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Paris assigne Airbnb en justice : "Je me refuse à l'idée que les pouvoirs publics soient impuissants face à ce mastodonte"

Ian Brossat, adjoint à la mairie de Paris, explique pourquoi la ville assigne à nouveau en justice la plateforme de location touristique.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Ian Brossat, adjoint (PCF) à la Maire de Paris chargé du logement, de l'habitat durable et de l'hébergement d'urgence, invité de franceinfo le 20 novembre 2017. (JEAN-CHRISTOPHE BOURDILLAT / FRANCE-INFO)

Le rôle d'Airbnb "doit être de faire le ménage parmi ses annonces et de retirer ses annonces illégales", a déclaré dimanche 10 février sur franceinfo Ian Brossat, adjoint à la mairie de Paris, alors que la capitale assigne en justice la plateforme de location en ligne. En cause, 1 000 logements sans numéros d'enregistrements, ce qui est pourtant obligatoire et pourrait coûter 12,5 millions d'euros d'amende à Airbnb.

"Est-ce qu'on accepte qu'une multinationale américaine puisse s'asseoir sur nos législations ?" s'interroge Ian Brossat, qui est aussi tête de liste des communistes pour les élections européennes. Il aimerait agir à échelle plus large avec des collègues d'autres grandes villes comme Barcelone.

franceinfo : La mairie de Paris est-elle partie à la chasse aux annonces illégales ?

Ian Brossat : Cela fait maintenant plusieurs années que nous avons cherché à réguler ce phénomène. En prendre les aspects positifs, comme des propriétaires qui louent leur logement de manière occasionnelle. Mais éviter l'ensemble des effets pervers induits par le boom de ces locations touristiques. Aujourd'hui, dans un certain nombre de quartiers, nous sommes confrontés à des gens qui louent leur logement toute l'année sur des plateformes. On n'est plus dans une espèce d'artisanat, on est dans de l'industrie lourde. Nous avons depuis quelques temps responsabilisé les loueurs. C’est-à-dire qu'une personne qui loue son logement plus de 120 jours par an n'a pas le droit de le faire, et est susceptible d'avoir des sanctions. Le problème c'est que jusqu'à présent on a responsabilisé les propriétaires, mais on ne responsabilisait pas la plateforme parce que la loi ne nous permettait pas de le faire.

La loi Logement de 2018, dite loi Elan, ne le permet-elle pas ?

Désormais la loi Elan nous permet de responsabiliser ces plateformes, et notamment de responsabiliser Airbnb avec une idée toute simple : Airbnb touche de l'argent sur ces locations illégales. Et donc cela suppose aussi qu'Airbnb ait une part de responsabilité dans cette affaire. Airbnb ne peut pas dire que c'est simplement la responsabilité du loueur : le rôle de la plateforme ça doit être de faire le ménage parmi ses annonces et de retirer ses annonces illégales.

Ce ménage, vous avez commencé à le faire avec des agents qui épluchent les annonces. Vous avez trouvé un millier d'annonces illégales, qu'ont-elles d'illégales ?

Elles sont illégales parce qu'elles n'ont pas de numéro d'enregistrement. Depuis le 1er décembre 2017, lorsque vous voulez louer votre logement sur Airbnb, vous devez obtenir de la ville de Paris un numéro, ce qui nous permet a posteriori d'effectuer un certain nombre de contrôles et de vérifier si ces logements correspondent bien aux normes que nous avons fixées, notamment le fait de ne pas louer plus de 120 jours par an. Or, Airbnb continue à faire figurer massivement des annonces qui n'ont pas ce fameux numéro d'enregistrement. Nous avons déjà demandé à plusieurs reprises de manière amiable à Airbnb de retirer ses annonces illégales. Systématiquement la plateforme nous a répondu qu'il n'en était pas question, que cela relevait simplement de la responsabilité du loueur. Il n'y a aucune espèce d'ambigüité, la loi Elan est extrêmement claire sur ce sujet : quand une annonce illégale figure sur une plateforme, cela relève aussi de la responsabilité de la plateforme.

D'où l'action en justice ?

D'où l'action en justice. Au fond c'est une question assez simple qui nous est posée : est-ce qu'on accepte que cette grosse multinationale américaine puisse s'asseoir complètement sur nos législations locales et nationales ? Moi je me refuse à l'idée que les pouvoirs publics soient impuissants face à un mastodonte comme Airbnb. C'est un peu le combat de David contre Goliath, mais je suis convaincu que si nous voulons maintenir l'identité de nos villes, si nous voulons encore avoir des habitants dans nos villes et pas uniquement des touristes, il nous faut mettre en place un peu de régulation, et cela suppose de responsabiliser cette plateforme. Il y a 50 000 à 60 000 logements loués sur Airbnb à Paris (…) et on a aujourd'hui une très grosse proportion de logements qui en fait ont été achetés par des multi-propriétaires qui en ont fait un business à l'année.

Cela déstabilise l'économie et l'immobilier à Paris ?

Cela déstabilise tout. Cela déstabilise le caractère d'un certain nombre de quartiers, qui ne sont plus des quartiers habités mais des quartiers visités. C'est vraiment la question de l'identité de nos villes et nos quartiers qui est posée. Veut-on que Paris devienne Venise ? Une vitrine pour touristes ? Ou considère-t-on que notre ville a encore vocation à être habitée par des gens qui travaillent, qui ont des mômes dans les écoles, et donc des quartiers qui restent faits pour la population ?

Vous êtes tête de liste communiste pour les élections européennes. En avez-vous parlé à vos collègues de Barcelone, Rome ou Londres qui sont peut-être confrontés au même problème ?

Bien sûr, parce que c'est un problème mondial. J'en ai parlé à plusieurs reprises à mes collègues de Barcelone, confrontés à la même difficulté, et nous avons décidé de construire une alliance des villes, d'en appeler régulièrement à la commission européenne : nous avons décidé de plaider ensemble la cause des villes parce que nous serons plus forts si nous sommes unis. (…) Airbnb fait matin, midi et soir du lobbying auprès de la Commission européenne pour empêcher les villes de mettre en place des outils de régulation. L'échelle européenne, c'est la bonne échelle pour lutter face à ces mastodontes. C'est aussi un enjeu de fiscalité, quand on voit la facilité avec laquelle ces multinationales se débrouillent pour ne pas payer d'impôts. Airbnb c'est 160 000 euros d'impôts en France, autant qu'une PME de quartier.

Mais l'offre touristique ne doit-elle pas aussi évoluer ? Airbnb propose un modèle peut-être plus adapté à la forme de tourisme d'aujourd'hui…

C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité développer une offre hôtelière qui correspond mieux aux familles, notamment à celles qui ont un pouvoir d'achat relativement limité. Cela passe par la création d'hôtels de catégorie moyenne, et pour ce qui concerne les jeunes par la création d'auberges de jeunesse.

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