciement, j’ai passé un week-end entier à envoyer des CV partout en France. Deux jours après, on me proposait un CDI."

Le hic ? Il a dû déménager en Isère. "Je reviens en Picardie dès que je peux. Toute ma famille et mes amis sont là-bas." Devenu chauffeur routier, l’ancien ouvrier polyvalent préférait son quotidien à l’usine de pneumatiques : "J’avais un salaire décent et de bons horaires."

"On a trop mauvaise réputation"

Mickael Wamen, lors de son procès en février 2016. Il a été condamné à 9 mois de prison ferme avec sept autres collègues. Le motif ? Séquestration de cadre.  (MICHAEL BUNEL / NURPHOTO)

Son visage s’est affiché sur tous les écrans de télévision français en 2014 : Mickael Wamen a été la figure de proue de la lutte contre la fermeture de l’usine. Il fait aussi partie des huit employés condamnés à une peine de prison ferme.

"En janvier 2014, j’ai dû annoncer aux salariés qu’ils devaient quitter l’établissement, car on venait de trouver un accord pour mettre fin au conflit. Il m’a fallu quatre mois pour m’en remettre. J’ai bénéficié d’une aide psychologique", confie-t-il. Malgré cela, il n’a jamais abandonné la lutte.

Cela l’a quelquefois desservi : "Mon nom est partout dans les médias. On peut lire des choses comme 'Sept personnes, dont Mickael Wamen, ont été mise en examen' dans les journaux locaux. On m’a expliqué que c’était parce que mon nom était vendeur, sauf que c’est compliqué pour moi de trouver du travail avec ça.”

"Le souci c’est que les employeurs de la région ne veulent pas embaucher de Goodyear, on a trop mauvaise réputation", s’indigne Evelyne Becker. "Le président de la communauté d’agglomération l'a même dit publiquement."

Bataille au prud'hommes

Mickael Wamen, lui, a décidé de changer de secteur et de région. Il a démarré en août une formation de webdesigner. il espère que sa condamnation sera bientôt un lointain souvenir. "Je pensais avoir une amende ou un rappel à l’ordre : les gens que nous avions soi-disant retenus en otage avaient retiré leur plainte. J’ai dû appeler mes enfants pour leur annoncer, ça a été dur."

Le lendemain du verdict, il met une pétition en ligne – "l’appel des Goodyear" et récolte 100 000 signatures en trois jours "J'ai fait un tour de France, rencontré beaucoup de soutiens." A l'aube du procès en appel, il a encore envie de se battre, mais de manière différente.

"J'ai été très occupé pendant ces deux ans. Mais je pense que le procès sera la dernière fois où nous nous réunirons en tant que Goodyear. C'est un épisode douloureux de notre vie."

Une autre bataille attend 800 anciens salariés de Goodyear, qui ont une action en cours au prud'hommes. Ils contestent le motif social du licenciement. L'audience est fixée avant la fin de l'année.

*Le prénom a été modifié

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