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"La disparition d'un ministère de l'Enfance est une catastrophe"

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Article rédigé par franceinfo, Brut.
France Télévisions

Lyes Louffok est membre du Conseil National de la Protection de l’Enfance. Il demande le rétablissement du ministère de l’Enfance, supprimé par le nouveau gouvernement. Il a expliqué pourquoi à Brut.

Lyes Louffok a adressé une lettre à Emmanuel Macron après la suppression du ministère de l’Enfance par le nouveau gouvernement. La voici :

"Monsieur le président de la République, ailleurs et ici, les malheureux sont légion. Vous pourriez penser, à l'instar de ceux qui disent sans honte, 'on ne peut pas accueillir toute la misère du monde', 'je n'ai pas le pouvoir de soulager toutes les misères de France.' Et je pourrais vous pardonner. 

Mais je pourrais aussi vous faire remarquer qu'il est des misères-mères, des misères qui en engendrent d'autres, qui méritent en conséquence d'attirer une attention particulière. Le malheur des enfants n'est pas pire en soi que celui des vieux ou celui des femmes. Il est pire en soi, parce qu'il compromet l'avenir de tous, prépare une société malade, infectée par mille maux. On dit qu'un pays qui maltraite ses vieux condamne son avenir mais qu'en est-il alors d'un pays qui maltraite ses enfants ? Ce n'est pas son passé, déjà mort, qu'il met en péril, mais son âme. 

Ce ministère était indispensable

Je suis très surpris et en colère, car l'enfant est un sujet majeur de notre société. La disparition d'un ministère de l'Enfance est une catastrophe. La protection de l'enfance a toujours été l'angle mort de la politique. On en parle rarement dans les campagnes électorales ou dans l'hémicycle. C'est comme si cela n'était pas une revendication politique, les violences contre les enfants étant relayées à la sphère privée. 

La 5e République n'a vu défiler que des secrétaires d'Etat à l'Enfance. Sous le quinquennat de François Hollande, les associations, les travailleurs sociaux, les collectivités territoriales se sont battus pour obtenir, pour la première fois, un ministère des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes. Nous avions réussi à faire comprendre que les violences envers les femmes et les enfants avaient la même source, le patriarcat et la vulnérabilité. 

Ce ministère était indispensable. Il définissait la ligne politique nationale et les grandes orientations pour lutter contre les violences faites aux enfants. Laurence Rossignol, la ministre, avait même déclaré que l'enfance était une compétence régalienne de l'Etat. Visiblement, Monsieur le Président, vous n'avez pas la même définition des attributions régaliennes. 

Deux enfants décèdent tous les jours sous les coups

Dans un courrier que les associations ont reçu le 21 avril dernier, vous vous êtes engagé et avez déclaré, que "la lutte contre les violences devait être poursuivie sans relâche". Alors qu'aujourd'hui, nous n'avons pas même un secrétariat d'Etat.  

Les chiffres parlent pourtant d'eux-mêmes. En France, deux enfants décèdent tous les jours sous les coups, 31 000 sont sans domicile fixe, 324 560 sont placés, et près de 40% des sans domicile fixe de 18 à 24 ans sont des enfants placés. 140 000 enfants sont exposés à des violences conjugales. 86,8% des maltraitances ont lieu dans la sphère familiale et 45% des Français suspectent au moins un cas de maltraitance dans leur environnement immédiat. Vous qui avez appris à manier les chiffres, les contrôler, savez surement à quel point cela sont désastreux. 

Monsieur le Président, nous sommes dans le flou. Ce ministère, rétrogradé en secrétariat d'Etat, est devenu mercredi celui de l'Egalité entre les Femmes et les Hommes. La rubrique "enfance" de son site Internet a déjà disparu. Les publications, rapports, communiqués ont été effacés. C'est symbolique, mais grave. 

La France, pendant longtemps mauvaise élève

Les conséquences sont multiples. Pendant deux ans, un travail extraordinaire de concertation a été entrepris entre les présidents de conseils départementaux pour harmoniser leurs pratiques et les dispositifs de protection au niveau national. Qui va faire ce travail aujourd'hui? C'est aussi un signal international fort de la France. Le Comité International des Droits de l'Enfant de l'ONU nous avait félicités après la mise en place de ce ministère de l'Enfance alors que nous avons été pendant longtemps mauvais élève. 

La suppression de ce ministère, dont les milieux réactionnaires de droite se félicitent déjà, laisse le champ libre à tous les extrémismes, à ceux qui estiment que depuis cinq ans les familles et les enfants ont été attaqués dans leurs "valeurs". Un premier plan de lutte contre les violence faites aux enfants a été lancé cette année. Il doit durer trois ans. Et que se passera-t-il après? Qui le mettra en oeuvre?  

Un problème majeur de santé publique

L'exposition précoce à la violence a été reconnue par la communauté scientifique internationale et l'Organisation Mondiale de la Santé comme un problème majeur de santé publique, étant la principale cause de mortalité précoce et de morbidité à l'âge adulte. Elle est également reconnue comme une usine à fabriquer des inégalités, de la précarité, des handicaps et de nouvelles violences. 

Que faire? Simplement, agir. En ne laissant pas la disparition du Ministère de l'Enfance et en ne le laissant pas se vider de ses mesures essentielles, mais, à l'inverse, en saisissant l'occasion d'un beau combat pour la gauche et la défense de nos valeurs républicaines, la liberté, l'égalité, la fraternité.  

Le temps nous est compté. Ne le gâchons pas avec de fausses lois, effets d'annonce inutiles, voire toxiques, sur le plan social, et non viables sur le plan économique. Il est possible ici, en restituant la place du Ministère, d'être intelligents en étant plus justes. Je vous en conjure, Monsieur le Président, n'abandonnez pas les enfants. De France et d'ailleurs." 

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