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Réforme de la justice : Eric Dupond-Moretti dévoile les grandes lignes de son projet de loi

"Le but de cette loi est de restaurer la confiance de nos concitoyens dans la justice", affirme le garde des Sceaux dans un entretien au "Point", mardi.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Eric Dupond-Moretti quitte le palais de l'Elysée (Paris), le 27 janvier 2021. (ARTHUR NICHOLAS ORCHARD / HANS LUCAS / AFP)

Audiences filmées, suppression des crédits de réduction automatique de peine, encadrement des enquêtes préliminaires… Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a dévoilé mardi 2 mars, dans un entretien au Point (accès abonnés), les grandes lignes d'un large projet de loi de réforme de la justice. "Le but de cette loi est de restaurer la confiance de nos concitoyens dans la justice. Ce sera d'ailleurs probablement son nom : loi pour la confiance dans l'institution judiciaire", déclare Eric Dupond-Moretti. Cette réforme ne traitera toutefois pas de la responsabilité des magistrats (qui relève d'un projet de loi organique) ni du statut du parquet (qui nécessite une modification de la Constitution) a-t-il rappelé.

Le garde des Sceaux souhaite présenter son texte, toujours "en cours de rédaction", en Conseil des ministres "mi-avril", avant un examen au Parlement un mois plus tard, a confirmé son entourage à l'AFP. Franceinfo détaille ce qu'il contient.

Filmer les audiences "à des fins pédagogiques"

C'est une mesure déjà effleurée par le garde des Sceaux qui souhaite "ouvrir les audiences aux caméras" pour "faire œuvre de pédagogie" et ne plus "seulement filmer les procès pour l'Histoire". "Il ne s'agit pas de verser dans le trash, le sensationnalisme, explique Eric Dupond-Moretti. L'idée est de prendre les citoyens qui le souhaitent par la main pour les conduire dans la salle où se déroulent les procès et leur montrer comment ça marche", souligne-t-il.

Les enregistrements, autorisés par la Chancellerie dans le respect des victimes et des accusés, seraient ensuite diffusés "sur le service public, uniquement quand l'affaire sera définitivement jugée, car je ne veux pas d'interférences", a précisé le garde des Sceaux sur France Inter, mercredi matin. Il assure qu'aucune rediffusion ne sera faite et que, dans certains cas, des floutages seront effectués. "Il y aura ensuite des explications pédagogiques fournies par un avocat, un magistrat, qui ne seront pas présents dans l'affaire."

Conditionner les remises de peines aux efforts

Le ministre entend aussi "mettre un terme aux crédits de remise de peine automatique (...) mis en place au début des années 2000 dans le seul but de réguler la population pénale, sans le dire". "Ce que je veux, c'est en finir avec l'hypocrisie et remettre de la vertu dans le système : des remises de peine, oui, si elles profitent à la société, au personnel et au détenu lui-même, qui devra faire, pour en bénéficier, les efforts de réinsertion nécessaires", justifie-t-il dans Le Point.

Encadrer et limiter les enquêtes préliminaires

Comme annoncé lors de sa prise de fonction en juillet, le ministre souhaite également encadrer l'enquête préliminaire en la limitant à "deux ans maximum, avec prolongation possible d'un an après accord motivé du procureur", et en l'ouvrant "au contradictoire". Concernant ce point, Eric Dupond-Moretti précise dans Le Point que "si le mis en cause fait l'objet d'une audition (libre ou en garde à vue) ou d'une perquisition, un accès aux procès-verbaux lui sera assuré dans un délai maximal d'un an". Délai qui sautera "si les médias font état du déroulement de l'enquête le concernant et portent gravement atteinte à sa présomption d'innocence."

Eric Dupond-Moretti se défend dans Le Point de s'être "inspiré" pour cette proposition de l'enquête préliminaire controversée engagée par le Parquet national financier (PNF) pour identifier, en vain, sur les relevés téléphoniques d'avocats la taupe qui avait prévenu Nicolas Sarkozy qu'il était sur écoute. L'ex-président a été condamné lundi dans ce dossier à un an de prison ferme.

Renforcer le secret professionnel des avocats

Pour le ministre, c'est une "liberté fondamentale pour le justiciable". "Le secret professionnel que l'on attribue aux avocats profite d'abord au justiciable, qu'il soit auteur, innocent ou victime. Ce secret doit être mieux protégé et je veux l'inscrire dans la procédure pénale", martèle-t-il dans Le Point, en indiquant vouloir le baptiser "secret de la défense". Avec ce projet de loi, les perquisitions de cabinets, les mises sur écoutes ou encore l'accès aux factures téléphoniques détaillées ("fadettes") ne devraient être possibles que si l'avocat concerné est suspecté d'avoir commis une infraction.

Dans le même temps, Eric Dupond-Moretti souhaite revoir la déontologie des professionnels du droit – tels que les avocats, notaires, huissiers, greffiers des tribunaux de commerce – qui sont souvent "la porte d'entrée" des justiciables dans l'institution. "Pour se prémunir des suspicions de corporatisme, ces professionnels ont eux-mêmes sollicité une modification de leurs règles déontologiques. Il est important que les justiciables sachent qu'il y a des recours possible et que ceux-ci soient simplifiés", a-t-il précisé. Les modalités pratiques seront précisées dans le projet.

"Redonner ses lettres de noblesse" à la cour d'assises

C'est un élément important du projet porté par Eric Dupond-Moretti qui souhaite "graver [l'] existence [de la cour d'assises] dans le marbre et lui redonner ses lettres de noblesse". "On ne peut pas prétendre juger au nom du peuple français et exclure le peuple des cours et des tribunaux", explique l'ex-pénaliste, qui a arraché plus de 140 acquittements en 36 ans de carrière. C'est pourquoi le ministre souhaite revenir à "un système où une majorité de jurés sera à nouveau nécessaire pour entrer en voie de condamnation". Les cours d'assises sont actuellement composées en première instance de trois magistrats professionnels et de six citoyens tirés au sort.

Il compte aussi créer une audience criminelle préparatoire, afin de permettre aux parties de s'entendre sur le déroulement du procès, les témoins cités, les experts, etc. Quant à l'expérimentation des cours criminelles, engagée par son prédécesseur, le garde des Sceaux ne compte pas y mettre un terme pour l'instant.

Encourager le recours à la médiation

Ce mode alternatif de règlement des litiges a été utilisé dans plus de 186 000 procédures en 2019, indique le garde des Sceaux. Evitant le recours à un juge, la médiation permet de désengorger les tribunaux. "Nous allons permettre que les accords trouvés aient force exécutoire en les faisant viser par le greffe de la juridiction compétente", s'est engagé Eric Dupond-Moretti.

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